Dix ans après nous avoir fait voyager pour la première fois dans les landes des terres du milieu pour l’épopée filmique la plus dantesque et culte de ces dernières années, le néo-zélandais Peter Jackson, dix-sept oscars en poche, revient aux affaires pour livrer l’adaptation de ce conte pour enfants : Le Hobbit, un voyage inattendu.
Le retour du Roi
Pour beaucoup de jeunes gens, qui, comme moi, ont fait leurs poils de barbe dans les années 2000, les trois volets du Seigneur des Anneaux sont aussi importants et fondateurs que la première trilogie Star Wars pour leurs parents, ou la trilogie de Retour vers le Futur pour leurs grands frères. Alors autant dire que c’était avec une impatience démente que j’attendais de pouvoir poser mes petites fesses dans un fauteuil de cinéma pour réentendre les premières notes d’Howard Shore et repartir voyager dans cette Terre du Milieu qui me manquait tant. Outrepassant la première vision du film, littéralement gâchée par le très pénible procédé HFR (voir mon article détaillé sur le sujet) j’ai eu le courage de retenter l’aventure, mais cette fois, dans sa magnifique 3D classique.
Dès ses premières secondes, Le Hobbit : un voyage inattendu dégage un sentiment de nostalgie palpable, Peter Jackson convoquant allègrement tous les souvenirs visuels et sonores de la trilogie révolue. En faisant le choix malin de lier directement ses trois nouveaux films à la trilogie de l’anneau – cette histoire-ci se déroule pourtant soixante années plus tôt – Peter Jackson réussit sans doute là l’un des tours de force du film, et de l’entreprise générale. Transformer un petit livre de quelques centaines de pages en une grande aventure épique se déroulant sur trois films, il fallait le faire. Le récit enfantin et fébrile du roman de Tolkien – beaucoup moins dense que celui du Seigneur des Anneaux – est ici habilement densifié par des apports de texte annexes qui donnent à cette aventure une cohérence et une continuité naturelle avec la première trilogie.
Il n’en demeure pas moins que ce choix dévoile parfois ses limites. Quelques ajouts, un poil maladroits, affaiblissent le scénario de plusieurs longueurs. Si, lors de la première vision, l’entrée en matière chez Bilbo m’avait semblé laborieuse et un poil étirée, lors du second visionnage, elle s’est révélée être à mes yeux la meilleure séquence du film. L’écriture est d’une finesse exquise et dresse habilement le portrait de ce casanier Bilbo et de ces joyeux lurons de nains qui viennent le sortir de son quotidien trop rangé. Les longueurs, étonnamment, se constatent davantage dans des scènes plus courtes et moins denses. Ainsi, la scène d’introduction du personnage de Radagast, la séquence du Conseil Blanc suivie de l’entrevue privée entre Gandalf et l’elfe Galadriel, apparaissent vraiment comme des séquences bonus qui auraient mieux à faire dans une version longue. Le choix de les conserver et de les placer à ce moment de l’intrigue – un peu tôt en vérité – révèle probablement la nécessité pour Jackson et son équipe de scénaristes d’installer une seconde intrigue qui viendra conclure le troisième film et faire le pont avec le contexte de la Guerre de l’Anneau. Gageons alors que ces longueurs prendront tout leur sens lorsque la trilogie pourra être vue dans son ensemble.
Pour le reste, il faut bien dire qu’il y a, dans ce voyage inattendu, quelques séquences d’une beauté visuelle sans pareil, destinées à devenir immédiatement cultes. Ainsi, l’onirisme éblouissant de cette séquence de combat entre des montagnes vivantes, et l’évasion spectaculaire de Goblinville prouvent – s’il en était encore besoin – que Peter Jackson reste l’un des plus grands metteurs en scène sur le terrain de l’action épique et fantastique. Par ailleurs, les cinéphiles les plus passionnés, adeptes des débuts du cinéaste, seront même très heureux de redécouvrir au détour de cette histoire plus légère, l’habilité que Peter Jackson peut avoir à manier l’humour. Il est évident que le néo-zélandais se sent vraisemblablement plus proche de la gouaille légendaire des nains que du sentimentalisme hobbit ou de la fébrilité humaine, omniprésents dans Le Seigneur des Anneaux.
