Après avoir galvanisé l’excitation du spectateur avec un second volet plus inspiré que son prédécesseur, l’attente était forcément beaucoup plus grande autour de ce troisième opus de la saga du Hobbit, pour lequel le réalisateur et ses équipes promettait du jamais vu. Et en effet, Peter Jackson ne nous avait pas habitué à ça.
Le (pas) Retour du Roi
Je vous en avais déjà parlé aux détours des articles que j’avais consacré au premier volet Le Hobbit : Un voyage Inattendu (2012) puis au second Le Hobbit : La Désolation de Smaug (2013) : même si j’ai grandi avec la saga du Seigneur des Anneaux (2001-2003) je n’avais pas été pleinement emballé par ce retour en Terre du Milieu, tant le charme de la première saga s’était évaporé dans les enfumages d’effets spéciaux poussifs. Malgré tout, le deuxième épisode avait largement relevé le niveau de son prédécesseur qui s’était englué, comme La Communauté de l’Anneau (2001) jadis, dans les longueurs relatifs à tout épisode d’installation. Avec sa construction narrative construite, à bien des égards, en miroir direct au deuxième volet de la trilogie de l’anneau, La Désolation de Smaug gagnait en rythme et en séquences mémorables. L’incroyable final opposant l’immense Dragon Smaug à la compagnie de nains, restera sans doute comme l’une des séquences les plus belles des six films réunis. Stoppant son film quand l’action arrivait à son summum – Smaug sort de la Montagne Solitaire pour aller détruire Lacville et se venger de ses habitants qui ont pactisé avec les nains – Peter Jackson s’amusait à jouer, un an de plus, avec l’interminable attente pour le spectateur autour de la mort du serpent ailé. Dès lors, La Bataille des Cinq Armées – dans un premier temps nommé Histoire d’un aller et retour, un titre qui en effet n’aurait pas tout a fait collé à ce dernier volet tant il n’y a pas vraiment d’histoire, nous y reviendrons – s’annonçait comme un monument épique dans lequel la fameuse bataille du livre, se faisant confronter cinq armées dans un ballet militaire inouï, tiendrait une place de choix. Les équipes de Weta Workshop, les acteurs, et Peter Jackson lui même, n’ont d’ailleurs cessé de vanter les mérites du film avant même qu’il ne sorte, le présentant comme une sorte d’acmé de l’aventure en Terre du milieu, un monument épique dont les séquences de batailles mettraient aux tapis d’un coup d’un seul, celle du Gouffre de Helm dans Les Deux Tours (2002) – magnifique sommet visuel dans l’œuvre de Jackson – et celle des Champs de Pellenor devant Minas Thirith qui prend part pendant une grande partie du Retour du Roi (2003) et qui atteignait déjà des sommets en terme d’émotion et d’épique.
Alors quid des promesses du gros barbu néo-zélandais ? Rien. Nada. Il m’aura fallu du temps pour écrire cet article, essayer de comprendre ce qui a bien pu amener Peter Jackson à vanter un film incroyable – quitte à en déséquilibrer même les précédents films, et surtout le second, pour en faire une gigantesque bande-annonce de presque trois heures – pour au final offrir au monde entier le plus mauvais film de la saga comme conclusion. Je crois avoir une partie de la réponse. Et elle n’est pas réjouissante, ça non. Car il y’avait encore quelques admirateurs – et j’en suis – qui, s’étant fait les dents de lait de cinéphile sur la saga du Seigneur des Anneaux, portaient dans leur cœur ce petit gros barbu, tasse de thé greffé au bout des doigts, lui excusant ses petits plaisirs coupable sur Skull Island et aimant même à corps perdus – et contre l’avis général – au moins la moitié de son Lovely Bones (2010). Ayant pour la plupart appris le passif du bonhomme du côté d’un mauvais genre crasseux et irrévérencieux, il a aussi été à la base d’une cinéphilie déviante, hors des sentiers battus, nous ouvrant les portes d’un autre cinéma. Aussi, son parcours atypique, son incroyable histoire de petit kiwi qui n’a jamais quitté sa patrie, et qui à la seule force de ses charpentées et graisseuses épaules, l’a propulsé en l’espace de dix années en nouvel el-dorado du cinéma mondial lui a toujours donné cette image du gros balourd qui résiste aux studios : les met à ses pieds, les contourne, les domine. Qu’on se le dise, et que deuil soit fait, ce temps semble révolu.
