Tout le monde le sait, cette année 2020 a été un peu particulière… L’offre cinématographique en a été clairement impactée. Néanmoins, il convient sûrement de ne pas oublier les œuvres qui ont su vaillamment affronter l’incertitude de l’époque, ou tout simplement passer à travers les gouttes (ou plutôt les vagues). Dire qu’il n’y a pas eu de cinéma en 2020 serait commencer à admettre une mort programmée que certains prophétisent par fatigue ou désespoir. On les comprend. Mais il nous paraissait important de continuer, de faire comme si de rien était, à dire : le cinéma en 2020 a bel et bien été vivant. Si la rédaction vous a déjà donné son avis sur les films qui ont marqué son année 2020 (voir ICI) et que les lecteurs sont invités à le donner sur notre page Facebook tout au long du mois de janvier, nous avons aussi décidé de renouveler notre traditionnel appel aux cinéastes, producteurs.trices, acteurs.trices, exploitants.tes, distributeurs.trices, critiques… Qui font et feront le cinéma de genres français d’aujourd’hui comme de demain. Nombreux ont donc répondu à cette question compliquée : quels sont pour vous, les trois films qui font pas genre de 2020 ? On vous laisse découvrir cette sélection, encore plus quatre étoiles que celle de l’an dernier.
Son film Adoration est incontestablement, l’un des films de genres francophones de l’année – nous l’avons d’ailleurs classé à la 9ème Place de notre TOP10 de la Rédaction – nous avions d’ailleurs pu en discuter avec lui le temps d’un entretien (Fabrice du Welz, à bras le corps). Il fera aussi l’actualité de 2021 avec la sortie en salles de son prochain film Inexorable avec Benoit Poelvoorde et Mélanie Doutey. C’est donc très logiquement que nous lui avons proposé de nous soumettre une nouvelle fois son TOP de l’année après celui qu’il nous avait offert en 2019. Un top qui fait du hors piste, à l’image du cinéaste qui nous le livre.
Drunk de Thomas Vinterberg
Le grand film mélancolique de l’année. Le meilleur film de Vinterberg à ce jour.
Vitalina Varela de Pedro Costa
Un film phénomène, chef-d’œuvre baroque à la puissance poétique infinie. Le film malmène et Vitalina s’est inscrit au plus profond de moi.
(ndlr, Ce film devrait sortir en salles en Juin 2021 distribué par Survivance)
Possessor de Bandon Cronenberg
L’horreur viscérale a un digne représentant, c’est le fils de David et avec Possessor, Brandon devient un cinéaste incontournable.
(ndlr, Ce film devrait sortir en salles en Avril 2021 distribué parThe Jokers)
Uncut Gems des frères Safdie.
Au delà de toutes ces grandes qualités, l’énergie électrique de ce film influe sur notre rythme cardiaque et ça, ça n’a pas de prix.
Son premier long-métrage Jumbo s’est imposé à nos yeux comme l’une des itérations les plus fascinantes du cinéma fantastico-naturaliste français de ces dernières années (lire l’entretien Zoé Wittock, au cœur de la machine). Malheureusement, les événements épidémiques, fermetures et ré-ouvertures successives, ne lui ont pas permis d’avoir pleinement sa chance en salles et de rencontrer son public. Qu’à cela ne tienne, pour sûr et malgré cela, il faudra compter à l’avenir sur Zoé Wittock pour revitaliser un cinéma français en manque d’imaginaire/d’imagination. Nous l’avons contactée pour qu’elle nous livre ses coups de cœur de l’année et c’est une sélection cohérente qu’elle nous livre, tant on y retrouve les ingrédients présents dans Jumbo : mélange des genres, maîtrise des outils de la mise en scène et expérimentations fantastiques.
La Llorona de Jayro Bustamante
Revisite de l’un des contes folkloriques latino-américain les plus connus, ce film est un parfait exemple de mélange de genres. Imprégné d’un lourd contexte politique, Jayro Bustamante sait nous faire plonger dans l’abysse psychologique d’un tyran et de sa prison, nous démontrant ainsi que l’horreur peut toujours se transformer en véritable puissance idéologique, dont l’omnipotence de l’Histoire douloureuse viendrait remplacer les sursauts faciles.
1917 de Sam Mendes
Comme une longue mélodie de l’horreur de deux jeunes hommes en quête de survie au beau milieu d’une des guerres les plus sanglantes de l’histoire, ce film m’a fait courir au plus près de ses personnages, le long des tranchées nauséabondes et des corps putréfiés. Si ce film reste malgré tout très « hollywoodien », il m’aura marqué par son ambition, sa maitrise cinématographique et son rythme parfait. Vu en Imax, au Dôme de Los Angeles, avant « le choc interplanétaire », cette véritable expérience de cinéma fait partie de celles qui me font trépigner d’impatience pour le retour de la salle obscure.
Possessor de Brandon Cronenberg
Réalisé avec une énorme précision, aussi étrange que noir, ce film ultra violent tisse brillamment la perdition graduelle du personnage principal et laisse apparaître de nombreuses questions sur la malléabilité, voire même perméabilité, de nos différentes identités. Pas forcément facile de prime abord, Possessor aura finalement infecté mon subconscient puisqu’il fait partie de ces rares films qui me restent collés à la peau.
(ndlr, le film devrait sortir en salles en Avril 2021 distribué par The Jokers)
On a connu Charles Tesson rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma de 1998 à 2003, on le connait désormais Délégué Général de la Semaine de la Critique (Séléction parallèle du Festival de Cannes). Grand amateur et défenseur des cinématographies de genres, il a notamment permit de faire découvrir et de donner à penser le cinéma hong-kongais (Hong Kong cinéma co-écrit avec Olivier Assayas en 1985) ou des films jugés encore moins « recommandables » avec l’ouvrage essentiel à tout amateur des cinémas de genres, Photogénie de la Série B (1997). II nous a fait le plaisir de nous livrer ses trois coups de cœurs de sélectionneur. Trois longs-métrages sélectionnés par son comité en 2019 et en 2020. L’occasion de rappeler à quel point la Semaine de la Critique a toujours défendu des propositions de cinémas qui font vraiment pas genre.