Malheureusement, on ne peut pas nier que Le Hobbit : un voyage inattendu souffre clairement de la comparaison avec le premier volet de la précédente trilogie, qui, comme lui, posait les bases de l’histoire, des personnages et de leur quête. La quête ici est bien moins décisive, les enjeux dramatiques moins conséquents. Il ne s’agit plus de sauver la Terre du Milieu, et on est loin de la sempiternelle lutte du bien contre le mal. Ici, il s’agit d’une troupe de nains qui s’embarque dans un voyage pour reconquérir leur royaume tombé sous le joug d’un dragon. Le but de la quête a donc clairement moins de potentiel dramatique, mais c’est justement là que le scénario tire vraiment son épingle du jeu car de fait, il accentue l’attention sur les personnages : le portrait du héros Bilbo est d’une étonnante efficacité. Avec finalement très peu de présence à l’écran, l’évolution du jeune hobbit tout au long de ce premier opus est rendue « palpable » – sublimée, il faut bien le dire, par la prestation absolument bluffante d’un Martin Freeman so british dans ses pieds poilus. Un soin tout particulier est aussi mis pour donner au personnage de Thorïn l’épaisseur d’un héros idéal au caractère dense et au charisme chatoyant, tandis que des personnages qui nous étaient pourtant déjà bien connus – le magicien Gandalf et le toujours plus réaliste Gollum – révèlent ici de nouvelles facettes de leur personnalité.
On regrettera néanmoins que le grand méchant de ce film, l’orque pâle Azog, soit finalement un adversaire peu intéressant – il souhaite se venger de Thorïn, et vice et versa – dont les diverses apparitions sont qui plus est assez rébarbatives. Le vrai bon méchant de ce film reste clairement le Roi Gobelin, la séquence dans les cavernes de son royaume étant, encore une fois, celle qui sans nul doute restera dans les mémoires. Cette séquence montée en parallèle avec la très réussie scène des énigmes dans le noir – entre notre cher Hobbit et le vilain et torturé Gollum – forme un bloc d’une bonne demie-heure qui constitue probablement là le sommet artistique et dramatique du film. Autre point noir, la présence un peu envahissante des effets numériques, toujours parfaits, mais qui remplacent un peu trop systématiquement les costumes et « trucs » qui donnaient aux premiers volets un charme si particulier. L’orque Azog, toujours lui, aurait d’ailleurs probablement gagné en épaisseur s’il n’était pas généré par ordinateur. L’effet numérique lui donne bien moins d’âme et de puissance qu’aux grands méchants du Seigneur des Anneaux tels que l’Uruk-Hai Lurtz ou l’orque à la gueule d’abcès nommé Gothmog. De plus, si la vision de la trilogie initiale, dix ans après, étonne toujours aujourd’hui car aucun des effets numériques n’a pris une ride, cette nouvelle trilogie débordante d’effets, devrait pâtir d’avantage de ce vieillissement et finir rapidement dans le rayon des films aux effets numériques vieillissants dans quelques années.
Qu’importe si ce retour en Terre du Milieu n’est pas dénué de défauts et de longueurs, il me tarde déjà d’en découvrir la suite. Il me reste à espérer que tous les éléments un peu rébarbatifs ou laborieux de ce premier volet trouvent véritablement un écho dans la suite de l’aventure. Malgré les nombreux points noirs et les quelques points d’interrogation, difficile de bouder son plaisir devant ce grand spectacle d’une efficacité redoutable. Reste qu’il faille nécessairement adhérer à l’univers, et heureusement pour moi, par ma barbe, c’est bel et bien le cas.
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