Nul ne pourra dire si ce sont les studios – désormais Warner Bros, entreprise bien plus influente et écrasante que New Line en son temps – qui l’ont emportés sur le résistant kiwi, ou bien si c’est Peter Jackson lui même, qui a force de baigner dans ses rivières d’argent – battant encore le record du plus gros salaire de l’histoire du cinéma avec cette saga – a finit, tel Thorin et Thror son grand-père, avant lui, par totalement renier ses valeurs, corrompu et aveuglé par sa soif de richesse. Car oui, à bien des égards, cette nouvelle trilogie sent le plan marketing, et les multiples décisions prises durant son processus de production – prévu pour n’être que deux films, la décision fut prise d’en faire finalement trois – amène à remettre totalement en question l’honnêteté de l’entreprise. D’autant plus lorsque l’on découvre ce troisième volet, film bonus s’il on veut, destiné à faire le pont avec la précédente trilogie censée se dérouler soixante années plus tard. En acquérant les droits d’une flopées de textes annexes à l’histoire originale, les fameuses appendices écrites par J.R.R Tolkien, Peter Jackson et ses deux tartes de scénaristes – certains diront qu’il est plus simple et misogyne de leur adjoindre toute la responsabilité de ces décisions scénaristiques catastrophiques, mais du Seigneur des Anneaux jusqu’à King Kong (2005) il fut avéré que bon nombre de ses mauvaises décisions ne furent pas du fait de Peter Jackson : une séquence immonde de patin à glace entre un gorille géant et une belle blonde en tient pour preuve – avaient la possibilité d’allonger l’intrigue principale contenue dans le petit livre pour enfants qu’était Le Hobbit, et lui donner plus d’épaisseur par l’ajout de sous-intrigue relatif au retour progressif du seigneur des ténèbres Sauron. C’était donc là l’un des enjeux majeurs de cet ultime épisode, donner à l’ensemble de la saga son unicité, de sorte que les fans puissent, à loisirs, s’offrir des marathons de six films et voyager de longues heures dans l’histoire de la terre du milieu. Malheureusement, La Bataille des Cinq Armées est un film creux, vide comme une coquille d’huître, qui ne prétend à rien de plus que ce que prévoyait son titre : offrir aux spectateurs une longue scène de bataille.
Le film n’a beau durer que deux (petites) heures et vingt minutes – il s’agit du film le plus court des six, le néo-zélandais nous ayant d’avantage habitué à des films tournant autour des trois heures, voir plus – sa construction bancale et sa narration bordélique en fait un film à trous, à tel point qu’on est obligé de se demander si Peter Jackson n’a pas du charcuter son montage final pour mettre de côté suffisamment de scènes inédites pour une future édition du film en version longue, tradition depuis la Trilogie de l’Anneau, mais surtout véritable mine d’or dont il serait dommage pour les studios de se priver. La sensation générale à la vision du film est donc d’être dupé. D’avoir payé une place de cinéma pour un film qui n’est pas une version complète et aboutie. Si les trois films du Seigneur des Anneaux avaient eux aussi eu le droit à des versions longues (souvent avec plus de trente minutes de scènes supplémentaires, voir plus) on comprenait vite en les visionnant que les choix pris sur la table de montage avaient été les bons : les séquences supprimées n’avaient rien d’essentielles à l’intrigue, déséquilibraient même souvent le rythme du film, et leur suppression n’avait rien d’un sacrilège – bien qu’il était toujours très plaisant de les découvrir dans ses versions rallongées. La vision récente de la version longue de La Désolation de Smaug – presque trente minutes supplémentaires là aussi – m’a fait comprendre que la logique n’était plus la même avec cette nouvelle trilogie. En effet, la version longue panse, à bien des égards, les maux du film vu en salle. Le personnage du changeur de peau Beorn – qui souffrait d’un intérêt scénaristique proche du néant – est étoffé en psychologie, la séquence d’hallucination collective dans la forêt noire n’est plus un salmigondis d’immondes fondus enchaînés pour signifier que les nains s’y perdent mais une vraie séquence psychédélique et effrayante, où la distorsion du temps se vis aussi chez le spectateur. Il faudra donc probablement attendre un an pour découvrir vraiment ce que vaut La Bataille des Cinq Armées. Une constatation qui me permet sans complexe d’affirmer que Peter Jackson a franchit délibérément la barrière vers un cinéma purement commercial, à moins qu’il ne se soit complètement assujettit au bon vouloir des studios, auquel cas son statut d’électron libre ayant gagné une certaine indépendance à Hollywood est à revoir.
