Présenté en compétition à L’Etrange Festival (et fraîchement couronné d’un prix spécial à Deauville), le premier long-métrage de Carlo Mirabella-Davis, Swallow (de l’anglais « avaler ») est sans conteste l’un des films les plus bouleversants de la sélection, et probablement de tous ceux vu pour l’instant cette année. Avant sa sortie en salles prochainement, sous le parrainage bienveillant d’UFO Distribution (toujours aventureux) on vous propose d’argumenter les raisons pour lesquelles il faut attendre de pied ferme ce drame qui flirte avec le genre pour mieux s’en détourner.
Haut de coeur
La force et la spécificité de la sélection de l’Étrange Festival, ce qui la démarque de la concurrence, est sûrement sa faculté à aborder les cinémas de genre(s), mais pas que, sans a priori ou chapelles. L’éclectisme des longs-métrages proposés, brassant au plus large, s’appuie sur le mot-clé qui donne son nom au festival. C’est à peu près aussi l’ambition et la raison d’être de notre webzine que d’éviter de se limiter aux codes, aux cases toutes faites, et d’élargir son champs de recherche, portant son dévolu sur des objets qui sur le papier « ne seraient pas pour nous » mais qui alertent notre curiosité et notre appétit parce qu’ils convoquent un peu, ou beaucoup, ce même « étrange ». Cet héritage Midi-Minuiste dont Fais pas Genre se réclame apparaît tout autant revendiqué par l’éclectisme de la sélection de l’Étrange Festival. Si cet esprit d’ouverture peut amener parfois à des interrogations – on peine par exemple à comprendre, tout magnifique qu’il puisse être, ce que Lillian (Andreas Horvath, 2019), un road movie radical tiré d’une histoire vraie suivant le parcours d’une jeune russe déçue par le rêve américain qui entreprend de rejoindre son pays natal à la marche, a de véritablement « étrange » – il permet aussi au public, d’être désorienté et (parfois) agréablement surpris. Dans cette catégorie branlante des productions « sur le fil » le premier long-métrage de Carlo Mirabella-Davis, présenté en compétition officielle, est l’une des figures de proue de cette édition. Étrangement présenté par Frédéric Temps – semblant vanter un film « trash » dont on ne ressortirait pas indemnes – son introduction décalée et déconcertante a en un sens largement contribué à la surprise ressentie par l’audience. Car si l’on pensait en ressortir choqués, heurtés, dégoûtés, c’est au contraire plutôt émus et cueillis par le drame intime du personnage principal que le public hagard et sonné d’émotion s’est dirigé silencieusement vers la sortie.
Pour autant, le qualificatif d’« étrange » sied parfaitement à Swallow. Inspiré par l’histoire de la grand-mère du réalisateur, le récit suit le parcours de Hunter – incroyable Haley Bennett dont la prestation est le socle de la puissance émotionnelle du film – une jeune femme contrainte par son rôle de femme au foyer et par un mari étouffant, qui peine à s’affirmer et s’épanouir. Alors qu’elle tombe enceinte contre son gré, elle développe un trouble du comportement alimentaire, « le pica », qui consiste à ingérer des objets. En prenant des risques incommensurables pour son corps et pour son bébé, Hunter semble revivre et s’émanciper, se ré-appropriant son corps et ses émotions. Le portrait psychologique de la jeune femme et de son trouble, tout en finesse, est sans nul doute la qualité principale du long-métrage, qui émeut par sa justesse et sa délicatesse. Mais c’est aussi par sa mise en scène aussi maligne que brillante que le cinéaste parvient à développer l’empathie pour son personnage principal, développant son histoire à contre-pied des attentes. Si le sujet, racoleur en un sens, aurait pu donner lieu à une œuvre « trash », Carlo Mirabella-Davis filme les ingestions d’objets avec une forme de grâce qui cherche moins à faire grincer des dents ou ricaner – même si certains dans la salle, toujours les mêmes, ne peuvent s’empêcher de rires aux éclats au moment les moins appropriés – qu’à faire ressentir le plaisir d’Hunter à éprouver ce sentiment nouveau dans ce plaisir subversif.
De façon aussi naturelle que surprenante, Swallow bifurque dans son dernier tiers, fuyant le canevas du film de genre(s) qu’il effleurait jusqu’alors – on pense surtout beaucoup au cinéma de Cronenberg dans sa façon de fétichiser le corps meurtri et contraint, ici par l’ingestion d’objets dangereux – pour se jeter à corps perdu dans le drame psychologique. La mutation du récit moins un virage à cent quatre vingt degrés qu’une lente transformation naturelle, s’opère en même temps que le personnage prend la décision de fuir son domicile pour retrouver sa liberté – l’espace de la maison, pour une femme au foyer contrainte, est une forme de prison – si bien que la trajectoire du personnage impose l’évolution de la mise en scène, comme si le cinéaste fuyait l’espace « étouffant » du genre et de ces codes, en même temps que son personnage prend la route. Le mouvement du film et de sa narration en deviennent d’autant plus impactant et efficace, de même que l’empathie pour le personnage. Bouleversant de justesse, ce Swallow qu’on imaginait sur le papier comme l’une de ces productions qui n’a que pour seule ambition que de vous retourner l’estomac, s’impose comme la grosse surprise de la sélection dès lors qu’il parvint à émouvoir ceux, qui d’habitude, s’évertuent à ricaner gras. Si l’on en sort l’estomac intact et sans hauts de cœur, la gorge est nouée et le cœur, quant à lui, n’est pas tout à fait intact.
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