Invisible Man 1


Très attendu par les amateurs de productions horrifiques et les fans d’Elisabeth Moss, et ceux – sûrement moins nombreux – de Leigh Whannell (Insidious 3, Upgrade), Invisible Man se dévoile enfin en salles avec l’ambition de dépoussiérer la figure de l’Homme Invisible, par le prisme d’un lourd sujet de société.

L'actrice Elisabeth Moss interprète Cecilia sous la douche, qui ne remarque pas une étrange emprinte de main d'homme marquée dans la buée, scène du film Invisible Man.

                                                      © Universal Pictures

Don’t you know that you’re toxic ?

La malice de ce remake de L’Homme invisible (James Whale, 1933) réside dans son utilisation du mythe pour parler de violences conjugales et des mécanismes de manipulation des pervers narcissiques. Il s’ouvre sur sa protagoniste, Cecilia qui quitte un soir en trombe l’appartement high-tech et hyper-sécurisé de son petit-ami Adrian. Réfugiée chez des amis, elle lève le voile sur le comportement violent de son conjoint et l’emprise psychologique qu’il exerce sur elle. Alors que Cecilia vit encore dans la crainte que son petit ami ne ressurgisse dans sa vie, elle apprend que ce dernier se serait suicidé. La présence pesante d’Adrian s’estompant difficilement, les craintes de Cecilia vont se confirmer à mesure qu’une force invisible s’amuse à la malmener.

Cecilia assisie sur le bord du lit en chemise de nuit, elle est angoissée pendant que son mari dort allongé derrière elle, scène du film Invisible Man.

                               © Universal Pictures

Le petit budget assigné à cet Invisible Man et la capacité des productions Blumhouse à osciller entre le très bon et le nullissime avait de quoi nous terrifier. Mais le long-métrage brise vite l’image de production horrifique bas de gamme qu’il aurait pu être. Sans le savoir, les spectateurs se retrouvent face à un vrai « film d’auteur ». Premièrement parce que Leigh Whannell est non seulement réalisateur mais a aussi signé le scénario – à noter qu’il est en fait surtout connu pour son activité de scénariste notamment sur la saga Saw (2003-2006) et la majorité des travaux de James Wan. Un scénario intelligent qui mise sur les capacités de l’Homme Invisible pour corroborer à la psychologie plus réaliste des autres personnages. Le fantastique retrouve alors ici sa valeur de parabole du monde réel : la menace invisible qui pèse sur Cecilia est synonyme de la paranoïa qui hante les victimes de relations abusives et violentes. Dans le cas d’une emprise psychologique, il n’y a plus aucune sensation de sécurité, un état parfois dérisoire aux yeux de l’entourage des personnes touchées par ces angoisses… Un postulat dramatique et réaliste donc, vite pimenté par l’introduction du fantastique et de l’invisible pour accentuer un sentiment d’immersion chez le spectateur. Une immersion sensorielle d’abord, afin de mieux ressentir les effets horrifiques de la mise en scène qui repose sur des choix de cadres et d’angles judicieux. Invisible Man contient de longs plans fixes, qui ont d’abord valeur d’occulter ce qui se passe hors-champ – l’invisible du cinéma – tout en s’assumant comme des regards appuyés de l’Homme Invisible scrutant Cecilia. En parallèle, le film multiplie les plans larges, exigus, dans lesquels, comme l’héroïne, le spectateur cherche inexorablement d’où la menace peut bien surgir, se terrer. Mais la mise en scène de Leigh Whannell ne se limite pas à cela. Ceux qui ont vu Upgrade (2018) le savent, le réalisateur aime jouer avec sa caméra. Comme dans son avant-dernier projet, les scènes de confrontation d’Invisible Man sont dynamiques, les cadres sont très agiles tout en gardant de la proximité physique avec le sujet filmé. Les chorégraphies et le jeu des acteurs rendent ces affrontements sans shaky cam, d’autant plus percutants.

Cecilia refugiée dans un grenier avec un couteau, recroquevillée sur elle-même, scène du film Invisible Man.

