The Hunt


Sous la houlette de Blumhouse, Craig Zobel nous invite à une chasse à l’homme sanguinaire avec The Hunt (2020). Cette relecture des Chasses du Comte Zaroff (Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932), placée à l’ère des réseaux sociaux et du complotisme, se veut une puissante satire de l’Amérique sur fond de série B à concept. Certes, The Hunt a bien fait grincer des dents aux USA – la promotion et les affiches n’ont pas manqué de le rappeler – mais toute cette controverse est-elle vraiment méritée ?

Une jeune femme prostrée dans une caisse en bois, en bordure de fortet, sous la surveillance d'un homme à côté, accroupie, une mitraillette à la main, scène du film The Hunt.

                                           © Universal Pictures

Chasse à court d’idées ?

Du Punishment Park de Peter Watkins (1971) au Chasse à L’Homme de John Woo (1993), en passant par le Traqué de William Friedkin (2003) jusqu’au deuxième épisode de la seconde saison de la série Black Mirror (« La Chasse », Carl Tibbetts, 2013), le film de chasse à l’homme est clairement un genre horrifique à part entière, source de réflexions aussi bien éthiques et morales que politiques. Derrière son caractère anxiogène mais extrêmement ludique – ce n’est pas pour rien si la nouvelle originale de Richard Conell s’intitule The Most Dangerous Game (1924) – voir des êtres humains prendre comme gibier leurs semblables interroge totalement notre rapport à l’autre et à nous-mêmes. Il y a cette idée qu’on peut à tout moment basculer et que l’Homme peut tout autant être son plus redoutable prédateur qu’une proie de premier choix. A partir de là, nos solides convictions sont bousculées. Tout cela invite à se remémorer la séparation essentielle entre l’Homme et l’animal. Les animaux qui tuent pour assurer leur subsistance sont qualifiés de sauvages. L’Homme qui tue pour le sport est dit “évolué”. Un peu contradictoire tout ça… Car dans un sens, la chasse s’apparente à une synthèse de tous nos instincts les plus primaires, à savoir pourchasser ou survivre, combinée à un certain plaisir morbide de se défouler. En bref, quand la civilisation n’est plus notre alliée, on peut se demander ce qu’il nous reste. Et puisque dans la survie on est tous pareil, voici donc le meilleur moyen de scruter ces satanés comportements collectifs.

Dans une cuisine banale et bien rangée, une femme brune tente d'empêcher une autre femme blonde de poignarder quelqu'un avec un couteau de cuisine, scène du film The Hunt.

                                        © Universal Pictures

Avec The Hunt, tout démarre par de simples messages échangés sur un écran d’ordinateur. A partir de là, l’annonce est faite : « la chasse est ouverte ». Ah que c’est ennuyant d’être milliardaire… C’est vite lassant de pouvoir se commander tout ce que l’on veut… Un groupe d’élite progressiste, lassé des jets privés, de l’alcool et des privilèges, décide d’organiser un tout nouveau jeu. Des bons types américains – ploucs racistes, redneck, alcooliques édentés, blondinette amatrice de yoga, complotistes acharnés et autres écologistes extrémistes – se font kidnapper et lâcher en pleine forêt, livrés à eux-mêmes. Ils étaient onze au réveil. A la fin, il n’en restera qu’un (oui, on cite Denis Brogniart !). Imaginez que vous vous réveillez ligoté et bâillonné, perdu, loin de chez vous, avec d’autres personnes dans le même état d’incompréhension que vous. Quelques mètres plus loin, vous trouvez une immense caisse remplie d’armes à feux, car nos riches organisateurs ne sont pas des sadiques voyons : ils offrent une chance à leurs proies de se défendre, afin de pimenter la partie, même si c’est pour tout de même vous éliminer un par un. Vous voilà donc armés, en compagnie d’inconnus, parés pour fuir face à d’indicibles ennemis. Les dés sont jetés et la paranoïa commence à faire son petit effet. Le choix le plus logique serait de se rassembler pour survivre, encore faut-il savoir qui est réellement dans votre camp. La confiance, elle, se fait bien rare dans de telles circonstances. Dommage pour notre chère élite car le jeu va rapidement déborder : au milieu de cette lutte des classes, une survivante bien badass – Betty Gilpin, vue récemment dans le dernier remake de The Grudge (Nicolas Pesce, 2020) – compte bien devenir la final girl et faire mordre la poussière à ses ravisseurs.

