Avec Bienvenue à Marwen, le réalisateur culte Robert Zemeckis revient à plusieurs de ses grands amours : le mélodrame sous fond de biopic, la motion-capture et le film à grand spectacle. Un savoureux mélange qui pourrait bien déjà s’imposer comme l’un des longs-métrages les plus surprenants d’une année qui ne fait pourtant que commencer.
La poupée vous va si bien
Tout commence par des rafales d’avion durant la Seconde Guerre Mondiale, le soldat Hogie, un drôle de mélange numérique entre Ken, Action Man et Steve Carell s’écrase en Belgique, pas très loin du village fictif de Marwen. Pas de bol, ses chaussures en plastiques fondent comme neige au soleil, et il se rabat sur des escarpins abandonnés dans une voiture pour continuer son aventure et gagner la guerre contre l’Allemagne nazie avec son équipe de poupées badass. Poursuivi par une sorcière jalouse qui refuse que Hogie trouve l’amour, le capitaine se démène tant bien que mal pour mener à bien sa mission, en gardant en vie le maximum de ses « dames ». Dans la vraie vie, ces poupées de plastiques sont mises en scènes et photographiées par Mark Hogancamp, un quadra en tongs, qui consomme beaucoup trop de café et de cigarettes et qui a construit dans son jardin des dizaines de maquettes du village fictif et belge de Marwencol. Avec ce village et son imaginaire, Mark tente tant bien que mal de se reconstruire après une violente agression à caractère homophobe – il a avoué porter des talons hauts pour le plaisir chez lui, attribut typiquement féminin pour ses agresseurs qui n’ont pas été éduqués à la théorie du genre – après laquelle il a passé un an à retrouver ses capacités motrices, et sa mémoire, vainement pour cette dernière. Mark ne se souvient plus de sa femme – de sa vie d’avant l’agression en général – et ne sait même plus dessiner, ce qui était à l’époque son échappatoire artistique. Mais Mark tout en tombant amoureux de sa nouvelle voisine, doit surtout affronter ses agresseurs lors d’un procès, qui tombe le même jour que son exposition photo, et il en est terrifié.
Enfant des années 90 ayant grandi en regardant en boucle l’irrévérencieux Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (1988), la géniale trilogie des Retour vers le Futur (1985-1990) ou encore le glauque mais non pas moins jouissif La mort vous va si bien (1992) – mes parents me laissaient vraiment regarder des drôles de trucs quand on y pense – il me reste difficile de ne pas admettre que Robert Zemeckis fait partie de ces grands réalisateurs qui, le temps passant, n’ont pas tout à fait su pérenniser la maestria déployée à l’acmé de leur filmographie, même si ces dernières années on avait retrouvé Zemeckis au meilleur de sa forme avec l’excellent Flight (2012) qu’il avait légèrement reperdue avec le fade The Walk (2015) et le déjà oublié Alliés (2016). Car après Seul au Monde (2000), le cinéaste s’était quelque peu paumé sur les terrains de l’expérimentation, se distinguant comme précurseur de la motion et performance capture. Le premier long-métrage à être réalisé intégralement en motion-capture est Le Pôle Express (2004), dans lequel Tom Hanks joue plusieurs personnages, dont celui d’un enfant ou d’un contrôleur de train bien plus âgé que lui. Il réalise ensuite La légende de Beowulf (2007) également intégralement en performance capture cette fois-ci, en améliorant sans cesse la technique, puis Le drôle de Noël de Scrooge (2009). Si l’on ne demande pas forcément à la motion ou performance capture de donner des résultats réalistes, sur le plan graphique néanmoins les précédents films de Zemeckis sont ratés. Froids, figés, dont les personnages manquent cruellement d’émotions, on n’avait qu’une envie : interdire l’utilisation de la capture de mouvements et de performance à Zemeckis tant il ne savait pas maîtriser ses propres avancées. Aujourd’hui avec Bienvenue à Marwen, Zemeckis réalise enfin (mais genre « ENFIN »!) un objet partiellement en performance capture avec justesse, en se servant de cette technologie pour créer des poupées aux faux-airs de Steve Carell et des femmes gravitant autour, permettant au public d’accéder à l’imaginaire – et par là même à la thérapie par l’art – de Mark, et le tout sans gros sabots. Jusqu’alors, le réalisateur voulait une capture parfaite et intégrale des émotions et du jeu des comédiens, ce qui ratait à chaque fois. Dans Bienvenue à Marwen, le réalisateur explique qu’il ne désirait pas la perfection des expressions des comédiens pour les poupées, ce qui lui réussit à merveille. La leçon est retenue !
Par le prisme de la poupée mannequin, Mark trouve une alternative à son incapacité à dessiner – il était artiste avant son agression – et affronte son traumatisme via son alter ego de plastique, qui sait se défendre contre les méchants. Pour autant ce film a des défauts narratifs, notamment sur la représentation de la femme dont la quintessence est le port des talons, et dont le rôle dans la reconstruction de Mark est uniquement maternel – toutes les femmes dans l’entourage de Mark l’aident, il n’y en pas une seule qui est là juste pour discuter ou boire un coup – et amoureux. Mais il est néanmoins difficile de juger et de remettre en question le personnage de Mark, qui n’est pas un personnage fictif – le récit dévoile la véritable histoire de Mark Hogancamp – et qui en plus est attachant et brillamment incarné par Steve Carell dont la palette d’émotions ne cesse de s’élargir à chaque projet. Mais le film de Zemeckis aborde – sans trop se mouiller néanmoins – la déconstruction du mythe de la masculinité, qui est entretenue par Mark lui-même, en utilisant des poupées, musclées et viriles pour son double et ceux des Nazis. Dans ce long-métrage, un homme pleure, a peur et aime porter des talons tout en étant a priori cisgenre – c’est à dire que le sexe avec lequel il est venu au monde lui convient, il se sent homme dans un corps d’homme et hétéro. S’il y a bien un message à retenir ici, c’est que oui, les garçons, vous pouvez aimer porter des talons et avoir un zizi sans que ce soit incompatible. Les rôles sont impeccablement distribués même si Gwendoline Christie abuse franchement sur l’accent russe. Leslie Mann qu’on a plus l’habitude de voir dans des comédies, incarne ici une « Nicol-sans-e », bienveillante et compréhensive, et Diane Kruger une parfaite méchante sorcière belge à l’accent allemand. En bref, malheureusement un peu boudé par le public, Bienvenue à Marwen permet à 2019 de démarrer son année de cinéma sur une note optimiste et humaniste. Et c’est ça qu’on veut !
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