Abou Leila de Amin Sidi Boumediène
Difficile de l’étiqueter film de genre même s’il en a plusieurs composantes : le road-movie à l’américaine, celui des années 70, mais dans le désert algérien, le « buddy-movie » (deux flics en voiture, dont on ne sait pas s’ils fuient quelque chose ou s’ils partent à la recherche de quelque chose, mais il est bien possible que ce qui est derrière eux soit aussi devant eux, voire en eux) et le film d’horreur tendance The Thing, l’hydre du terrorisme (la guerre civile dans les années 90), du Alien, mais en plein désert, à l’étendue insaisissable, dont on peut voir parfois les effets sanglants, au gore assumé, tendance giallo. Quand le jeune cinéma algérien pense/panse son histoire de manière forte et inattendue.
Vivarium de Lorcan Finnegan
Il aspire à être dans le genre, à en être même prisonnier, jusqu’à ce que cette sensation d’emprisonnement, déployée à tous les niveaux, matériel (acheter le pavillon de ses rêves comme une concession au cimetière, préfiguration du tombeau à venir de son existence) ; existentiel (le sur-place, la répétition du même, le jour sans fin avec toujours la même prise, le cycle de la vie qui se mort la queue) ; finissent par rendre le film singulier, étrange, assez flippant, en mode « ce n’est pas la vie dont j’ai rêvé » . En outre, le confinement a fait de Vivarium le plus beau documentaire de l’année 2020, celui qui a regardé notre vie sans savoir alors qu’elle y ressemblerait à ce point.
La Nuée de Just Philippot
Il devait sortir début novembre mais sa sortie a été reportée pour 2021. C’est un film à deux visages qui bat au rythme d’un seul cœur. D’un côté, le film de terreur et d’invasion animale, sur le modèle des Oiseaux d’Alfred Hitchcock et de ses nombreux avatars. Ici, des sauterelles, vues de près, comme dans un documentaire animalier, et en groupe. En face, la réalité du monde agricole (l’élevage), un mère avec ses deux enfants qui se lance dans l’élevage de sauterelles, la nourriture de demain, riche en protéines (farine animale). Sauf que, dans notre système économique (coût de l’élevage, prix de vente, rentabilité de l’affaire), la surproduction devient une nécessité de survie. Si les sauterelles, malmenées par les conditions d’élevage, ont leur caractère et obéissent à leur nature (elles ont leur économie et le font payer au prix fort), il y a en face des conditions économiques de travail, dont on devient dépendant, qui peuvent engendrer des catastrophes. Bref, un film d’une grande intelligence politique, où l’effrayant se situe là où on l’attend (les sauterelles remplissent leur contrat) et là où on l’attend moins, du côté de la réalité du monde d’aujourd’hui.
(ndlr, le film sortira en salles courant 2021 distribué par The Jokers/Capricci)
Son premier long-métrage, La Dernière Vie de Simon est l’une des belles surprises de l’année 2020 et une promesse pour l’avenir du cinéma fantastique français. Nous en avions d’ailleurs longuement discuté avec lui (Léo Karmann, pour un cinéma de ventre) et c’est donc tout naturellement que nous l’avions convié cette année à notre rituel TOP des invités. Des choix très cohérents pour celui qui revendiquait dans nos pages un cinéma faisant confiance aux émotions.
Adoration de Fabrice du Welz
Captivant, bouleversant, formellement magnifique, Adoration est un petit bijou de cinéma belge passé bien trop sous le radar des salles françaises en début d’année. Une histoire d’amour adolescente violente, passionnelle, un morceau de cinéma qui m’a vraiment emballé.
Jojo Rabbit de Taïka Waititi
Une comédie sur les Jeunesses Hitlériennes produite par Fox Searchlight aka Disney… Véritable ovni, Jojo Rabbit est un bonbon de tendresse, de drôlerie et d’inventivité. C’est aussi un film qui donne foi en l’audace : oui c’est possible de mélanger les genres et de réunir les publics sur des sujets comme celui-ci. Surtout quand c’est fait avec une telle intelligence.
Moah S01 de Benjamin Rocher et Bertrand Soulier
Une série au pari audacieux : aucun dialogue, aucune musique, on est au cœur de la vie d’une tribu cro-magnon et de leurs dilemmes, luttes, conflits. Et ça tient : on est happé par cette histoire et impressionné par la maîtrise de cette narration purement visuelle.
En tant qu’invité habitué de nos TOP de fin d’année et habitué de nos pages (Yann Gonzalez, retrouver la nuit) le réalisateur d’Un Couteau dans le Coeur nous a proposé une nouvelle fois ses coups de cœur annuels, avec cette année, un petit peu de hors-piste.
En cette année sinistr(é)e, les émotions de cinéma les plus fortes, la liberté, le lyrisme et le trouble ont pour moi jailli de trois clips :
Lost But never alone des Frères Safdie
Le bouleversant collage pop et discrépant des frères Safdie dans le clip de Oneohtrix Point Never, Lost but never alone.
Le Malentendu de Caroline Poggi & Jonathan Vinel
Les rituels étranges, tendres et envoûtants de Caroline Poggi et Jonathan Vinel dans le clip de Lafawndah (feat. Lala & Ce), Le Malentendu.
Marking Time de Victoria Keddie et Scott Kiernan
Le télescopage inquiet entre flashs immémoriaux et prescience du futur dans le clip magnifique de la regrettée Pauline Anna Strom, Marking Time, réalisé par E.S.P. TV (Victoria Keddie et Scott Kiernan).
On le connait pour son débarquement tonitruant dans l’univers de Desplechin avec Trois souvenirs de ma jeunesse dans lequel il incarnait le jeune Paul Dedalus – une interprétation qui lui valut une nomination aux Césars – mais aussi plus récemment chez Nadav Lapid (Synonymes). Quentin Dolmaire sera au casting en 2021 d’une des séries françaises qui fait pas genre les plus attendues : OVNI(S) de Clémence Dargent et Martin Douaire. Il nous a proposé une sélection qui met en avant (entre autre) le jeu d’acteur.
Drunk de Thomas Vinterberg
J’ai trouvé le film époustouflant dans sa capacité à retranscrire l’expérience de l’ivresse (qu’elle soit malheureuse ou euphorique). Le film navigue entre ses deux émotions du début à la fin et je trouve que c’est une vraie prouesse. On ressent aussi, avec beaucoup de force l’identité nordique. Je suis toujours très touché quand un film me donne l’impression de découvrir – authentiquement – un pays.
Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood
On ne s’ennuie jamais avec Clint Eastwood. J’ai le souvenir d’un film avec une mise en scène super précise, très prenant… Du divertissement (mot qui a hélas une connotation trop négative) de haute volée. L’acteur qui joue Jewell est hallucinant. Rien que pour l’avoir découvert lui, je mets le film dans le top 3
Le Bureau des Légendes S05 de Eric Rochant
Je sais que la fin de la série a beaucoup déplu, mais je trouve ça tellement difficile de mettre fin à une série que ça ne m’a pas posé de problème. En général quand on essaye de faire des films d’actions ou d’infiltration, en France, on n’y arrive pas bien : et sur ce coup là on est bons. Mathieu Kassovitz est top du début à la fin, Gilles Cohen aussi, Florence Loiret Caillet aussi…
Productrice de Jumbo de Zoé Wittock sous la bannière d’ Insolence Productions, Anaïs Bertrand nous avait donné il y a quelques mois un entretien riche autour de la production et de la sortie de ce premier long-métrage aussi accompli que prometteur (Anaïs Bertrand, au cœur de la machine). Une longue discussion croisée avec la réalisatrice, Zoé Wittock, dans laquelle la productrice abordait, sans filtres, les forces et contradictions du système français. Puisque pour que révolution se fasse, il faut des auteurs, certes, mais aussi des producteurs et productrices passionné.es pour les accompagner les yeux fermés, parions que Insolence Productions aura un rôle central à jouer dans les prochaines années pour contribuer à réanimer ce bon vieux cinéma de genre français. Anaïs nous propose un TOP « Trois formats. Pas de classement » avec quelques habiles excursions hors-pistes qu’on lui pardonne tant elles témoignent que, oui, 2020 a été plus riche qu’on ne le dit.
Adoration de Fabrice du Welz
« L’amour. Ou rien. » Quelle plus belle phrase pour clore une année durant laquelle nous avons perdu une partie de nos sens : l’odorat voire le goût pour certains, mais pour tous le toucher, avec la « distanciation sociale » qui ne faisait même pas partie de notre vocabulaire il y a quelques mois… Cette phrase, on la retrouve sur l’affiche de Adoration de Fabrice du Welz, un film d’une rare beauté plastique, un conte tragique au réalisme magique mettant en scène deux enfants à la dérive. Ou comment Gloria (Fantine Harduin), dont la santé mentale est fragile, va contaminer Paul (Thomas Gioria) par son besoin d’absolu. Mais après tout, l’amour n’est-il pas la plus belle des maladies ?
Ozark S03 de Bill Dubuque & Mark Williams
Cette série m’a offert l’un des plus beaux dialogues jamais entendu, entre autres choses… Wendy, Marty, cinq lettres et deux prénoms qui se font écho : un couple (Laura Linney & Jason Bateman) qui se déconstruit et se reconstruit sous le joug de leur ambition et d’un amour qui semble inaltérable. Saison après saison, Ozark prend de l’ampleur et vous emporte en déployant un degré de nuances (notamment chez les personnages féminins – Julia Garner en tête) et une justesse qui vous prennent aux tripes. Un seul regret : que la quatrième saison à venir soit la dernière.
Je vois de Akaki Popkhadze
Le court-métrage se voit en festivals ou trop tard le soir sur certaines chaines. Mais il existe bien des films qui mériteraient une sortie salle. J’ai eu la chance de visionner Je vois de Akaki Popkhadze dans le cadre de l’Aide après réalisation du CNC. Ce court-métrage de 36 minutes en plan séquence suit Thomas (Florent Hill) alors qu’il rentre de soirée, ivre. Sa mère lui confie une tâche importante. Mais, le moment venu, il se réveille en retard… Commence alors un cauchemar qui s’achèvera par un seul deuxième et dernier plan époustouflant. Le film fait penser, par son âpreté et sa prouesse technique, au cinéma de Gaspard Noé (Irréversible – inversion intégrale). Véritable claque, Je vois rappelle que le court métrage est un lieu d’expérimentation dont jaillissent de petits joyaux (dédicace aux frères Safdie et leur Uncut Gems).
J’ai reçu d’autres uppercuts en 2020 mais je n’avais le droit qu’à 3 titres (je me marre en pensant à la tête de Joris lisant mes petites incursions – j’ai même failli profiter du mot « dérive » pour placer Sortilège d’Ala Eddine Slim !). Alors je me permets d’ajouter que, parmi les films qui ne devraient pas « faire genre » cette année, j’attends avec impatience Teddy de Ludovic & Zoran Boukherma et Saint Maud de Rose Glass.
Contre vents et marées, leur space-opéra philosophique et expérimental Blood Machines a réussi en 2020 à atteindre les salles obscures le temps de quelques projections événements. De notre côté nous avions rencontré le duo le temps d’un entretien (Seth Ickerman, à travers l’univers) c’est en toute logique que nous leur avons proposé de réitérer cet exercice auquel ils s’étaient déjà livrés l’an dernier, proposant cette fois ci une sélection faisant la part belle, tiens donc, aux expérimentations visuelles.
Akira de Katsuhiro Otomo
Ressorti cette année en salles dans une édition restaurée, ce film n’a rien perdu de sa superbe… Maestria du cadre et du mouvement qui donne à chaque plan une force viscérale. Musique qui ne se contente pas d’illustrer les images, mais qui lui donne une personnalité singulière qu’on n’oublie pas. Cerise, sur le gâteau, il était au cinéma en même temps que Blood Machines. Quand, à la fin des années 80, t’as usé, comme tous tes copains (un peu initiés), la VHS d’Akira dans ton magnétoscope, tu ne peux que trouver ça génial et exceptionnel en 2020 de voir l’affiche de cette œuvre culte à côté de la tienne sur la devanture d’un cinéma…
Lux Aeterna de Gaspar Noé
Avec Gaspar Noé c’est toujours la certitude d’aller voir un film qui ne ressemble à rien d’autre, à part à lui-même. Là encore, expérience viscérale, drôle, hypnotique, ou comment il transforme la Bête-Cinéma en un monstre assoiffé de sang et de chair fraîche.