Puisqu’il faut bien un jour en venir au film, parlons en plus en détails, et d’abord, si vous le voulez bien, rappelons que nous reprenons l’histoire au moment où Thorïn et sa troupe de nains ont réussis à chasser le Dragon d’Erebor. Ce dernier, qui vient d’apprendre que les habitants de Lacville ont scellé un pacte avec les nains, décide de quitter son terrier en or pour déverser sa colère sur cette petite ville qui s’enfonce dans le lac. Première mauvaise nouvelle, c’est exactement là que l’on reprend l’histoire, La Bataille des Cinq Armées ne commençant pas par une séquence d’introduction, pourtant traditionnelle dans la saga. Non. C’est bel est bien l’attaque de Smaug sur Lacville qui fait office de prologue. D’une grande beauté visuelle, et d’une belle énergie générale – il faut dire que l’on est forcément content de retrouver ce magnifique dragon, qui restera sans nul doute la plus grosse réussite de cette prélogie – on ne peut néanmoins que regretter de ne pas en avoir profité à la fin du précédent film, tant elle aurait été un sommet épique et un final grandiose. Au lieu de cela, Peter Jackson a préféré utiliser La Désolation de Smaug comme teaser d’un dernier volet monstrueux. Un effet d’emblée annihilé, car très vite cet espoir s’écroule en même temps que Smaug sur les cendres de Lacville : au bout de dix petites minutes. Ce choix très discutable, cette promesse non tenue, nous laisse orphelin. Dès lors on comprend que le changement de titre en pleine production aura un sens : les deux heures dix qui reste ne vont tourner qu’autour de cette fameuse bataille.
Parlons-en, car si elle occupe deux heures dix, elle a galvanisé aussi, il faut bien l’admettre, une grande part de notre enthousiasme et de notre attente. Alors qu’on nous promettait un sommet d’action épique, cette bataille est au final une grosse déception. Tout l’enjeu était de donner corps à chacune des armées, de sorte à ce que chacun des belligérants soit reconnaissable, et que la chorégraphie générale de ce ballet militaire soit parfaitement lisible par le spectateur. Si les elfes avec leurs belles armures dorée et leur façon de se battre comme des samouraïs efféminés est une pure réussite – je ne serais pas de ceux qui reprocheront à Peter Jackson de réemployer les archétypes créés pour les elfes de la première trilogie, cela me parait au contraire aller de source – ce sont plutôt les autres armées qui pêchent par leur illisibilité et leur manque d’originalité. Ce qu’il reste de l’armée des hommes – les rescapés de l’attaque de Smaug – est tout bonnement ridicule avec ses fourches et ses pelles, et ce bien que Bard, leur leader, soit l’un des personnages qui prend le plus de gallons dans ce film – devenant une sorte d’ersatz d’Aragorn. L’une des grosses attentes de cette séquence était bien sûr l’armée de nain menée par Daïn Pieds d’Acier, et là aussi, ont fait un peu la gueule. Bien sûr, on apprécie la beauté de quelques manœuvres militaires de cette troupe de nabots en armure, tels que ces murs de boucliers dressés face à l’ennemi dans une chorégraphie millimétrée : l’une des rares séquences qui fout les frissons, puisque les elfes de Thandruil viennent à la rescousse de leurs ennemis jurés en sautant avec grâce au dessus de la mêlée. Mais on ne pourra pas s’empêcher de froncer les sourcils devant Daïn Pieds d’Acier : si sa monture cochon est plutôt cool, on ne comprend pas quel argument a convaincu les équipes de Weta d’en faire un personnage numérique. Derrière son casque, le visage du nain – pourtant interprété par Billy Connolly – ressemble à un personnage d’une mauvaise cinématique de jeu-vidéo. Par ailleurs, une fois empalé dans la masse d’orques, on ne distingue plus du tout les guerriers nains. Non pas du fait de leur petite taille, mais surtout parce que leurs armures d’argent sont trop visuellement semblables à celles de leurs adversaires. Le champ de bataille devient donc très vite illisible et Peter Jackson nous perd totalement.
