[Bilan 2010-2019] Blockbusters : Le Sommeil de la Force 2


Cette décennie qui s’ouvrait sur une révolution Avatar de James Cameron sortait le 16 décembre 2009 – nous promettait des blockbusters pleins de surprises, d’innovations technologiques, et d’ambition aussi bien narrative que formelle. Au moment de faire le bilan, le constat est pourtant alarmant. L’arrivée des Avengers, les franchises à outrance, l’échec des expérimentations technologiques les plus avant-gardistes, et l’écrasante domination de Disney ont fait bien du mal à la création. Quelques merveilles ont surnagé dans cet océan de médiocrité, mais il serait grand temps de souhaiter – et d’opérer – un véritable Réveil de la Force.

Le Supreme Leader Snooke gît à terre, mort, scène du film Star Wars 8 : Les Derniers Jedi.

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Sommeil et sursaut(s) de la Force

« There’s been an awakening… Have you felt it ? ». C’est en novembre 2014 que l’on a entendu une voix caverneuse et profonde prononcer ces quelques mots. Leur succédaient pas plus de onze plans, quelques notes d’une musique éternelle, « The Dark Side and… The Light » et un titre qui promettait un “réveil” tant attendu. C’était le tout premier teaser, très beau, de Star Wars VII : Le Réveil de la Force (J.J Abrams, 2015) et avec lui la naissance d’un espoir réel : celui de rêver encore. Aujourd’hui, après la sortie du très mauvais et si symptomatique épisode IX,  L’Ascension de Skywalker (J.J Abrams, 2019) on peut affirmer, sans craintes, que ces espoirs sont définitivement fanés, et de nouveau entrés dans un sommeil profond. Ce mouvement, faisant suivre à l’attente pleine d’excitation candide une terrible déception, fut l’élément constitutif de nos vies de spectateurs, l’arc narratif fondamental du scénario souvent ubuesque de cette décennie de blockbuster. En effet, il y aurait sans doute de quoi en faire un film…

Jake Sully au premier plan, devant la tribu hostile et à la peau bleue de la planète Pandora, scène de nuit dans le film Avatar.

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Tout a commencé avec un rêve cinématographique… Revoir Avatar (James Cameron, 2009) aujourd’hui – dont le succès concluait la décennie précédente autant qu’il entamait la suivante sous les meilleures auspices – c’est constater qu’il est resté autant un chef-d’œuvre qu’un prototype. Toujours un rêve de film donc, mais aussi, une révolution déçue. Commençons par la 3D, censée être le grand bouleversement amorcé par le voyage de Jake Sully sur Pandora. Alors que le long-métrage déployait de manière vertigineuse les avantages de cette technologie – jusqu’à mettre en scène des séquences entières pour qu’on s’émerveille de ses possibilités, telles les inoubliables scènes de vol – les grands studios ont semblé se donner pour mission de massacrer le jouet. Un festival de 3D “gonflées”, et donc “non prévues au moment de la réalisation”, ont pollué les écrans pendant plusieurs mois (voir années) détruisant aussi bien l’attrait de cette technologie que les films eux-mêmes : il était par exemple impossible d’aimer le pourtant beau Dernier Maître de l’Air (M. Night Shyamalan, 2010) en le découvrant en (faux) relief. Les spectateurs, à juste raison, se sont lassés, et rares ont été les cinéastes à tenter de réitérer les expérimentations de Cameron. Il y a eu, bien sûr, Robert Zemeckis qui exploita merveilleusement le relief et la possibilité qu’il offre de faire ressentir viscéralement le vertige, dans le remarquable The Walk : Rêver plus haut (2015). Les quarante dernières minutes, absolument renversantes, où le personnage fait le funambule entre les deux Twin Towers du World Trade Center constitueront d’ailleurs l’un des plus beaux moments d’enchantement de notre décennie. Remercions donc George Miller, Steven Spielberg ou Guillermo Del Toro d’avoir su également nous rappeler la profondeur du relief et son apport évident au récit ainsi qu’à la mise en scène à condition de l’utiliser intelligemment. Sans eux, les médiocres 3D subies dans les salles ne nous auraient laissé que d’atroces maux de tête en souvenir.

Tye Sheridan dans sa caravave miteuse et pleine d'objets en tous genres, casque à réalité virtuelle sur la tête, scène du film Ready Player One.