Crisis Jung de Baptiste Gaubert et Jérémie Périn
Parce qu’on a adoré et que c’est une production rare et trop peu connue, on se permet de faire une petite entorse à ce top 3 des films de 2020 en citant cette mini-série de dix fois sept minutes (que l’on pourrait donc probablement considérer comme un long-métrage) et qui est sortie sur Netflix en début d’année. Créée par le duo Baptiste Gaubert / Jérémie Périn, Crisis Jung, c’est drôle, moderne, délicieusement débile, violent, cool, jouissif, ambitieux, intelligemment réalisé pour palier à un budget que nous imaginons modeste… Déjà réalisateur de l’excellentissime série Lastman, Jérémie est encore impliqué dans quelque chose qui ne cache pas ses influences avec les grandes séries d’animation japonaises de notre enfance (Ken le survivant, Les chevaliers du zodiaque, Dragon ball Z…), mais dans un traitement original très européen qui nous évoque l’esprit irrévérencieux du magazine Métal Hurlant de la grande époque.
Alors qu’il prépare un nouveau long-métrage co-réalisé avec Kaori Kinoshita qu’on a fort hâte de découvrir, leur court-métrage Tsuma Musume Haha que nous avions eu la chance de découvrir au Festival du Film de Fesses 2019 est nommé aux Césars 2021. Fidèle ami de Fais pas Genre (lire les deux entretiens qu’il nous avait donné) Alain Della Negra a une nouvelle fois accepté notre invitation, en nous livrant une sélection pleine de curiosités et d’audace, à l’image de son cinéma.
Brown, yellow, white and dead de Liv Schulman
Cette série de quatre épisodes signée Liv Schulman est visible sur paranoia-tv.com (où on trouve également de nombreux films d’artistes notamment la série d’anticipation de Neil Beloufa Screentalk) Ici deux producteurs, un acteur et un artiste, sont en train de préparer un film dans un bureau ou une cave en carton, il est question de produire de la bière, de la Kombucha, d’être pas pédé ou de nourrir une sangsue géante. Une mise en abyme de ce que peut être la communauté que représente une équipe de cinéma, des problèmes matériels auxquels il faut faire face pour réaliser ce fantasme qu’est un film.
Enorme de Sophie Letourneur
Une comédie burlesque qui se mélange de façon incroyable, presque impossible, au documentaire. Le projet est super risqué ce qui est rare dans des productions de cette échelle. Il y a du malaise, des artifices apparents, du bricolage, des acteurs amateurs face à des professionnels obligés de s’adapter au réel… Mais surtout un dispositif qui repose sur des champ-contrechamps que je n’aurais jamais imaginé possible d’entremêler. Pourtant, ils permettent une séquence finale d’une émotion rare.
Going my home de Hirokazu Kore-Eda
Cette série réalisée en 2012 par Kore Eda pour la télévision japonaise a été, enfin diffusée sur Mubi à l’automne 2020. C’est peut-être la Palme d’Or qui a permis de déterrer cette série car elle ressemble aux séries formatées et surjouées de la NHK. C’est en effet lisse et stéréotypé pourtant j’ai vécu la même chose – j’imagine – que ce que vivent d’autres personnes devant Games of Thrones. Il est questions de lutins avec lesquels j’ai un lien particulier – mes parents m’y ont fait croire un bon moment, mon frère en a aperçu un sur son épaule et nous avons même essayé d’en filmer avec Kaori Kinoshita. Il est aussi question du Japon d’après Fukushima – que nous avons également essayé de filmer. C’est finalement réaliste et magique à la fois.
Son premier long-métrage, Un Vrai Bonhomme a été pour nous l’une des très bonnes surprises de l’année 2020 abordant de concert les codes du teen-movie, du film de super-héros et du film de fantôme. Nous en avions d’ailleurs longuement discuté avec lui le temps d’un entretien (Benjamin Parent, en finir avec les injonctions). Benjamin Parent a une nouvelle fois répondu à notre invitation, nous proposant un TOP qu’il qualifie lui-même de « spécial confinement ».
Palm Springs de Mark Barbakow
La comédie romantique fantastique la plus réjouissante de 2020 ! Le réalisateur Mark Barbakow réinvente Un jour sans fin d’Harold Ramis avec une version 2.0 qui ne fait pas honte à son original. Tout le monde a vu le film de Ramis et le scénario de Palm Springs, signé Andy Siara, le prend en compte en faisant confiance à l’intelligence du spectateur. En découle une accélération du récit qui permet d’être intégré à la culture cinéphilique des auteurs et de créer une complicité de visionnage. C’est tellement rare. Andy Samberg est comme d’habitude monstrueux. Son sens de la rupture est au millimètre près et il assure avec Cristin Milioti le show. C’est vraiment le bonbon de l’année que personne n’avait vu venir.
(ndlr, le film sortira directement sur Amazon prime Video)
Vivarium de Lorcan Finnegan
Un film rare, unique, dont les effets sur le spectateur, accentués en plein confinement, demeurent longtemps après le visionnage. Le réalisateur Lorcan Finnegan nous entraîne dans l’enfer des suburbs façon labyrinthe sans fin. Le quotidien devient l’ennemi absolu du couple, celui qui le détruira. L’idéal de vie célébrée dans les années 50 aux USA se transforme en une cage dorée et le scénario utilise le fantastique pour illustrer le démembrement d’un couple face à la banalité de la vie. Un OVNI, un vrai.
Dracula de Steven Moffat
La série Netflix de Steven Moffat à qui l’on doit les liftings de toute la littérature anglaise, de Sherlock Holmes à Dr Jekyll et Mister Hyde, s’attaque au mythe de la « sexy beast » par excellence : Dracula. Malgré un dernier épisode un peu bancal, cette approche à la fois horrifique et si drôle du personnage crée par Bram Stocker est réjouissante. Claes Bang est remarquable en incarnation de cette masculinité grotesque. Les femmes le désirent, les hommes le craignent. La série réussit à capter cette singularité du roman en se moquant des hommes et du comte lui-même.