C’est sûr que The Hunt re-dynamise totalement Les Chasses du Comte Zaroff – l’exotisme et la romance en moins, l’immersion et la mise en scène en plus. Avec un budget de cinq millions de dollars et un mythe à dépoussiérer, Craig Zobel – qui signe son deuxième long-métrage après le déjà incisif Compliance en 2012 – s’inscrit pleinement dans la démarche high concept et low budget si bien vantée par ce bougre de Jason Blum, avec toujours, ce souci de réaffirmer une dimension politique et satirique au cœur des cinémas de genres. Mais malheureusement, à sa première vision, The Hunt nous laisse un léger goût d’insatisfaction. C’est vrai qu’on est tenté de répéter le constat fait pour la plupart des productions Blumhouse : à savoir un film concept qui ne parvient pas à surpasser les mécanismes qu’il déroule. En quelque sorte, The Hunt est atteint du syndrome American Nightmare premier du nom (James DeMonaco, 2013). Alors que l’Amérique entière peut lâcher les bêtes une nuit entière, nous, on reste enfermés dans une seule maison. Bon c’est sûr, ça réduit fortement les coûts pour ce cher Mister Blum… Néanmoins, dans la même cuvée de ré-appropriation contemporaine, le Invisible Man de Leigh Whannell faisait alors, plus tôt, office de référence. The Hunt, lui, nous donne rapidement cette impression d’être face à une boîte aux tiroirs un peu trop vides. Défaut que l’on retrouvait déjà dans des séries comme Lost ou The Leftovers ou encore dans le Prometheus de Ridley Scott sur lesquels œuvrait le talentueux scénariste de The Hunt, Damon Lindeloff… Résumons la patte de ce dernier ainsi : ce qui compte c’est l’emballage et ce que l’on projette dessus plus que ce qu’il y a à l’intérieur. Ne lui enlevons pas cette force d’offrir une forme de prolongation à du déjà-vu. Sur le papier, Lindeloff propose un bon nombre d’idées nouvelles et alléchantes – comme cette sacrément délirante ouverture de chasse où l’on adopte successivement le point de vue d’une proie à l’autre, au gré des pièges et des fusillades – quitte à se perdre en cours de route. Ainsi, les bonnes trouvailles ne manquent pas. Seulement sont-elles réellement abouties ? Autre hic, le caractère jouissif et grotesque de la violence étalée venant atténuer la gêne morale et viscérale qu’est censée provoquer la chasse à l’homme. A trop privilégier la problématique sociale, le potentiel déstabilisant du postulat initial est quelque peu gâché. Pourtant, à y repenser, le film de Craig Zobel a beau prendre des sentiers inattendus, se noyer dans un flot de transgressions de petit malin, il mène pourtant à un but précis. Une confrontation inévitable !

Une femme tient un couteau ensanglanté devant un coffre de voiture ouvert dans lequel on voit un corps allongé, scène du film The Hunt.

                                   © Universal Pictures

Par contre, là où excelle cette série B débridée, c’est qu’elle jette une bonne dose de gros sel sur pas mal de sujets à débats made in USA. C’est le fort du genre de décupler un sujet politique pour en montrer toute l’absurdité. Sans pour autant atteindre le niveau d’insolence et de rage du brésilien Bacurau (Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornolles, 2019), The Hunt touche plusieurs nerfs sensibles de l’Amérique. L’humour, habituellement problématique dans les productions horrifiques récentes, est ici un outil efficace pour pointer, dénoncer et détourner. On passe de la bonne réflexion qui prête à sourire (« Ils nous refont Avatar ou quoi ? ») au sarcasme le plus virulent – à l’image de ce dialogue entre une caissière de supérette et un fuyard demandant de l’aide (« On est traqués ! / – Mais vous êtes armés. / – Pour nous défendre. »). Car The Hunt aborde à l’évidence ce sempiternel débat autour des armes à feux, ces joujoux tant adorés de nos chers cousins américains. Et quand on les touche là-dessus, ça peut vite diviser et faire grincer des dents une bonne partie des conservateurs. Mais c’est en pointant cette brèche bel et bien réelle entre grands amoureux de la gâchette et ceux qui la rejettent, ce frottement entre chasseurs et chassés pourrait-on dire, que The Hunt appuie là où ça fait bien mal. Le long-métrage nous amène à penser la nuance entre attaquer et se défendre. Car un simple revolver de quelques centimètres confère à une personne la possibilité d’ôter la vie à l’un de ses semblables. Il suffit d’un simple mouvement d’index et boum, les conséquences sont irréversibles. La sortie maintes fois repoussée du film aux Etats-Unis – par suite de fusillades successives survenues en 2019, entre juillet et août, à Gilroy en Californie, El Paso au Texas et Dayton dans l’Ohio – n’a pas manqué d’accroître son aura polémique. Quand l’horreur dépasse de très loin la fiction… A tort ou à raison, la promotion du film a su bien profiter de cette terrible actualité – comme le dit si bien Jason Blum « le succès d’un film, c’est 50% sa qualité, 50% le marketing ». Néanmoins, beaucoup pourraient – et à raison – arguer que critiquer les armes à feux à travers un jubilatoire massacre entre riches et pauvres, destiné à des consommateurs voulant se rassasier d’images violentes sur n’importe quel type d’écrans, c’est pas mal aussi niveau paradoxe. Mais Zobel ne s’en cache pas, son film est avant tout un divertissement. Le but est bien d’en donner pour son argent au spectateur. 