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Le très beau point de départ fictionnel d’Avatar pouvait également être décliné de bien des manières, tant il constituait une sorte d’Art Poétique de l’aventure numérique : Jack Sully, dont les deux jambes sont paralysées, trouve par l’intermédiaire de son avatar Na’vi le moyen de courir de nouveau, et plus profondément de trouver sa propre nature en se transformant définitivement à la fin du récit. Cette idée magnifique déploie à elle toute seule une forme d’utopie numérique, et si l’on voit le verre à moitié plein, on peut se réjouir du fait que cette idée ait été brillamment continuée par un autre chef-d’œuvre, Ready Player One (Steven Spielberg, 2018). Le film – qui est peut-être celui qui a le mieux miroité, figuré, rêvé notre époque et cette décennie passée – racontait l’histoire de Wade Watts qui lui aussi découvrait une nature nouvelle et, avec d’autres personnages, s’accomplissaient dans un univers parallèle, l’Oasis. Chez Cameron, comme chez Spielberg, cette hypothèse salvatrice et utopique est abordée avec sagesse car, pour eux, le cinéma et la fiction ne constituent pas qu’une simple récréation. Au-delà du plaisir de voir le 7ème art repousser ses limites – quelle joie, par exemple, d’avoir pu observer le maître Spielberg, dès le début de la décennie, jubiler et libérer numériquement son découpage féru de plans-séquence aussi dantesques qu’intelligents dans Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne (2011) – il y avait dans toutes ces productions une invitation à repenser notre regard, notre humanité, notre rapport au monde impacté par ses évolutions. Que cela soit par l’anti-interventionnisme et l’invitation à épouser respectueusement et intelligemment des cultures neuves d’Avatar – dont la noirceur et la radicalité politique sidèrent plus que jamais aujourd’hui – ou dans le manifeste contre la culture doudou et la consommation décérébrée de Ready Player One, on voit bien qu’il y a eu une sagesse à l’œuvre dans quelques blockbusters face à la puissance de frappe débilisante des studios Disney. Derrière ces long-métrages, il y a tout simplement une espèce en voie de disparition à Hollywood, l’auteur. Bienvenue à Marwen (Robert Zemeckis, 2019) n’est probablement pas aussi grand qu’Avatar ou Ready Player One. Il n’est probablement pas non plus le plus grand des travaux de son auteur. Pourtant son charme est irrésistible parce qu’il ne ressemble à personne d’autre qu’à son metteur en scène… Pendant cette décennie, les effets spéciaux numériques n’ont souvent été utilisés que pour ressusciter des jouets et héros du passé sous la forme ni plus ni moins d’avatars morbides – dans Rogue One (Gareth Evans, 2016) par exemple, ce n’est ni Tarkin ni la Princesse Leia que nous voyons, mais bien leurs momies numériques et désincarnées. De leur côté, les sages Zemeckis, Spielberg, Cameron les ont utilisés en leur qualité d’inventeurs. Quand Zemeckis, dans Marwen, fait intervenir une machine très similaire à la Delorean de sa mythique trilogie Retour vers le Futur, sa note d’intention est claire. D’abord, c’est son antagoniste principale qui la fait intervenir – une sorcière incarnée par Diane Kruger symbolisant autant l’addiction que la paranoïa du personnage principal – ensuite, et surtout, la machine est invoquée pour être consciencieusement expédiée et abandonnée par le héros. Zemeckis fait entrer le fétiche absolu de sa filmographie pour mieux l’envoyer dans les limbes et nous inviter à focaliser notre attention sur ce qu’il invente. Il suffit d’observer le découpage virevoltant de ce dernier opus – où on peut passer en un plan d’une dimension à l’autre, du monde réel au monde fantasmé et miniature du personnage principal – pour constater les capacités intactes du défricheur Zemeckis.

Rey, un genou à terre, s'apprête à en découdre, scène du film Star Wars 9 : L'ascension de Skwalker.