Son premier long-métrage De l’or pour les chiens sortira en 2021 après un rendez-vous manqué en 2020 (il devait sortir le 25 novembre dernier mais…) et une labellisation « Semaine de la Critique ». Et pour ne rien vous cacher, parce qu’on est totalement transparent en ces lieux, cette invitation n’a rien d’anodine puisque c’est notre rédacteur en chef qui en a signé le montage. Ne faites pas de pétition, ne criez pas au scandale, on ne parle ni d’argent blanchi, ni de malversations… mais d’un TOP3 ! Et puis, même si son premier long-métrage n’entre pas (a priori) dans notre ligne éditoriale (bien qu’il ose, là où d’autres n’osent pas, on dit ça, on dit rien) il se trouve qu’Anna Cazenave Cambet a passé 2020 à rattraper, dit-elle, des « trous dans sa cinéphilie » et coup de bol pour nous, ils ont été comblés, entre autres, par des films qui font pas genre.
La Nuée de Just Philippot
J’ai eu la chance de le découvrir au festival d’Angoulême où mon film De l’or pour les Chiens et La Nuée étaient tout deux présentés dans le cadre de la Sélection de la Semaine de la Critique. Alors oui, évidemment, c’est un film avec des sauterelles, des scènes extrêmement réussies du point de vue de l’effroi, du dégoût. Mais pour moi, et sans rien en dévoiler, c’est un film puissant dans la synthèse qu’il opère entre « film de genre » et « film d’auteur », synthèse révélée dans toute sa puissance lors de la dernière séquence. On en ressort en ayant vécu une réelle expérience de cinéma, dans toutes ses nuances et donc dans toute sa modernité.
(ndlr, le film sortira en salles courant 2021 distribué par The Jokers/Capricci)
Crash de David Cronenberg
Le confinement a été pour moi l’occasion de faire des listes de classiques à voir que je n’avais jamais vu… Et il y en avait (et il y en a toujours) ! Parmi eux, Crash de Cronenberg, ressorti en salles et en vidéo cette année dans une copie restaurée. C’est un peu vain de ma part de vouloir écrire sur ce film, d’autres l’ont fait avant moi et bien mieux. Mais à titre personnel, c’est un film qui m’était régulièrement conseillé par mes amis, convaincus que je ressentirai une sorte de lien entre ce que je cherche dans mon cinéma et ce film, et c’était vrai ! C’est une sacré leçon en tant que cinéaste d’entrer dans un film, d’accepter totalement et ce en quelques minutes, qu’un metteur en scène nous désigne notre nouveau kink : caresser la carrosserie d’une voiture avec délice.
Euphoria (épisode spécial – Rue) de Sam Levinson
C’est peut-être un peu de la triche de considérer cet épisode spécial d’Euphoria comme entrant dans cette grande catégorie du genre. Parce que justement, le tour de force de l’épisode, c’est de s’asseoir autour d’une table et de dire : « on va délaisser les effets, les lumières de toutes les couleurs, les boomboom des tubes américains, les séquences qui font bim bam waou… » Mais cet épisode, dans ce qu’il a de radicalement différent justement, de bavard, de tranquillement sourd et d’à l’opposé de ce que nous a offert la série jusque là, me donne une folle envie de faire du cinéma. Parce que c’est un épisode qui honore le spectateur en le considérant comme intelligent, capable d’accepter les changements de régimes, d’accepter une autre proposition. Et ça, pour démarrer 2021, c’est drôlement joyeux.
Nous avions rencontré Eric Cherrière en 2019 au Festival du Film Fantastique de Strasbourg où nous avions discuté avec lui de son film Ni Dieux, Ni Maîtres (Eric Cherrière : d’ici et d’ailleurs). Cette œuvre médiévale à la croisée des genres, entre film d’aventures et wu xia pan, pourrait s’imposer comme l’un des films français qui fera pas genre de 2021. Une actualité qui sera probablement double pour lui en cette année qui s’annonce, puisqu’on attend aussi la sortie chez Plon en mars prochain de son roman noir Gamine Guerrière Sauvage. C’est donc la deuxième fois qu’il participe à ce TOP invités, et de son propre aveu, il nous propose une sélection « très différente de l’an dernier ».
Dark Waters de Todd Haynes
On croyait le formidable Todd Haynes héritier esthétique de Douglas Sirk, le voilà qui emboîte le discours social d’un Franck Capra (à cette différence prés qu’on est là plus chez un démocrate que chez un républicain !). Dans le rôle de l’avocat Rob Bilot, Mark Ruffalo trouve le rôle de sa vie, et porte sur ses épaules fatiguées toute la fragilité, mais aussi la force des hommes de la rue. Les personnages incarnés par James Stewart ou Gary Cooper ne sont ainsi jamais bien loin. Ruffalo y apporte son regard sapé, on dirait parfois Droopy, mais à l’intérieur de lui, c’est un véritable saint-bernard prêt à sauver tout ce qui respire encore ! Le style magnétique et si élégant d’Haynes donne à cette intrigue de thriller politico-social une grâce splendide. Dommage que la majorité de la critique se soit pincé le nez devant ce film aussi humble qu’immense et où, pour une fois, les pauvres ne sont pas des ânes à qui des cols blanc apportent la bonne parole et l’éducation avec un brin de compassion arrogante et hautaine. Alors rien que pour son dernier plan et sa dernière réplique, voyez ou revoyez Dark waters ! Rob Bilot : Still here !