                                               © Universal Pictures

Mais le cœur du long-métrage réside d’abord dans l’immersion qu’il propose dans la psychologie de Cecilia. Invisible Man se base sur une idée simple : est-ce que la figure de l’Homme Invisible peut rendre compte du traumatisme personnel de la violence conjugale et l’emprise d’un conjoint sur l’autre ? Le concept fonctionne très bien pour exprimer plusieurs aspects des maux qui touchent Cecilia. En premier lieu la défiance. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de se mettre à la place d’une personne ayant subi des violences conjugales et psychologiques quand nous n’en avons pas subies nous-même. La présence d’une nuisance perverse et invisible que malmènerait seulement Cecilia donne autant de stress à l’héroïne que de suspicions à son entourage quant à sa capacité à se détacher du souvenir et de l’emprise d’Adrian. Dans le même temps, comment se détacher d’un homme ayant sciemment manipulé, battu, brimé, la femme avec qui il vivait ? Contrairement à ce que l’entourage peut penser, le poids d’une telle relation continue de hanter bien après la « mort ». Le récit traite également d’autres troubles qui peuvent suivre dans des cas similaires à Cecilia et des différents mécanismes mis en œuvre par les agresseurs pour préserver leur emprise : générer un sentiment constant de suspicion chez la victime, nourrir sa culpabilité, faire en sorte, pour se redonner une bonne image, d’être moins le bourreau qu’une épaule sur laquelle se reposer… Des facettes psychologiques bien retranscrites par le scénario et surtout bien aidées par l’excellente performance d’Elisabeth Moss. Autant d’idées intéressantes et bien exécutées qui réussissent à se contredire péniblement dans une ultime scène… Un passage obligé par de gros spoilers est nécessaire. Soyez prévenus, si vous n’avez pas vu le film, arrêtez-vous ici.

L'acteur Oliver jackson-Cohen lance un regard inquiétant, scène du film Invisible Man.

                                 © Universal Pictures

Une fois l’Homme Invisible vaincu par Cecilia, celui derrière le masque n’est pas Adrian, mais son frère jaloux. Adrian aurait été séquestré et donc hors de cause. Cecilia croit à un énième stratégie de son petit ami pour se racheter une image, tandis que son entourage essaye de la persuader de son innocence. In fine, elle décide de le revoir, équipée d’un micro afin de lui soutirer des aveux. La rencontre est tendue, il est impossible pour Cecilia comme pour le spectateur de déterminer si Adrian était vraiment le cerveau derrière tout ça. Alors qu’elle semble prête à lui pardonner, que les griffes se referment sur elle, Cecilia s’absente un instant. Un couteau se met à voler et tranche la gorge d’Adrian. Cecilia quitte la maison, emportant le costume d’invisibilité, expliquant froidement à son ami à l’autre bout du micro que son ex petit ami s’est suicidé… Cette séquence interroge à plusieurs niveaux. Pourquoi Cecilia, dont le statut de victime de comportements abusifs était jusqu’alors touchant et bien traité, sans ressentiment mortel envers Adrian, se transforme subitement en femme vengeresse ? Pourquoi quitter le lieu du crime avec l’arme qui lui a causé tant de souffrances ? Pourquoi avoir tué Adrian avec le même mode opératoire qui l’a tant fait souffrir ? Pourquoi cette dernière pose faussement impressionnante ? Ces questions sans réponses soulignent l’absurdité d’un final qui semble totalement contradictoire et hors de propos. La raison de cette drôle de fin tient peut-être dans le basculement qu’opère la narration dans son dernier tiers, sortant du film d’auteur exigeant pour s’engouffrer dans le piège de la franchisation à outrance. Invisible Man aurait pu se suffire amplement à une réflexion sur ce que peuvent illustrer les monstres de cinéma aujourd’hui à savoir comment représenter nos traumatismes les plus intimes ? Mais, décision du studio ou du réalisateur, l’objet s’achève dans le même esprit que le récent La Momie (Alex Kurtzman, 2017), censé lancé un Dark Universe, franchise (re)mettant sur le devant de la scène les fameux Universal Monsters, dans des versions plus héroïques. Il peine de voir Invisible Man succomber à ce chant des sirènes, surtout quand tout le film peut se targuer d’une certaine maitrise de sa mise en scène, de ses acteurs et de son sujet.


A propos de Pierre Nicolas

Cinéphile particulièrement porté sur les cinémas d'horreur, d'animation et les thrillers en tout genre. Si on s'en tient à son mémoire il serait spécialiste des films de super-héros, mais ce serait bien réducteur. Il prend autant de plaisir devant des films de Douglas Sirk que devant Jojo's Bizarre Adventure. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZUd2


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Commentaire sur “Invisible Man

  • Benjamin Adam

    « La rencontre est tendue, il est impossible pour Cecilia comme pour le spectateur de déterminer si Adrian était vraiment le cerveau derrière tout ça. »


    Il termine sa dernière réplique par « Surprise », à savoir le mot qu’il avait envoyé par SMS lors de la scène du grenier (et prononcé sur un ton lourd de sens). Si, en effet, la scène joue dans un premier temps sur le doute de sa culpabilité, cette dernière réplique est non seulement un aveu (c’était bien lui) mais c’est aussi et surtout l’affirmation d’une impunité (elle ne pourra jamais le prouver). C’est on ne peut plus clair et évident.
    Elle lui donne une chance de se racheter en avouant. Il ne la saisit pas et – pire – se gargarise de son impunité… et c’est ce qui la pousse à agir comme elle le fait.

    Personnellement, le dernier dialogue entre Cécilia et James, l’ami policier, qui suit cette séquence m’a paru terriblement explicatif et absolument pas nécessaire. Mais à vous lire, il était en effet possible de passer à côté de la scène.