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L’inventivité fût le principal adversaire des grands studios américains pendant cette décennie. La phrase peut sembler péremptoire, pourtant il ne s’agit pas là d’un avis : c’est un fait incontestable et il est assez aisé de le prouver tant leurs têtes pensantes ne s’en sont pas caché, autant à travers les œuvres qu’ils ont produites que dans leurs communications. Car, si nous avons jusqu’ici consciencieusement éludé le sujet, il faut bien en venir à ce qui a pollué nos écrans et nos yeux tout au long de ces dix années écoulées : la recherche effrénée de franchises lucratives et la misère esthétique qui en est née. Joss Whedon, l’auteur tant aimé de la 8ème merveille du monde – à savoir Buffy contre les vampires – entamait une terrible danse en 2012, avec le plutôt bon mais si malfaisant rétrospectivement Avengers. Une danse qui est loin d’être achevée aujourd’hui, même si elle semble avoir atteint, comme un symbole, un point de non-retour avec la sortie du pathétique Star Wars IX : L’Ascension de Skywalker (2019) et le lunaire défilé de révélations sur sa conception qui défilent sur internet depuis un mois, ainsi que les commentaires gênés et gênants de tous ceux ayant participé à ce naufrage – monteurs, scénaristes, acteurs, tous y sont allés de leurs révélations. Nous n’en détaillerons pas le contenu ici, mais là encore c’est tellement énorme qu’il y aurait un excellent film à réaliser à ce propos… Cette logique de franchise, nous l’avons déjà, à moult reprises, décrite et dénoncée.  Martin Scorsese, après une sortie que certains jugeaient maladroite, a mis les points sur les « i » dans une tribune sublime dans le New York Times, à laquelle nous souscrivons entièrement. D’ailleurs, ceux qui l’ont lue constateront que ce long article n’est au fond que la déclinaison, avec exemples contemporains, des mots du maître. Il faut le dire, et ne pas avoir peur de le redire, les derniers numéros des studios Marvel, tout comme le dernier épisode de Star Wars, n’ont rien à voir avec ce qu’on peut appeler du cinéma. Les levers de boucliers grotesques de fans écervelés ne doivent pas nous intimider, comme ils intimident, constamment, des studios incapables de fabriquer une œuvre un tant soit peu cohérente. Il faut bien cerner le monde dans lequel nous vivons : aujourd’hui, le look d’un personnage est changé définitivement, et en un battement de cils, au bon vouloir de quelques agités sur Twitter –  on pense bien sûr à l’adaptation de Sonic (Jeff Fowler, 2020) qui s’apprête à sortir en salles – tandis que le destin d’une saga entière, vieille de quarante ans – et, détail insignifiant, probablement la plus importante de l’histoire du cinéma – est accompli dans le simple but de satisfaire des fans excités incapables d’accepter des évolutions narratives, ô combien mineures quand on y repense plus de quatre secondes. Si bien que le dernier épisode de Star Wars ne ressemble en rien à une conclusion cohérente, encore moins à un film, mais à un scénario écrit comme un catalogue de tweets pour contenter les uns et les autres, faire un doigt d’honneur à l’opus précédent, Star Wars VIII : Les Derniers Jedi (Rian Johnson, 2017), et cyniquement annuler tout ce qui aurait pu déplaire à la sacro-sainte fan-base. Comme la 3D, la logique du plus grand des studios aura cassé son « jouet ». La décennie a vu naître, chose inimaginable il y a vingt ans, un film déficitaire dans la franchise Star Wars – le malheureux Solo : A Star Wars Story (Ron Howard, 2018) – tandis que les réactions au dernier opus – oscillant entre une minoritaire satisfaction béate, un désintérêt croissant (le film a réalisé le moins bon démarrage de la dernière trilogie), ou encore un rejet pur et simple – laissent penser que cette franchise ne va nulle part et que la Force, la magie, se sont définitivement endormies. Pourtant, sans aller nulle part, sans ligne de conduite, cette vision de la fiction, ce raisonnement ou, devrais-je dire, cet “algorithme” pourrait aller encore plus loin dans ses méfaits. Il n’est pas inintéressant d’ailleurs que la firme ait choisi comme collaborateurs – le mot est écrit à dessin – de son entreprise, les plus ingénieux storytellers de la télévision des années 2000, en particulier J.J Abrams et Joss Whedon, tous deux s’étant merveilleusement montrés capables de ressusciter indéfiniment les enjeux de leurs séries. Pourtant, on ne dira jamais assez que dans Buffy, comme dans Lost, les renouvellements narratifs, les résurrections et même les « incohérences » sont toujours dirigés par la logique d’un univers – d’un côté la prophétie des Slayer de l’autre la fameuse Île qui, chacune, emprisonnent les héros dans la fiction. Sans cette transcendance guidant l’univers, les deux auteurs étaient condamnés à l’épuisement définitif de leur savoir-faire. Il est donc moins étonnant que Joss Whedon ait totalement disparu des radars depuis qu’il a renié l’affreux Avengers : L’ère d’Ultron (2015), et que J.J Abrams soit, selon les dernières rumeurs, au milieu d’une vraie dépression depuis la sortie de L’Ascension de Skywalker… La machine les a dévorés, vidés de toute substance vitale. De tout désir de fiction. 

Peter Jacskon en pleine sieste, sur le tournage du Hobbit, décor de lourdes pierres.

                                            © Warner Bros

Il n’y a pas que des auteurs de séries TV qui achèvent cette décennie dans un état proche de celui des victimes de Scarlett Johansson dans Under the Skin (Jonathan Glazer, 2014). Deux aventures capitales ont fait gagner définitivement la logique des franchises et désespéré leurs auteurs. Il y a d’abord, la trilogie du Hobbit de Peter Jackson, peut-être la première à avoir rencontré si fortement l’influence des fans par l’intermédiaire des réseaux sociaux – rappelons-nous les commentaires outrés au post Facebook du cinéaste annonçant qu’il n’y aurait plus deux, mais trois épisodes Le Hobbit – et surtout les affres du fan service. Visiblement obsédé par l’idée de ne pas réitérer les « erreurs » de la prélogie de George Lucas, Peter Jackson s’est à l’évidence reposé sur les acquis de sa trilogie initiale en reformulant une bonne partie de ses enjeux narratifs et visuels. L’ennui, c’est que cette re-formulation s’est faite – pouvait-il en être autrement ? – au rabais sur les deux tableaux. L’utilisation parcimonieuse de CGI et les centaines de figurants maquillés pendant des heures du Seigneur des anneaux – qui ont encore si bien vieilli – ont été remplacés par des effets numériques à gogo, et un univers aseptisé, souvent laid et dénué de charme. On le sait, Jackson est sorti du troisième volet totalement lessivé, abandonnant la réalisation de Mortal Engines (et probablement celle du deuxième volet de Tintin, les droits étant épuisés). Les images terribles du Making-Of de La Bataille des Cinq Armées (2014) montrent un homme dévitalisé, ne sachant pas ce qu’il fait à la tête d’un film, et même d’une trilogie qu’il ne désirait pas réaliser (c’est Guillermo Del Toro qui devait s’en charger). Il y avait pourtant des propositions neuves dans les Hobbit, en particulier l’expérimentation de la technologie HFR, en 48 images par secondes ici. Celle-ci n’a pas convaincu, nous les premiers, (lire notre article Pour un Cinéma pas Net).

