Pinocchio


Nous avions eu la chance de le voir sur grand écran au Festival Italien de Nantes, et nous sommes des privilégiés. Victime collatérale de la crise du covid-19, l’adaptation de Pinocchio de Matteo Garrone ne connaitra pas de sortie en salles en France puisqu’il débarque directement ce jour sur Amazon Prime.

Pinocchio et la Fée Bleue se sourient, assis sur un petit banc dans un parc, scène du film Pinocchio de Matteo Garrone pour notre critique.

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Une vraie tête de bois

Initialement prévue pour une sortie sur les écrans français le 18 mars dernier, l’adaptation Pinocchio de Matteo Garrone fait partie des nombreuses victimes collatérales de la crise inédite que nous traversons. Après, dans un premier temps, des annonces de reports, c’est finalement sur Amazon Prime que le film trouve une fenêtre de diffusion, inespérée diront certains, opportuniste diront d’autres. Pour l’heure, il n’est pas question ici de faire débat de cette stratégie et de ce qu’elle implique, directement ou implicitement, pour le devenir du cinéma. Mais justement, de parler de l’objet pour ce qu’il est, avant tout un long-métrage de cinéma, réalisé pour la salle. Le réalisateur italien se redirige une nouvelle fois vers le fantastique-fantaisiste après Tale of Tales (2015). On est en apparence assez loin des univers brutaux de Dogman (2018) et Gomorra (2008), mais il serait trompeur de croire que Garrone a suivi les traces des précédentes adaptations des aventures du pantin devenu petit garçon : son Pinocchio est bien plus sombre qu’il n’y paraît. En effet, le réalisateur a tenu à se montrer plus fidèle au roman original de 1881. Le livre initial de Carlo Collodi est en effet une pure tragédie où Pinocchio se retrouve pendu à force de jouer le trublion, sorte d’avertissement radical contre les vilains petits garçons. Méchant avec son père, méchant avec le grillon qui essaie de lui donner bonne conscience, le pantin finit par mourir torturé. Le choc des premiers lecteurs a vite conduit Collodi à légèrement édulcorer l’histoire avec la présence de la Fée Bleue. En évitant les écueils d’un récit trop tragique pour être grand public, Matteo Garrone a sélectionné une part égale de fantaisie comique et de réalisme pessimiste pour faire de son adaptation l’une des plus mesurées de ces dernières décennies.

Gepetto (Roberto Benigni) rappelle Pinocchio sur une vieille place ensoleillée, scène du film Pinocchio de Matteo Garrone.

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Les adaptations en films ou séries ne manquent pas, la plus connue étant bien sûr le dessin animé de Disney de 1940 qui s’éloigne considérablement de l’œuvre originale pour rester dans la positivité (bien qu’il soit aussi, par certains aspects, terrifiant, voir 10 scènes d’horreur dans les films Disney). On peut aussi nommer la mini-série italienne Les aventures de Pinocchio de Luigi Comencini en 1972, le Pinocchio américain de Steve Barron en 1996, ou encore l’adaptation de Roberto Benigni de 2002 où ce dernier jouait Pinocchio alors que dans cette nouvelle adaptation il tient le rôle de Gepetto ! Matteo Garrone doit donc relever un défi de taille en s’attaquant à une histoire soi-disant populaire, mais que bon nombre de spectateurs ne connaissent qu’à travers des adaptations édulcorées. Ils risquent alors d’être surpris par le retour aux sources tragi-comiques que Garrone signe ici. On y retrouve donc Roberto Benigni en Gepetto – on n’avait pas vu l’acteur au cinéma depuis To Rome With Love (Woody Allen, 2012) – un Gepetto sans le sou qui décide de sculpter un pantin dans une souche de bois qui se révèle être magique. Le pantin prend vie et il rentre direct dans le tas, pas le temps pour l’émerveillement, en avant les bêtises ! Le jeune Federico Ielapi joue un Pinocchio extrêmement expressif grâce au choix du maquillage prosthétique ; seuls quelques effets numériques ont été ajoutés pour renforcer l’impression de bois taillé. Le résultat est saisissant et permet au jeune garçon ainsi qu’à d’autres personnages comme le Chat ou le Renard de pouvoir livrer de réelles performances d’acteur.

Alors qu'il est à table, le nez de Pinocchio s'allonge, scène du film de Matteo Garrone.

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La relation père-fils entre Gepetto et Pinocchio devient vite le thème central du récit tant le pantin met son géniteur à rude épreuve dès son éveil. Immédiatement doté d’une fibre paternelle touchante, Roberto Benigni joue un Gepetto tout en sensibilité, bien loin du registre comique dans lequel on a pu voir l’acteur auparavant. Pinocchio est un peu plus agaçant sur les bords, notamment ses cris incessants, mais n’est-ce là la représentation même du vilain pantin ? Il n’apprend rien, il ne tire aucune leçon de ses malheureuses péripéties et la Fée Bleue (Marina Vacth) est de toute façon toujours là pour le sauver. Deux choses seraient néanmoins à regretter : l’aspect cyclique du long-métrage où des scènes de bêtises très similaires s’enchainent, donnant ainsi l’impression que le film tourne en rond pendant deux heures ; et le peu de développement accordé au personnage de la Fée Bleue, qui, d’abord enfant, devient adulte et qui aurait peut-être mérité qu’on lui accorde plus de temps au lieu de simplement servir d’issue de secours à toutes les tribulations du pantin. En revanche, les points forts ne manquent pas. Garrone manie parfaitement ce qu’on pourrait appeler le réalisme fantastique, où des éléments surnaturels se fondent sans problème dans un contexte réaliste. À aucun moment les personnages ne s’étonnent de voir un pantin parler, un homme-Renard ou un thon à tête humaine : l’univers fantaisiste des contes fait partie intégrante de la vie de tous les jours et n’est jamais remis en question. De surcroît, Pinocchio donne aussi l’occasion de profiter des beaux paysages de la Toscane, d’une Italie paysanne, certes miséreuse, mais qui confère un bel hommage au roman de Collodi qui ne tarissait pas d’éloge sur sa région natale. La magie opère, l’ensemble est crédible, et l’oscillation entre scènes comiques et scènes sombres (qui pourraient presque faire peur aux plus jeunes) permet enfin de faire l’expérience du vrai Pinocchio. Si l’adaptation de Garrone fait preuve de justesse et d’équilibre, on peut se demander à quoi ressembleront les adaptations à venir, car on n’a pas fini d’entendre parler du petit pantin : Disney prépare son live action normalement avec Robert Zemeckis aux commandes, et Guillermo Del Toro planche quant à lui sur une adaptation en stop motion pour Netflix.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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