La Dernière vie de Simon de Léo Karmann
Découvert en festival, ce premier film de Léo Karmann est une petite merveille d’émotion. Et de fantastique totalement décomplexé. Les trois comédiens principaux, aussi rares que talentueux, sont formidables, la mise en scène d’une application et d’une précision dont je vois peu d’équivalent dans le cinéma français contemporain. Le film est sorti en salles et en festival sans faire grand bruit car il ne coche pas vraiment les cases du cinéma d’auteur, ni de genres. C’est un objet singulier jusque dans sa dimension populaire. Une chose est certaine, il témoigne d’un savoir -faire chez son jeune réalisateur, aussi à l’aise dans l’intime que dans le spectaculaire, qui augure d’une belle carrière
La belle verte de Coline Serreau
Redécouvert au formidable Festival du Film Insolite de Rennes Le Chateau où Coline Serrau venait présenter son œuvre dans une salle enflammée, littéralement en osmose avec le discours du film, La belle verte a été un choc. Méprisé et tourné en ridicule en 1996, le film apparaît aujourd’hui d’une liberté, d’une inventivité et d’une chaleur extraordinaire. De scènes d’anthologie en scènes d’anthologie, il met le doigt sur le pouls de notre monde et sur le pouls de nos âmes avec une acuité grinçante et une tendresse sans limite. Lindon y reprend à peu prés son rôle de La crise et Coline Serreau incarne le premier rôle avec son regard si intense et sa chevelure de lionne. Avec les gilets jaunes, me-too, le coronavirus et le réchauffement climatique, La belle verte, bien que de 1996, est à mes yeux aujourd’hui, le film le plus en phase avec le monde. Évidement, il faut laisser son cynisme au vestiaire…
Ami de longue date de Fais pas Genre via son bébé Debriefilm (site et média spécialisé dans l’exploitation cinématographique) dont nous sommes un partenaire historique, Aurélien Dauge est aussi (et avant tout) distributeur. En charge de la programmation chez Universal Pictures France, il a notamment travaillé cette année à la sortie en salles, tant bien que mal, de films qui font vraiment pas genre comme The Hunt (Craig Zobel, 2020), 1917 (Sam Mendes, 2020) ou encore Invisible Man (Leigh Whannell, 2020). On le sait, cette année a été particulièrement éprouvante pour les distributeurs, qu’ils soient indépendants ou non. Aussi, il nous paraissait normal d’inviter l’un d’entre eux.elles à nous dire ce qu’il retenait de cette année si particulière. Aurélien s’est prêté gentiment au jeu et (on ne lui en voudra pas) à placer dans sa liste un film estampillé… Universal !
Invisible Man de Craig Zobel
Relecture d’un classique d’Universal Monsters à l’ère « Me Too »,Invisible Man confirme, s’il en était encore besoin, la capacité de Jason Blum à trouver l’alchimie entre un projet, un réalisateur et un budget. Porté par le bon accueil de son Upgrade, Leigh Whannell s’impose en metteur en scène capable de transcender une série B en film de catégorie A. Dans la droite lignée des artisans du genre des années 80 : malin, adulte, subversif sur les bords et rentable.
Terrible Jungle de Hugo Benamozig et David Caviglioli
C’est toujours émouvant de découvrir à sa sortie un film dont on pressent qu’il pourrait devenir culte d’ici quelques années. Quelque part entre De Broca et Eric Judor, ce premier film souffle un vent de fraicheur sur la comédie d’aventure à la française et donne au duo Jonathan Cohen – Catherine Deneuve quelques échanges de pur génie.
Greenland, le dernier refuge de Ric Roman Waugh
Étrange destinée que celle de ce film catastrophe au budget modeste, pourtant vendu comme « blockbuster de l’été » au moment de sa sortie en France et qui n’aura finalement pas eu la possibilité d’être visible en salles aux US. Loin du téléfilm C8 auquel son sujet pouvait le destiner, Greenland renouvelle le genre en filmant la sidération à hauteur humaine et en resserrant son propos sur la trajectoire d’une famille prise dans un désordre mondial soudain. Armageddon revu à l’aune de 2020. Un film post-Covid 19 malgré lui.
Exploitant de la salle art-et-essai, Le Ciné St Leu à Amiens – soit l’un de nos partenaires historiques avec qui nous espérons pouvoir, quand les salles seront enfin ré-ouvertes, continuer de vous proposer plein de films qui font pas genre sur grand écran – Boris Thomas a répondu présent à notre invitation pour la seconde année consécutive. Une invitation qui nous semblait avoir d’autant plus de sens après cette année terrible pour les exploitants de salles.
Dark Waters de Todd Haynes
On ne l’attendait pas forcément là : avec Dark Waters, Todd Haynes renoue avec la tradition US du thriller judiciaire et politique, en convoquant des problématiques contemporaines. La démonstration, documentée par une enquête du New York Times, est implacable et fait froid dans le dos. La sobre élégance de la mise en scène est servie, dans le rôle de l’avocat Robert Bilott, par un excellent Mark Ruffalo, acteur habité et producteur impliqué.
Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu
Le réalisateur roumain signe ici un des meilleurs films de genres européens de 2020, tourné entre Bucarest et les Canaries (d’où son titre original La Gomera). En suivant son personnage principal de flic corrompu, Porumboiu joue avec les codes du genre, ou plutôt des genres, jouant tour à tour avec le film noir, la critique sociale, le film d’espionnage… Il en pousse les curseurs et nous embarque dans une intrigue alambiquée et jouissive à l’humour caustique et au final étonnant.
Jojo Rabbit de Taika Waititi
Le réalisateur néo-zélandais s’aventure ici dans le genre a priori casse-gueule de la « comédie sur l’Allemagne nazie ». Dans le sillage de Chaplin, Lubitch et Brooks, Waititi relève le défi avec une histoire à hauteur d’enfant. Même si l’influence de Wes Anderson se fait sentir, les situations délirantes et les personnages attachants font mouche, et Waititi nous entraîne même, sans qu’on s’en rende compte, vers une véritable émotion.
Son premier long-métrage, Messe Basse avec Alice Isaaz et Jacqueline Bisset dont la date est (pour l’instant) calée au 28 avril prochain, devrait être l’une des nombreuses propositions de cinéma de genres à la française que va nous offrir l’année 2021. Nous avons donc décidé d’anticiper quelque peu notre invitation et de proposer à Baptiste Drapeau de nous livrer ses trois films préférés de 2020.
Pinocchio de Matteo Garrone
Je ne sais pas si lors d’une année « normale », le film de Garrone se serait hissé en haut de ma liste, mais mon besoin de fuite du réel et de voyage dans l’imaginaire a été entièrement comblé le soir où je l’ai découvert. La voix chantante de Roberto Benigni, le magnifique maquillage du petit Federico Lelapi, l’imagerie complètement dingue et surréaliste, les mélodies entêtantes de Dario Marianelli… Tout est réuni pour nous faire passer un merveilleux moment ! J’ai l’impression d’avoir découvert la fibre italienne du roman d’origine, sa filiation à la commedia dell’arte et sa noirceur très européenne. Le tout pour un budget de 11 millions d’euros ?! Qu’est-ce que l’on attend pour produire ce cinéma de l’imaginaire en France ! Les images de la bûche magique qui se déplace seule, le pauvre petit Pinocchio pendu à un arbre ou le fou rire que Benigni m’a procuré en voulant à tout prix réparer les meubles de son aubergiste, sont autant de petites lumières joyeuses dans cette année bien sombre.