Will Smith au premier plan, Clive Owen au second, tous les deux dans la chambre du film Gemini Man.

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Son résultat n’était certes pas des plus probants, mais il faut bien dire que, durant cette décennie, la tendance a été au massacre pur et simple des avant-gardes technologiques. Les spectateurs se sont rués sur des nouvelles technologies de projection le plus souvent absurdes – par exemple l’inénarrable et stupide 4DX qui rejoint parfaitement la logique « parc d’attraction » du cinéma contemporain décriée par Scorsese dans sa tribune – mais ont snobé les expérimentations de Jackson ou de Ang Lee. Si nous n’avons pas pu voir le sublime Un Jour dans la vie de Billy Lynn (2017) projeté en HFR 120 images par seconde – à cause de son échec cuisant aux Etats-Unis et de sa non-exploitation dans son format d’origine en France – c’est avec cette technologie que l’on a pu découvrir son dernier projet, l’étrange et entêtant Gemini Man (2019). Écrit comme un simple actionner des années 90, ce nouveau long-métrage n’a pas la portée du précédent. Pour autant, son visionnage restera l’une des expériences de cinéma les plus neuves et fascinantes vues en salles durant cette décennie 2010. La séquence de poursuite à moto, ou encore l’ouverture sur le tir de sniper, resteront deux des moments les plus marquants de l’année pour ce qu’elles posent comme re-définition de notre regard de spectateur. Pour autant, le film a été un échec cuisant, et force est de constater que ces révolutions ne peuvent pas naître et évoluer si le public ne suit pas. En même temps, comment blâmer ce public, quand pour découvrir les films dans ces technologies il faut payer un minimum de vingt-deux euros et trouver une des (seulement !) 10 salles qui sont équipées dans toute la France. Au-delà de cette question d’accessibilité, il faut aussi se poser des questions esthétiques. Les Hobbit avaient des raisons de déplaire. Bien sûr, en éliminant son festival de pets et ses interminables longueurs, on peut voir en Un Voyage Inattendu (2012) un beau et candide film d’aventure ; ou encore voir La Désolation de Smaug (2013) comme une pure merveille, à condition de retenir essentiellement ses renversantes quarante dernières minutes ; ou enfin se réjouir de la folie presque régressive de La Bataille des Cinq armées (2014) qui au-delà de ses errements narratifs, rappelait à notre bon souvenir le Jackson de Braindead (1992). Même en faisant tous ces efforts, on ne pourra oublier la déception que constitue un tel travail après la perfection que représentait la trilogie d’origine. L’idée ne peut pas être de forcer les spectateurs à se ruer dans les salles voir des productions neuves ou d’auteurs importants quand ceux si sont, souvent, autant de propositions très alléchantes sur le papier que des objets finalement décevant à l’écran. C’était le cas de Alita : Battle Angel (Robert Rodriguez, 2019) Mortal Engines (Christian Rivers, 2018), John Carter (Adrew Stanton, 2012), dans une moindre mesure Jupiter Ascending (Sœurs Wachowski, 2015) et Tomorrowland, A la Poursuite de Demain (Brad Bird, 2015) que nous avions malgré tout farouchement défendu à sa sortie. Des films qui, même pour les plus aimables d’entre eux – Jupiter Ascending et Gemini Man – ne peuvent suffire à combler les attentes qu’on place dans leurs auteurs. Il faudra probablement attendre le 16 décembre 2021, date de sortie d’Avatar 2 et du grand retour de James Cameron dans les salles pour que notre patience soit enfin récompensée, et qu’on puisse revoir à l’écran l’alliage, si beau et stimulant, de l’innovation technologique et de l’audace narrative, porté à un nouveau point d’accomplissement.

Batman alias Ben Affleck, vu de dos, observe les dégâts sur un immeuble de la bataille finale entre Superman et le Général Zod, scène du film Batman vs. Superman.

