La famille Cronenberg n’a visiblement pas fini d’éprouver nos rétines. Cette fois, le fils, Brandon Cronenberg revient avec un second long-métrage, Possessor (2020) successeur de Antiviral (2013) pour envahir l’Etrange Festival et vient questionner le corps et l’identité dans un thriller basé sur une machine permettant à son utilisateur de contrôler le corps d’autrui, notamment dans le but d’effectuer des actes plus que répréhensibles.
Je te tiens, tu me tiens
Il est certain qu’il n’est plus nécessaire aujourd’hui de présenter David Cronenberg. De La Mouche (1986) à Crash (1996) on ne compte plus les films cultes réalisés par le bonhomme, cinéaste fascinant auquel nous avions d’ailleurs consacré un dossier rétrospectif. Mais depuis quelques années, il faut également compter sur son fils, qui avec son premier long-métrage remarqué Antiviral (2013) nous ayant particulièrement séduit à l’époque, Brandon Cronenberg a réussi à se faire un prénom. Aussi son second long-métrage, Possessor (2020) présent en compétition à l’Etrange Festival, était ici quelque peu attendu après sept longues années d’attente ponctuées par quelques courts-métrages dont They Come to You (2019), d’ailleurs salué l’an dernier à l’Etrange Festival où il remporta le Grand Prix du Court-Métrage. Après son premier essai présentant de très grandes proximités thématiques avec la filmographie de son père, on attendait de voir avec impatience si Cronenberg deuxième du nom réussirait à nouveau à nouveau à assumer sa filiation tout en conservant et raffermissant une patte plus personnelle et singulière.
Ici, exit la société dystopique de Antiviral qui dénonçait les affres de la célébrité et de la société du divertissement. Avec Possessor, on ne s’en tirera pas à si bon compte, les premières minutes plongeant déjà dans une imagerie dérangeante. Gros plans sur un crâne sur lequel on branche une machine. Dans le miroir, en bidouillant les boutons, la personne qui s’inflige cet exercice encore incompréhensible du spectateur, semble passer d’émotions en émotions. Nous voilà prévenus, le second film du cinéaste n’est pas un long-métrage aimable et rien n’est fait pour nous y mettre à l’aise. Une recherche de déstabilisation du spectateur qui n’a rien d’étonnant venant d’un Cronenberg. Celle à l’intérieur du corps que l’on vient de voir, s’appelle Tasya Vos, et ce corps, ce n’est pas le sien. Elle fait partie d’une agence très spéciale (privée, publique, ce n’est pas bien clair), maitrisant une technologie permettant de prendre le contrôle pour une durée limitée du corps de quelqu’un d’autre. Et prendre le corps de quelqu’un d’autre, ce n’est ici vraisemblablement pas pour des motivations très altruistes. Il s’agit plutôt visiblement d’assassiner, en toute discrétion, une cible. Prendre le contrôle de quelqu’un ayant un accès facile à la personne visée, la tuer, puis se tuer, ne laisser ainsi aucune trace. Et Vos est dans l’agence qui l’emploie, la meilleure des meilleures à ce petit jeu. Sous les ordres de sa patronne interprétée par Jennifer Jason Leigh elle enchaine les missions de ce genre. Ce manège de possession tourne vite au plus mal lorsque, l’homme qu’elle utilise pour assassiner un riche patron d’une entreprise de Data Mining et sa fille, décide de ne pas se laisser faire.
Finalement, cette société évoquée plus haut, si elle semble au premier abord plus réaliste, n’en est pas moins terrifiante. Vue par le prisme de cette agence d’assassins utilisant froidement des corps à sacrifier pour accomplir leurs buts, tout n’a l’air qu’apparat et imposture. Vos, à force de possession, semble de plus en plus incertaine de sa propre identité – au point de devoir s’entrainer à discuter avant de revoir son fils. Finalement, c’est le concept d’aliénation que travaille au corps le scénario de Possessor. C’est évidemment le cas pour l’héroïne qui a de plus en plus de mal à se séparer de la personne et du corps qu’elle habite. Mais cela semble être tout autant le cas pour tous les autres personnages, notamment pour l’entreprise qui est la cible de la mission. La vision des lignes d’employés sous des casques VR effectuant des tâches abrutissantes de machine learning est à ce titre éloquente. Tout le monde semble ici lutter avec sa propre identité et perdre prise avec la réalité, sans même avoir besoin de passer par une machine substituant les corps.
Sans grande surprise, les thèmes développés par Brandon Cronenberg dans son second film sont à nouveau très proches de ceux qui ont animé la filmographie de son père pendant des décennies. L’altération, le rapport à la machine ici intégrée à l’homme (pour posséder un corps, on doit passer par une opération au cerveau), la confusion entre fiction et réalité, sont autant de thématiques qui rappellent l’immense eXistenZ (David Cronenberg, 1999) – avec la même Jennifer Jason Leigh. Malheureusement, malgré son ambition, Possessor ne parvient pas durant ses deux heures à convaincre et impacter autant qu’eXistenZ en son temps. Si le long-métrage est plastiquement très réussi – la séquence de « transfert » d’un corps vers l’autre par exemple revisite avec modernité et force un grand motif du cinéma d’horreur qu’est celui du corps fondu, les nazis des Aventuriers de l’Arche Perdue (Steven Spielberg, 1981) s’en souviennent encore – ce thriller de science-fiction n’échappe pas aux longueurs, la faute à un propos qui semble régulièrement radoter, notamment dans sa deuxième partie. L’extrême violence qui éclate par moments, les plans « chocs » semblent alors malvenus, pas entièrement maitrisés. S’il demeure intriguant et esthétiquement passionnant, Possessor n’arrive pas complètement à prendre le contrôle de son spectateur. Fatalement, Brandon Cronenberg échoue alors à confirmer le succès de son premier essai autant qu’à parvenir, enfin, à “tuer le père”.