Dark Waters de Todd Haynes
ex aequo avec
Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood
Je n’ai pu réussir à départager ces deux films que j’ai découverts en salle au début de l’année 2020… 10 mois se sont passés en réalité, 2 ans en ressenti… Un étrange mélange s’est opéré dans mon esprit et il faudrait que je les revoie pour parvenir à établir une hiérarchie. Ce sont deux films basés sur une histoire vraie (plus ou moins de procès), par deux grands metteurs en scène classiques, au service d’un acteur démentiel. Des films qui ont chacun leur identité, mais qui dans les deux cas, font preuve d’une précision d’horlogerie. Je noterais l’incroyable atmosphère morbide de Dark Water et l’angoissante scène où Mark Ruffalo hésite à enclencher le contact de sa voiture par peur d’exploser ! Et la touchante, hilarante et bouleversante interprétation de Paul Walter Hauser, qui est parvenu à me faire pleurer de rire et de tristesse dans le même film… À noter qu’à 90 ans Clint en a toujours sous le capot !
Adieu les cons d’Albert Dupontel
Un peu de cinéma français pour terminer ! Avec Adieu les cons, Albert Dupontel est parvenu à trouver l’équilibre parfait entre folie, mise en scène baroque, émotions, humour… Le film est d’une extraordinaire générosité, un vrai spectacle, tout en conservant une sensibilité unique. J’ai eu la chance de pouvoir le visionner à deux reprises avant sa coupure d’exploitation et lors des deux visionnages le film m’a bouleversé… Et toujours aux mêmes endroits (que je garderai secret). J’aime beaucoup les idées de mise en scène qui se glissent dans chaque séquence… Par exemple quand Suze recherche la maison de son fils avec un aveugle comme guide. Tout ce que l’aveugle décrit de la rue (le vieux bistro, la place de l’église, etc…) se reflète dans les vitres de la voiture par-dessus le visage des acteurs. Tout au long de la séquence, il n’y a jamais un seul plan de la rue. C’est une histoire mise en images avec une énergie que l’on ne peut trouver qu’au cinéma.
Éditeur qui fait vraiment pas genre via sa maison d’édition Playlist Society – à qui l’on doit plusieurs livres essentiels à votre cinéphilie avec en vrac Wachowski, la grande émancipation ; Géographie Zombie ; Un Monde parfait selon Ghibli – il nous a paru intéressant d’inviter Benjamin Fogel à cette grande réunion, sûrs que nous étions qu’un éditeur publiant des livres d’aussi bon goût aurait des choix de tout aussi bon goût. Preuve en est avec cette sélection.
Crisis Jung de Jérémie Perrin et Baptiste Gaubert
Après la série animée Last Man, Jérémie Perrin et Baptiste Gaubert sont revenus cette année avec Crisis Jung, un dessin animé composé d’épisodes courts, sous forme de parodie de Ken le Survivant, avec un personnage principal, Jung, surnommé « le Héros au Cœur brisé », qui pratique « la technique des 10 gros coups de poing ». Mais c’est une parodie qui ne se moque pas du matériel originel. Il ne s’agit pas de rendre hommage non plus, mais bien de prolonger la mythologie Ken, anachronique en 2020, en la réinventant via l’humour. Patchwork apocalyptique rempli de mutations grotesques, de trouvailles visuelles rappelant le meilleur de Métal Hurlant, Crisis Jung fait aussi appel à la mécanique du jeu vidéo – Jung recommence les combats contre les boss comme dans un jeu – et à la psychanalyse, chaque épisode voyant le héros se retrouver sur un divan, projection de son subconscient, où la confession à un psy lui permettra d’acquérir des nouveaux pouvoirs. On se retrouve au final avec un condensé jouissif de pop culture à la fois régressive et aventureuse, mélangeant les concepts et les idées, le regard plongé vers le futur.
The Hunt de Craig Zobel
Scénarisé par Damon Lindelof, The Hunt est une série B en forme de massacre horrifique et de chasse à l’homme. Loin de la complexité des autres œuvres de son scénariste (les séries Lost, Leftovers et Watchmen), The Hunt est à mi-chemin entre le défouloir et la prise de recul sur soi-même. Tout en validant la nécessité du progressisme social et moral – lutte contre le racisme, les misogynes et les conservateurs radicaux – Damon Lindelof moque la manière dont la haine de l’élite à l’égard « des idiots » peut elle-même déboucher sur des comportements extrémistes. En poussant les curseurs au maximum dans un sens comme dans l’autre, The Hunt propose un divertissement très en phase avec son époque, quelque part entre un épisode de Black Mirror et un tweet clash sur Twitter entre supporters de Trump et progressistes qui font de la bêtise un crime plus grave que les homicides.
Lovecraft Country de Misha Green & Jordan Peele
Adaptation du livre de Matt Ruff, Lovecraft Country est l’occasion pour Misha Green et Jordan Peele de remixer toute l’histoire de la littérature et du cinéma de genre par le spectre de la culture noire. Sur fond de racisme et de la tragédie de Tulsa (déjà au cœur du Watchmen de Damon Lindelof), Lovecraft Country revisite dans chaque épisode un pan différent de la pop culture : les monstres, les maisons hantées, docteur Jekyll et de M. Hyde, les voyages dans le temps, les démons orientaux, mais aussi les grandes aventures à la Indiana Jones. Peu à peu se construit une réinvention de l’histoire savoureuse, superbement interprétée, qui malgré toutes ses étapes, sait conserver son propre cap. H. P. Lovecraft, le maître du fantastique américain, dont les textes sont malheureusement plombés par un racisme latent, se retrouve ici réinventé.
Spécialiste français des maquillages SFX, David Scherer a été le premier à nous donner un entretien en 2020 (David Scherer, l’émotion avant l’épate). S’il a marqué et traversé deux décennies du cinéma de genres à la française, son année 2020 fut marquée par Blood Machines du duo Seth Ickerman dont il a signé les superbes maquillages. Il nous livre un TOP qui fait montre d’une cinéphilie sans frontières, curieuse de découvertes et de redécouvertes.