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L’autre tournant de cette décennie que je m’apprête à relever a suscité encore plus de haine, et ses enfants dégénérés constituent à la fois le pire et l’essence de ces années 2010. On pense ce que l’on veut de Zack Snyder et des premiers opus du DC Cinematic Universe, Man of Steel (2013) et Batman Vs Superman : L’Aube de la Justice (2016). On peut tout à fait condamner le cinéaste pour sa vulgarité, la laideur de son univers geek, le simplisme de ses intrigues. Pourtant, à bien revoir ces deux essais, ils témoignent incontestablement d’une vision d’auteur. Les premières minutes de ces deux long-métrages ne ressemblent à rien d’autre qu’à un film de Zack Snyder. Son style est pompier ? Sa vision du monde et de l’Amérique simpliste ? Son esprit de sérieux épuisant ? Oui, incontestablement. Mais quel blockbuster sorti dans les cinq dernières années peut se targuer d’avoir une vision ? Un style ? A bien des égards, Batman Vs Superman est un tournant dans cette décennie. Rarement un blockbuster n’a été accueilli avec une telle virulence, et c’est cet accueil ahurissant de sottise – comment peut-on sérieusement reprocher à un long-métrage son « manque de blagues » ? – qui a mené à un rétropédalage absurde de la Warner et à la production ou la modification des accidents industriels que furent Suicide Squad (David S. Goyer, 2016) et Justice League (Joss Whedon/Zack Snyder, 2017), deux objets qu’on a toujours du mal à identifier. Des épisodes d’une série ? A peine. Des films ? Encore moins. On peut à peine les décrire comme une succession de clips de plus de deux heures. Batman Vs Superman portait déjà les traces des dérives de la franchise – en particulier dans ses atroces trente dernières minutes, gigantesque et affreuse bande annonce pour la suite du DCU – mais donnait encore le sentiment d’être l’ouvrage d’un auteur croyant dans son histoire, son projet. Ces dérives donnaient le sentiment de résulter de compromis faits par l’auteur avec les studios. Or, quand on voit Justice League ou le dernier Star Wars, on ne peut que constater le contraire : ce sont les quelques scènes abouties – les premières minutes de Justice League, la bataille sur l’eau de L’Ascension de Skywalker – qui apparaissent comme des exceptions, comme si, au contraire, elles étaient des compromis des studios face à l’auteur. C’est le fait de l’uniformisation des contenus pour le public chinois, nouvelle donnée extrêmement inquiétante pour l’avenir, ainsi que (nous l’avons déjà dit) de la suprématie des fans sur la création. Même si on peut aimer, ce qui est mon cas, les beaux mais par conséquent insignifiants Le Réveil de la force et Les Derniers Jedi, il faut aujourd’hui admettre qu’ils ne sont nés que d’une logique mercantile, sans aucune ligne dramatique claire, sans aucune idée forte pouvant tenir une nouvelle trilogie. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : quel moment de cette nouvelle trilogie pourrait prétendre égaler la course de pods de La Menace Fantôme (George Lucas, 1999) ? La traversée d’astéroïdes de L’Attaque des clones (George Lucas, 2002) ? L’Ordre 66 ou le combat final sur la lave de La Revanche des Siths (George Lucas, 2005) ? On peut haïr la prélogie, mais impossible de nier qu’elle surpasse en termes de créativité, d’audace, d’émotion, cette nouvelle trilogie. Celle-ci ne contient aucun véritable instant de bravoure car toutes les scènes qui pourraient en constituer sont annulées d’un épisode à l’autre, jusqu’à un dernier chapitre qui cyniquement pourrait annuler la saga toute entière. Évidemment que la prélogie de Lucas est, elle aussi, née d’une logique mercantile. Ne nous voilons pas la face c’est l’essence même du blockbuster. Mais il fût un temps où cette logique rencontrait des artisans et des visionnaires probablement fous – que vous le vouliez ou non, Lucas en faisait partie. Sans cette dimension visionnaire, les blockbusters sont condamnés à être des œuvres aussi obèses que finalement minuscules, des produits agressivement marketés pour être, c’est leur paradoxe, instantanément oubliés.

Le Faucon Millenium de Star Wars, au milieu d'une multitude de vaisseau spatiaux en apesanteur.

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Dans le final de L’Ascension de Skywalker – conçu pour être le plus gigantesque de la saga car ce volet devait conclure trois trilogies d’un coup – J.J Abrams convoque des vaisseaux plus nombreux et gros que jamais, des explosions à gogo, des résistants à perte de vue, un méchant a priori invincible et surpuissant… Pourtant, on ne voit à l’image qu’un défilé de pixels sans âme car rien n’y fait sens. Par cet exemple, il convient de mettre en exergue un autre paradoxe terrible et assez mortifère de cette décennie de blockbuster. Car s’il est évident que les fans et leur avis n’ont jamais eu autant de place et de considération des studios, le paradoxe s’exprime dans l’absence totale de la figure du “peuple” dans ces franchises. A quel moment la foule de vaisseaux débarquant à la fin de la bataille de Star Wars IX est-elle identifiable ? Cette foule aurait pu être liée au bel épilogue du huitième épisode, ou à l’idée que la Force ne toucherait plus seulement des initiés ou des membres d’une dynastie. Or, ce lien et cette idée sont annulés par la grotesque révélation des origines de Rey. De la même manière, comment puis-je me sentir partie prenante des foules sans visage de tous les climax des films Marvel, en particulier celui, illisible, du dernier en date Avengers : Endgame (Frères Russo, 2019) ? Qui sont ces gens ? Comment être émus par l’arrivée de petits points numériques dans cette bouillie d’une laideur aussi infâmante ? Qui meurent dans ces gloubi-boulga numériques ? La belle idée qui ouvrait Batman Vs Superman venait justement interroger tout cela, en offrant le contre-champ à la pornographie destructrice finale de Man of Steel. Qui a osé, depuis, mettre scène une telle idée complexifiant un tant soit peu la figure des super-héros et en interrogeant leur pouvoir de mort ? Cette belle tentative permet de donner tout simplement une identité à la foule que Superman est censé sauver.  Les grands blockbusters des années 2010 ont toujours su conserver cette identité malgré le numérique, comme s’ils humanisaient les pixels. Les foules qui débarquent à la fin de Ready Player One et Avatar, si elles ne sont pas en chair et en os, correspondent à des êtres auxquels nous pouvons nous identifier, qui nous ont été présentés, même de façon lointaine, à l’intérieur d’un monde neuf dans lequel nous avons eu le temps d’évoluer avec eux. Là encore, c’était l’une des grandes promesses d’Avatar, parfaitement résumée par Jean-Baptiste Thoret dans Charlie Hebdo lors de sa sortie : « Ce qui rend Avatar si troublant, et finalement si impressionnant, tient dans la parfaite coexistence visuelle que Cameron et ses magiciens du disque dur ont su établir entre les Na’vis […] et les humains. A tel point que l’humanité irrigue à merveille ces êtres de synthèse, tandis que le machinisme, le programme et la folie technologique déréalisent les humains ».

