Carlotta Films a défriché, peu de temps avant la deuxième fermeture des salles, deux œuvres plus confidentielles de la filmographie d’un cinéaste qui nous est cher sur Fais pas Genre : John Huston. Faute d’avoir pu être suffisamment projetés dans les cinémas et donc désormais passés par la case édition physique et le « vidéo club » de l’éditeur, nous nous penchons aujourd’hui sur Au-dessous du volcan, dans une version restaurée, adapté de Malcolm Lowry.
Vapeurs et Tremblements
À la veille du 1er novembre 1938, la ville de Cuernavaca, au Mexique s’active. Il s’agit de préparer le traditionnel jour des Morts, dont on sait la spécificité et l’importance dans la culture mexicaine. Au milieu de la liesse, comme dans l’œil d’un cyclone, Geoffrey Firmin, ancien consul britannique, révoqué de ses fonctions, se perd entre cuisines et bars, guidé vraisemblablement uniquement par sa soif inapaisable. Bien que sa femme, Yvonne, soit absente depuis un an, le couple, depuis officiellement divorcé, se retrouve comme miraculeusement à la suite des déboires de Geoffrey. Désormais accompagnés par Hugh, son demi-frère, c’est une bombe à retardement faite de rancunes et de convulsions que compose la réunion de ces trois personnalités, alors que le spectre de la Deuxième Guerre Mondiale hante tous les esprits.
Au-dessous du volcan est un roman qui a suscité l’intérêt de nombres de cinéastes avant d’atterrir entre les mains de John Huston. Ce consul aux élucubrations chevrotantes, trouvant dans l’alcool un refuge névrosé, devient le témoin impuissant du naufrage inexorable de son mariage, mais aussi de sa vie et, à travers une plus large focale, de l’équilibre du monde. Un tel postulat constitue un formidable moyen, au sein d’un récit embrumé et sinueux, d’articuler la Petite et la Grande Histoire. Il n’est pas étonnant que le roman fût vite labellisé parmi les « inadaptables », et par esprit de contradiction, qu’il devint un rêve de cinéastes. Les amateurs d’uchronies se plairont à rêver de ce qu’auraient pu faire d’une telle histoire des cinéastes aussi surréalistes que Luis Buñuel ou Ken Russell, attachés un temps au projet.
Loin de ces songes de cinéma, c’est John Huston qui s’est retrouvé aux commandes de cette adaptation. Pour mettre en scène cette œuvre où le Mexique devient le théâtre d’un couple en perdition et des conflits mondiaux qui se profilent, Huston se doit d’ancrer son récit dans une représentation crédible du pays. On sait l’attachement du réalisateur pour ce pays, dans lequel il a tourné Le Trésor de la Sierra Madre (1949) ou encore La Nuit de l’iguane (1964). Pour donner corps et gravité au Cuernavaca tel qu’imaginé par Lowry, le réalisateur s’entoure d’actrices et d’acteurs mexicains, parfois amateurs – notamment dans la scène de la maison close. Huston s’entoure également d’un chef opérateur, et pas des moindres, en la personne de Gabriel Figueroa, ayant officié sur ¡Que viva Mexico! (Sergueï Einsenstein, 1932) ou Los olvidados (Luis Buñuel, 1950), et d’innombrables films mexicains.
Si le scénario d’Au-dessous du volcan s’apparente à une formidable machine, celle-ci semble déraillée, et ne jamais vraiment démarrer. L’ambiance pesante générée par l’alcoolisme de Geoffrey et les relations tendues qu’il entretient tantôt dans son mariage, comme dans l’intégralité de ses relations sociales, est sur le papier l’impressionnante déchéance d’un homme, pour dire l’érosion imminente d’une vision d’un monde et de son équilibre. Geoffrey s’érode, à travers son agacement, sa perte de repères, son penchant pour la boisson, et surtout ses tremblements impromptus. Le récit, à l’instar de son personnage principal, titube, tremble, perd l’équilibre et peine à se mouvoir avec fluidité. Devant l’interprétation proprement habitée d’Albert Finney, Huston peine à transformer le chaos du récit et l’insuffler à sa mise en scène. Certes loin du film noir, du western ou encore du récit épique, John Huston prouve avec ce film qu’il mérite définitivement le qualificatif « protéiforme ». Il ne résulte pas moins d’Au-dessous du volcan une certaine apathie, mais dont le propos garde toute la cruauté du roman de Malcolm Lowry : l’assistance impuissante à l’inéluctable écroulement d’un monde, comme un volcan d’abord qui gronde, puis qui tremble, jusqu’à l’éruption, et l’échec cuisant des personnages pour y remédier.