St Maud de Rose Glass
Bien que sa date de sortie soit repoussée pour 2021 en raison du contexte sanitaire, je ne peux m’empêcher de citer ce film dans mon top. Premier long de cette réalisatrice, j’ai été assez impressionné par sa capacité à créer le malaise avec des petits détails (en particulier les punaises…) La façon qu’elle a de travailler son ambiance et de mélanger les genres m’a rappelé le Kill List de Ben Wheatley. Tout en traitant un genre « connu » (le film fantastique religieux), Rose Glass cherche toujours à jouer avec ses codes et à livrer quelque chose de plus intéressant et subtil qu’un shocker horrifique de base. En tous cas définitivement une réalisatrice à suivre !
(ndlr, le film devrait, normalement, sortir en salles courant 2021 distribué par Diaphana)
Abou Leila de Amin Sidi Boumedine
Là encore un premier long-métrage qui utilise les codes du road movie pour traiter d’une formidable réflexion sur le terrorisme et les années noires en Algérie. Prenant son temps et sachant utiliser au mieux le superbe décor du désert, le film se transforme progressivement, allant jusqu’à évoquer David Lynch par moment…
L’Eventreur de New York de Lucio Fulci
Superbe ressortie de ce classique de Lucio Fulci par Ecstasy of Films, voilà une fort belle copie qui rend hommage à ce film sale et malade qui transpire le nihilisme, le désespoir mais aussi le lyrisme. A noter les très bons bonus, pertinents et intéressants et un formidable documentaire 42nd street memories !
Elle est la dernière personne avec qui nous nous sommes entretenus en 2020. Une discussion passionnante autour de son tout aussi passionnant ouvrage Dictionnaire des cinémas chinois. (lire l’entretien). Alors qu’on aurait facilement pu se risquer aux raccourcis, à l’imaginer nous donner une sélection 100% sino-phile, Nathalie nous a plutôt invités à re-découvrir, cette fois, trois grands auteurs américains qui ont livré cette année trois films passionnants et que nous avons nous-mêmes haut placés dans notre TOP de la rédaction.
Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood
Clint Eastwood poursuit son évocation du « petit blanc » américain, cette fois empêtré dans la nasse des institutions, pris en porte-à-faux entre une journaliste sans foi ni loi et un agent du FBI dédaigneux à l’égard d’une Amérique périphérique qu’il ne comprend plus. Après Sully, qui s’inscrivait dans la ligne des œuvres de Capra, et La Mule, chant du cygne du politiquement incorrect, le cinéaste envoie valser les conventions. Une ligne claire, aussi simple que définitive.
Dark Waters de Todd Haynes
Todd Haynes, peintre du clair-obscur, brosse une fable écologique aux allures de combat singulier, soit le portrait d’un avocat solitaire dont la quête de vérité tourne à l’obsession. Après ses mélodrames sirkiens et son évocation enfantine du monde des merveilles, le réalisateur verse dans le film juridique avec un Mark Ruffalo qui s’impose, après Foxcatcher et I Know This Much is True, comme l’un des acteurs les plus emblématiques d’Hollywood.
Mank de David Fincher
On attendait beaucoup du retour de David Fincher, depuis Gone Girl et Mindhunter. Il revient avec un ovni à la lisière du film d’art, biopic en noir et blanc du scénariste de Citizen Kane, encore une fois mis en musique par Trent Reznor. Prototype autant que film personnel, Mank démontre la liberté laissée par Netflix à ses auteurs, pour un film qui n’aurait probablement pas connu une sortie sur grand écran, vu son caractère abscons et singulier. Une œuvre formellement bluffante, aux allures de délire cinéphilique.
Qu’on se le dise, son court-métrage Homesick narrant l’histoire d’un chercheur de souvenirs dans les ruines de la ville de Fukushima et qui va communiquer avec ses fantômes mérite sa nomination aux Césars, tant c’est certainement ce qu’on a vu de plus beau et de plus fort ces dernières années., dans le genre si vaste du « film de fantômes » . Autant dire qu’on à hâte chez Fais pas Genre de découvrir son premier long-métrage, qu’il développe actuellement. En attendant, on a souhaité invité Koya Kamura à nous donner ses coups de cœur de 2020, l’occasion de faire plus ample connaissance avec ce réalisateur à suivre.
Uncut Gems de Joshua et Ben Safdie
Ok, je l’avoue… J’ai toujours aimé Adam Sandler. Avec Uncut Gems, j’arrive enfin à assumer mes propos quand je parlais de lui comme d’un grand comédien (avec un soupçon de provocation je l’admets). Au-delà de son interprétation, la mise en scène ultra tendue et immersive des frères Safdie nous plonge, en apnée, dans une course sous pression pour un personnage qu’on aime et qu’on aimerait voir réussir.
Swallow de Carlo Mirabella-Davis
Un sujet atypique et une maladie aussi peu connue que fascinante. Même si la direction artistique édulcorée peut agacer, elle sert d’écrin au malaise d’Hailey Benett. La future mère avale chaque jour un nouvel objet. Chaque objet plus dangereux que le précédent. La mise en scène clinique et maitrisée, rend ces petits gestes particulièrement terrifiants et l’atmosphère très singulière. Si parfois, la caractérisation des personnages secondaires manque un peu de finesse, le personnage d’Hailey Bennet, lui, est parfaitement écrit et interprété.
La Llorona de Jayro Bustamante
Un film d’auteur, fantastique (comme il y en a de plus en plus) guatémaltèque (pas tant que ça pour le coup) dont l’atmosphère est aussi pesante et oppressante que le sujet qu’il traite. Le film commence commence ancré dans le vrai, en plein procès d’un dictateur pour un génocide. Puis il bascule peu à peu dans un fantastique d’une grande élégance. Les coupables ne sont plus jugés par la justice, mais par la Llorona, une légende urbaine connue dans toute l’Amérique du sud. Les codes du genre sont respectés mais avec une touche de finesse en plus. Le tout capté par une photographie soignée et délicate.
Mention spéciale à Vivarium de Lorcan Finnegan, parce-que j’ai ri nerveusement pendant une heure et demie. Parce que ce film va jusqu’au bout de son délire et même si ça va trop loin pour moi, c’est formidable qu’un film comme ça existe !