Un soldat futuriste et anxieux joué par Tom Cruise, en pleine bataille, scène du film Edge of Tomorrow.

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Fort heureusement, certains blockbusters ont su commenter et critiquer intelligemment la dérive inhumaine, au sens propre du terme, de tous ces climax mortifères. De cette décennie moribonde et endormie, on retiendra plutôt le ludisme d’un Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014) et son idée géniale de confronter indéfiniment Tom Cruise à la même bataille, comme un miroir ironique au cynisme de ces blockbusters aseptisés répétant ad nauseam les mêmes guéguerres pathétiques. Avec son concept tenu, son personnage burlesque et génialement interprété par Cruise, son casting surprenant, le meilleur long-métrage de Doug Liman reste l’un des blockbusters les plus réussis de la décennie et vieillira probablement mieux que 95% d’entre eux. Liman est moins radical que Paul Verhoeven, mais il y a bien quelque chose qui rappelle le génial Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997) dans sa manière de subvertir l’esthétique du blockbuster de son temps en s’en servant partiellement, autant ironiquement qu’au premier degré. Liman retient parfaitement la leçon de son homologue hollandais : pour mener à la réflexion, la subversion, il faut aussi du plaisir au premier degré, et jouer le jeu promis par le concept initial. Qu’elles furent rares ces productions aux concepts simples, évidents, cherchant avant tout le plaisir et l’identification au premier degré avec le spectateur. L’immense joie ressentie à chaque nouveau visionnage de Pacific Rim (2014), à mon sens le meilleur film (lui aussi) de Guillermo del Toro (même si la rédaction s’était montrée assez timorée à l’époque de sa sortie) était du même tonneau. On ne trouve dans ce grand récit d’action aucune recherche de connivence méta, de désacralisation décérébrée ou de blagues en pagaille, mais simplement l’alliage idéal entre les promesses technologiques de notre temps – se manifestant par un émerveillement numérique constant – et des jeux d’échelles absolument renversants (en particulier en 3D), ainsi que par une ligne claire dramaturgique d’une efficacité souveraine… La ligne claire, voilà ce qui fût la voie de salut dans les années 2010. Au moins trois scénarios fondamentaux l’ont emprunté, et les trois se sont faits raillés parce que leur argument tenait soi-disant sur « un ticket de métro ». Pourtant, les trois sont extraordinaires : le déjà cité Ready Player One, Gravity (Alfonso Cuaron, 2013) et bien sûr Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) que nous avons soigneusement gardé pour la fin. Il y a un paradoxe au cœur de notre réflexion. Si notre constat est globalement désastreux, force est de constater qu’il est contradictoire avec notre TOP 10 des meilleurs films de la décennie qui contient en son sein pas moins de trois blockbusters. Plus contradictoire encore, notre film de la décennie est un blockbuster lui aussi ! Si Interstellar (Christopher Nolan, 2014) s’éloigne volontairement de la logique de l’Entertainment – cherchant une forme d’exactitude scientifique et de sérieux thématique que l’on considère géniale ou plombante, au choix – Mad Max : Fury Road et Ready Player One sont de vrais blockbusters de divertissement, allant même jusqu’à apparaître comme de purs représentants des modes de cette décennie. D’un côté, la suite d’une franchise vieille de trente ans, de l’autre, une œuvre aux faux airs de best-of nostalgique, soient deux travaux dont nous aurions pu redouter l’existence. Or, ces chefs-d’œuvre ont éclairé notre décennie d’une manière extraordinaire, autant d’un point de vue créatif que d’un point de vue politique. On a plus d’une fois ici observé l’influence de Fury Road sur les blockbusters qui l’ont suivi – de manière plus anecdotique, on pourrait supposer qu’il est le film ayant remis au goût du jour une certaine imagerie cyberpunk qui est allée même jusqu’à toucher le zombie Palpatine de L’Ascension de Skywalker.

Les trois épouses d'Immortan Joe, dans la voiture rouillée avec laquelle elles ont pris la fuite, scène du film Max Max : Fury Road.