L'héroïne de The Hunt prête à tirer avec une arme d'assaut, scène dans un garage dans le film The Hunt.

                                     © Universal Pictures

Finalement, c’est dans sa caricature des dérives conspirationnistes que The Hunt voit juste. De la même manière qu’il suffit d’un léger mouvement d’index pour tuer quelqu’un, il ne faut pas plus de quelques mots irréfléchis tapés sur un clavier pour lancer des bombes sur les réseaux. Les rumeurs virales et tout ce bordel de croyances filant à toutes vitesse sur le net sont les meilleurs combustibles au complot haineux. C’est clair qu’une rumeur disant qu’une PDG surpuissante pratique la chasse à l’homme pour le plaisir, aux alentours de son manoir de vacances, cela a de quoi titiller l’imagination affamée des complotistes paranoïaques. En ce sens, The Hunt est une pure métaphore de l’effet « boule de neige ». Ou quand l’image prend le dessus sur la réalité. Même s’il manque de peu de sombrer dans le trop ressassé conflit riches/pauvres, le vrai sujet du film est peut-être dans cette question politiquement incorrecte, pourquoi on n’accuserait pas les victimes ? Ceux qui pensent qu’il y a un complot sont dans un sens générateurs de ce complot. A alimenter nos propres délires, on décide en partie de faire exister le bidon. D’ailleurs, c’est à cause d’un simple tweet sur une plateforme que Donald Trump est parvenu à contraindre le studio Universal – co-producteur et distributeur du film – de repousser la sortie en salles. La crise du Covid-19 lui fera finir sa course dans le rayon VOD. Ce terrible constat nous amène presque à croire que la grande entreprise étatsunienne appartient bel et bien aux ignorants et aux incultes. Quant à The Hunt, il condense sur un immense plateau de jeu tout un tas de préjugés bien ancrés. Et dans cette bouillie de stéréotypes, la supercherie n’est que plus remarquable. On a donc affaire à un piège récréatif qui rappelle que derrière tout artifice ou supercherie se camoufle des crises et des enjeux bien plus brutaux et innommables – à l’image de l’immigration et de la crise des réfugiés – qui ne peuvent plus être contenus. A en juger par l’état d’ébullition actuelle qui se joue de l’autre côté de l’Atlantique, on aurait envie de lui donner raison. Encore un conseil bien utile, « pas de sentimentalisme camarades, la guerre c’est la guerre ». En attendant, profitez-en pour relire La Ferme des animaux de Georges Orwell, ça ne peut faire de mal à personne. Et n’oubliez pas, le vin c’est toujours après la chasse.


A propos de Axel Millieroux

Gamin, Axel envisageait une carrière en tant que sosie de Bruce Lee. Mais l’horreur l’a contaminé. A jamais, il restera traumatisé par la petite fille flottant au-dessus d'un lit et crachant du vomi vert. Grand dévoreur d’objets filmiques violents, trash et tordus - avec un net penchant pour le survival et le giallo - il envisage sérieusement un traitement Ludovico. Mais dans ses bonnes phases, Il est également un fanatique de Tarantino, de Scorsese et tout récemment de Lynch. Quant aux vapeurs psychédéliques d’Apocalypse Now, elles ne le lâcheront plus. Sinon, il compte bientôt se greffer un micro à la place des mains. Et le bruit court qu’il est le seul à avoir survécu aux Cénobites.

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