Lui même semble se rendre compte très vite de son incapacité à figurer cette complexe bataille à l’écran, si bien qu’il décide très vite de s’en désintéresser pour se centraliser sur des combat à un contre un. Perdus dans le marasme de la bataille, Thorin, entre deux câlins amicaux à son cousin Daïn, se retourne et voit miraculeusement un bouquetin s’offrir à lui : l’occasion rêvé de fuir le noyau du conflit pour aller botter le cul de l’Orque Azog plus haut dans les montagnes où il contemple, en grand stratège de guerre, son armée dézinguer du nain et de l’elfe. Quand le nouveau Roi des Nains, cheveux aux vents, saute sur son bouquetin : le public ne peut feindre son rire nerveux. Il s’agit en effet d’un des nombreux what the fuck scénaristique du film, que j’alloue aux choix plus que discutables de montage, en vue d’une future version longue. En effet, s’il on regarde de plus prêt les bandes-annonces du film, on y aperçoit une grosse armée de nains chargeant à dos de bouquetins. Si cette séquence n’avait pas été retirée du film, personne n’aurait trouvé quelque chose à redire du fait que Thorin trouve un pauvre bouquetin se baladant peinard au beau milieu d’un champ de bataille… Une fois qu’il s’est échappé de la bataille et des problèmes de mise-en-scène qu’elle lui posait, Peter Jackson se réfugie donc dans la facilité des combats à un contre un et leurs exploits individuels. Sur ce terrain, le toujours plus what the fuck Legolas, s’est transformé pour l’occasion en maître constructeur lego. Capable d’imaginer en quelques secondes seulement des stratagèmes ultra-complexes… il survole le champ de bataille en faisant d’une chauve-souris un deltaplane, transforme une tour en pont en utilisant un troll se baladant dans les parages comme bélier, et multiplie les prouesses acrobatiques jusqu’à se reconstituer un escalier avec des pierres s’écroulant face à lui. Ridicule. Il n’y a pas d’autre mot. Peter Jackson épuise le sens épique de son récit, le dynamite par un surplus de clin-d’œil à la trilogie initiale. Celle du Hobbit finit par ne ressembler qu’à un gigantesque fan-film mal foutu et maladroit. Même le personnage de Bilbo semble se moquer de la re-exploitation plus que de raison du deus ex machina des aigles, hurlant à Thorin – qui rend son dernier souffle dans notre indifférence totale tant il a été insupportable tout du long du film – de tenir le coup car « Les aigles arrivent ! Regarde ! Les aigles, ils vont encore nous sauver… ». Et puisqu’il faut bien en parler un peu, les morts, plutôt saisissantes et émouvantes à la lecture du livre sont ici totalement insignifiantes. Les décès brutaux successifs de Kili et Fili ne procure aucune émotion. Il faut dire que sur la durée des trois films, le temps alloué à développer la psychologie et la personnalité du premier était proche du néant, et que le second nous est vite rendu insupportable par son histoire d’amour totalement factice et inutile avec l’elfe Tauriel – une autre fausse bonne idée de mesdames Walsh et Boyens – une histoire d’amour qui, de l’aveu de Thandruil est « une histoire d’amour pure parce qu’elle fait mal » : un autre de ces dialogues qui force à sourire.
On ne se consolera même pas en se disant que Martin Freeman est toujours parfait dans les pieds poilus de Bilbo, tant le héros, pourtant éponyme, est relégué au second plan de l’intrigue. Même destin pour le magicien Gandalf, qui malgré son temps de présence largement étoffée par rapport au bouquin – une séquence d’affrontement version kung-fu entre le conseil blanc et les futurs spectres de l’anneau oscille entre ridicule et beauté visuelle, et aurait été, soit dit en passant, une parfaite séquence d’introduction – n’a pas non plus grand rôle à jouer. Le personnage très Shakespearien du Roi des elfes Thandruil trouve quelques moments de bravoure et un peu plus d’épaisseur, mais c’est largement en deçà de ce que l’on pouvait espérer, tant l’acteur qui l’incarne, dès son apparition dans le second épisode, donnait au personnage un charisme envoûtant et une classe vertigineuse. Pour ne pas faire le pisse-froid j’accorderai quand même à Jackson l’audace de clairsemer son récit de quelques séquences à la lisière du surréalisme, comme la magnifique séquence durant laquelle Thorin revient à la raison : hanté par les voix de ses camarades, littéralement happé par le parquet en or de la grande salle du trône d’Erebor, vestige de leur confrontation récente avec le dragon, qui comme un fantôme du passé semble y hanter les profondeurs. Hormis ces quelques éclairs de génies, Peter Jackson manque cruellement d’idées et finit le combat à bout de souffle épique, achevant cette saga sur une crise d’asthme.
Laquittant Joris
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j’ai jamais été autant d’accord avec une critique bravo !
Merci à vous