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En même temps, comme nous le disions à propos d’Avatar, on voit bien, cinq ans après sa sortie, que Fury Road est resté lui aussi un prototype, une comète sans précédent, et peut-être sans lendemain si ce n’est dans nos esprits à jamais hanté par cette œuvre sublime. Fury Road hante parce qu’il est la conjugaison inouïe d’une créativité sans limite, d’une immense prise de risques et d’un scénario résolument parfait, confrontant des personnages aussi concrets que conceptuels, non pas à de simples péripéties – à un énième mcguffin ou à des morts qui n’en sont pas – mais à des questions plus universelles. Alors que son univers pourrait paraître si loin du notre, nous y avons notre place. Non pas parce que Miller répondrait à tous nos désirs – qui aurait sérieusement demandé que Max soit bâillonné pendant toute la première partie du récit ? Que Gibson soit exclu de cette suite ? – mais parce qu’il nous invite à partager la douleur, les questionnements, les désirs de liberté et de survie de ses personnages. En cela, la question posée à la fin– « où devons-nous aller dans cette désolation, à la recherche du meilleur de nous-mêmes ? – fait office de note d’intention. Fury Road n’est autre que la figuration de questionnements profonds et de la folie du monde dans laquelle nous vivons et devons survivre. Il en va de même pour Gravity où le parcours de Sandra Bullock – au-delà d’être une expérience cognitive inoubliable pour le spectateur – est un apprentissage d’une grande profondeur. On s’est souvent moqué du film de Cuaron pour la simplicité de ses enjeux et son symbolisme parfois lourd – l’inévitable image fœtale était peut-être de trop – pourtant, n’est-il pas fort et surprenant qu’un blockbuster nous montrant à ce point le futur dans sa forme, nous invite avant tout à redécouvrir la vie autour de nous, à renaître au monde que nous habitons ? Est-ce vraiment si simpliste que cela ? Comment s’identifier à des personnages qui ressuscitent à volonté – soit dit en passant en contradiction avec toutes les règles posées préalablement dans leurs univers respectifs – comme ceux de Star Wars ? Chez Miller, Cuaron et Spielberg, chaque mort compte. Même dans Gravity, la réapparition tant moquée de George Clooney porte évidemment un sceau spectral, aucun doute que nous sommes confrontés à un mort. Dans Mad Max, le décès de la femme enceinte est un terrible traumatisme. Plus puissant encore, c’est également le cas de ceux des antagonistes. Contrairement à ce que l’on voit dans chacun des blockbusters Disney, où les « Wouhou !!! » pullulent à l’instant où l’on fait joujou avec des explosifs – et que, par conséquent, on tue – il n’y a jamais de réjouissances à tuer pour les héroïnes et les héros. Quand les femmes et Max tirent sur les mercenaires qui s’attaquent à leur camion, elles et il ne le font pas de gaité de cœur. Le final, à la fois sublime, amer et sauvage qui voit Immortan Joe se faire découper en morceaux par le peuple qu’il oppressait n’est pas non plus mis en scène comme une simple réjouissance cathartique. Il y a là une forme de déception, comme le final de Gravity peut être déceptif aux yeux de certains. Ces grands moments, ces grands longs-métrages ont à voir avec la « révélation » dont parle Scorsese dans sa tribune, alors autant le citer : « Pour moi […] le cinéma est une affaire de révélation (révélation esthétique, émotionnelle, spirituelle). Il s’agissait de personnages, de la complexité des gens et leurs contradictions, et parfois leurs natures paradoxales, la façon dont ils peuvent se blesser et s’aimer les uns les autres et se retrouver soudainement face à eux-mêmes. »

Le charmant monstre mi-hippopotame mi-chien du film Okja est sa maîtresse, dans la nature.

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Qu’il s’agisse de la conclusion de Ready Player One – où Wade (nous) demande si chacun est désormais prêt à se battre – de la question posée à la fin de Fury Road, ou de la tribune de Scorsese, tous convergent vers un même enjeu. La recherche du meilleur de nous-mêmes correspond aussi bien à l’invitation faite par Spielberg dans son film à éduquer et éveiller notre regard, qu’à celle de Miller d’unir nos forces et nos faiblesses face à l’adversité dans ses différents longs-métrages. Dans les deux cas, il s’agit en fait d’appels à l’exigence. La grande force de la tribune de Scorsese ne vient pas seulement du fait qu’elle pointe à juste titre les portes fermées d’un système devenu fou, mais aussi du questionnement qu’elle impose autour de notre responsabilité de spectateur. Scorsese rappelle que quand les spectateurs venaient voir un Hitchcock, « ils y allaient pour être surpris et heureux, et ils n’étaient pas déçus. » Aujourd’hui, comme il l’explique de nouveau très bien, font la loi les études de marché, les produits de consommations, les modifications en fonction des tweets, des réactions, des retours, etc. Bien sûr, on peut toujours se cacher derrière le manque de concurrence et de propositions alternatives. Je crois cependant qu’il ne faut plus avoir peur de dire que le manque d’exigence des spectateurs est aussi responsable, et qu’il faut absolument partir à la reconquête de cette exigence. On ne peut plus dire aujourd’hui, au sortir de Star Wars IX, que “tout cela n’est pas bien grave parce que le film plaît malgré tous aux enfants et que par conséquent il n’y a pas de raison de s’énerver” pour reprendre et fusionner des messages que nous avons nous-mêmes reçus suite à notre critique de cette conclusion morne. Ces arguments sont fatigants, inaudibles, odieux. Non seulement car ils prennent les enfants pour des idiots, incapables d’être confrontés à quelconque forme de violence (ou simplement de surprise) mais surtout parce qu’ils assument la médiocrité, considèrent qu’un blockbuster est et doit être, par essence, mauvais, laid, con. Accepter cela, c’est condamner les enfants à la bêtise et à de repoussants copiés-collés d’anciens films – voir aussi, en ce sens, les adaptations live action de Disney autre grande plaie de la décennie qui vient de s’achever. Au sein de la firme aux grandes oreilles, seul Tim Burton a prouvé qu’on pouvait encore aujourd’hui proposer des expérimentations réjouissantes et folles – son décrié Alice au pays des merveilles (2010), bien qu’il initie la mode des live-action et du 100% fond vert, reste passionnant à revoir aujourd’hui – ou de véritables entreprises kamikazes contre la maison-mère telles que sson très beau mais malheureusement un peu vain Dumbo (2019). Dans les deux cas, les enfants ne sont pas pris pour des imbéciles, et ils sont confrontés à de l’originalité, de la surprise, de la violence, et même du trouble. Alors pourquoi ces propositions sont-elles condamnées à être des exceptions ? Plus grave encore, comment se fait-il que le meilleur blockbuster destiné à des enfants de cette décennie, à savoir Okja (Bong Joon-Ho, 2017), ait été produit et distribué par Neflix ? Nous ne pouvons plus l’accepter.

Foule de pingouins sur la banquise, scène du film Happy Feet.

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L’appel à une forme de cohésion collective chez Miller n’est pas un vain mot dans le monde dans lequel nous vivons. C’est autant un appel à l’exigence qu’à la responsabilité. Miller n’a pas réalisé qu’un seul chef-d’œuvre cette décennie. Il l’a aussi ouverte avec une merveille qui pourtant fût un gouffre financier. Il s’agit d’Happy Feet 2 (George Miller, 2011) et c’est en tous points l’œuvre parfaite pour conclure et revigorer notre triste bilan. Extraordinaire expérience en relief, aventure simple, neuve, inventive et terriblement émouvante, cette splendeur était déjà, au tout début de cette décade, une forme d’apothéose de l’animation numérique. Au-delà du plaisir de revoir cette animation magnifique et intelligente – en particulier à l’ère des hideuses tentatives de soi-disant photoréalisme de Disney – Happy Feet 2 se révèle être surtout le grand film du sursaut collectif et en ce sens s’achève sur une séquence d’anthologie : une immense chorégraphie salvatrice, impliquant les plus petits des êtres – dont deux crevettes merveilleuses interprétées par Brad Pitt et Matt Damon – comme les plus imposants, dans un même souci de survie et de solidarité collective, au rythme du Under Pressure de David Bowie et Queen. Ils doivent chanter mais surtout danser ensemble pour libérer les manchots prisonniers d’un glacier depuis le début de l’histoire. Au milieu de la danse, Mumble interpelle Sven – génial personnage de faux prophète – alors qu’il était jusqu’ici l’un des antagonistes de notre héros. Malgré leur différent, et le mensonge révélé plus tôt de Sven, Mumble l’invite à danser avec eux. Car « chaque pas compte », lui dit-il. Que ces mots résonnent dans nos têtes au moment d’entamer une nouvelle décennie et espérer un véritable réveil de la Force, avec ou sans Jedi. « Every step counts ». Nos pas de spectateurs, tout particulièrement.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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2 commentaires sur “[Bilan 2010-2019] Blockbusters : Le Sommeil de la Force

    • Pierre-Jean Delvolvé

      Bonjour,
      merci pour votre commentaire !
      Avec un tel sujet, on ne peut pas être parfaitement exhaustif en un seul article. Réfléchir à l’intégralité des blockbusters sortis sur les écrans en une décennie mériterait une thèse, ou un livre en soi.
      Pour tout vous dire, d’autres “oublis” m’ont bien plus pesé à l’écriture – la trilogie de “La Planète des Singes”, superbe petite-fille de “Avatar”, mais déjà largement abordée dans l’article “Suprématie des Blockbusters Post-Fury Road” publié en 2018, les suites des sages James Bond ou M:I, ou encore les délires mégalos de Michael Bay. Il en manque encore beaucoup !
      Ceux-ci, et d’autres, auraient, bien évidemment, pu nourrir ma réflexion, en bien comme en mal, mais il fallait faire des choix pour ne pas être trop long (déjà 9 pages ici), trop répétitif, ou sombrer dans le travers du “catalogue”.
      Quant au film de Villeneuve, au-delà du fait que je ne l’apprécie pas beaucoup – il est pour moi le versant “chic” de la logique des franchises – il me semblait assez éloigné des enjeux de l’article, bien qu’il soit aimé par bon nombre de nos chroniqueurs (voire l’article à son propos publié lors de la sortie, et sa belle place dans le top 10 de l’année 2017).
      J’espère que cela répond à votre interrogation !
      Bien à vous !