Quand les super-héros deviennent super plus cons 6


Après la réception plutôt mauvaise de Justice League (Zack Snyder, 2017), le DC Extended Universe est en plein doute et pousse à décidément délivrer un terrible constat :  les films de super-héros, DC ou Marvel, ne sont plus ce qu’ils étaient.

Flash hébété dans le film Justice League.

© Warner Bros / DC

Chérie, j’ai rétréci le mythe

Wonder Woman et Batman dans la salle de contrôle de la Justice League pour notre article sur les films DC et Marvel.

© Warner Bros / DC

C’est sûr que Justice League n’est pas vraiment ce qu’on pouvait espérer. Ça aurait pu être un machin assez dantesque, fer de lance pour le DC Extended Universe avec des personnages forts qui mis ensemble auraient pu mettre une sacré claque. C’est sûr aussi que mes aspirations quant aux super-héros me semblent parfois un peu à contre-courant, puisque je considère Batman V. Superman : l’aube de la justice (Zack Snyder, 2016) comme la meilleure œuvre du genre depuis les Batman de Christopher Nolan (2005-2012)…En tous cas face à Justice League qui n’est qu’un long-métrage tout juste passable et agréable dont le souvenir ne dure pas plus longtemps qu’une branlette un peu molle, j’ai tendance à identifier un fautif tout désigné. Ce n’est pas que Joss Whedon ait mal bossé, peut-être même qu’au contraire il a fait de son mieux après l’abandon de Zack Snyder. Cependant il faut bien constater que d’un film thématiquement snyderien (l’ouverture, si prometteuse), Whedon a bâti avec JL autre chose, selon ses motifs à lui depuis au moins Buffy contre les vampires (TV, 1997-2003) : les rouages de la constitution d’une équipe avec son sens de l’optimisme, de la loyauté et de l’humour. C’est un fait qui est cinématographiquement incontestable et ce n’est pas la seule séquence de bataille multi-espèces style Seigneur des Anneaux (Peter Jackson, 2001-2003) qui doit leurrer sur le fait que Justice League n’est plus un film de Zack Snyder mais bien de Joss Whedon.

Il n’est plus un secret pour personne que DC Films a construit son Extended Universe au mieux en catastrophe, au pire selon une absence totale d’intégrité artistique. DC Films a durant la période 2000-2017 fait confiance à des cinéastes (Christopher Nolan, Zack Snyder, David Ayer…Bon sur le papier lui ça devait être cool normalement) qui ont forgé une patte DC, adulte, assez sombre, réaliste. Marvel a commencé par faire un peu pareil puis s’est ravisé avec intelligence (commercialement parlant j’entends) pour aller dans la direction opposée, irrévérencieuse, second degré et aux enjeux de plus en plus space-operesques. Une direction savamment pensée sur près de dix ans avec un Cinematic Universe en trois phases dont Avengers (2012) réalisé par…Joss Whedon a bien été le fer de lance couronné par un immense carton public. Le drame, c’est que DC Films de son côté ne s’est pas estimé payé par ses audaces : Suicide Squad (David Ayer, 2016) est pourri ça ne fait aucun doute, Batman V. Superman n’a pas séduit tout le monde…De plus, Wonder Woman (Patti Jenkins, 2017) déjà à mi-chemin entre l’esprit fun du Marvel CU et le style DC plus terre-à-terre, a eu lui un certain succès.

Logan/Wolverine toutes griffes dehors, dans la forêt, pour notre article sur les films DC et Marvel.

© Twentieth Century Fox

Le choix de Joss Whedon pour remplacer Zack Snyder sur Justice League était en soi un symptôme de la maladie DCEU. La question artistique de l’originalité n’est plus prise en compte au profit d’une volonté ridicule de mimétisme. Copier le MCU à tout prix, sans patte personnelle ni avoir la même rigueur stratégique (chez Marvel Kevin Feige chapeaute tous les projets, chez DC c’est loin d’être aussi carré…). Évidemment, Justice League s’est ramassé et DC est entré dans une véritable crise, limogeant son directeur ciné Jon Berg et annonçant des news confuses sur l’avenir du DCEU. Ce mimétisme Marvel est d’autant plus stupide et cruel que dans les comics, c’est souvent DC qui a été le pionnier notamment en termes de multiverses ou d’arcs narratifs orientés vers l’espace. Un exemple parmi d’autres : Darkseid, le grand méchant de l’univers DC, a été créé en 1970 soit trois ans avant la figure de Thanos qui lui ressemble fortement…La perte de crédibilité liée à cette volonté de copier coûte que coûte est telle qu’aujourd’hui on reproche à DC des choses qui sont logiques, comme le fait que le film solo sur Flash, Flashpoint, ne fasse pas forcément partie du DCEU. Ça n’a rien d’aberrant, je rappelle que le monde DC a déjà eu jusqu’à 52 univers parallèles (les fameuses 52 Terres) sans connexion entre eux…*

Au-delà de la destinée de DC Films, cette posture instable est malheureusement synonyme de ce qui se produit en politique lorsque l’opposition au pouvoir en place disparaît : une dictature. Tant que DC produisait des œuvres plus matures et ténébreuses, il y avait une alternative à la coolitude enfantine de Marvel pour ceux qui n’y goûtaient point. En l’absence d’un contraire, le MCU a changé les canons d’un genre qu’il domine maintenant en livrant des films de plus en plus « drôles », c’est à dire de plus en plus cons au point que les super-héros ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, des espèces de stand-upers célestes. Fidèle à une époque qui sabre ses idoles et se complaît dans la perte des repères, Marvel écrase toute velléité de mythe pourtant socle du moindre super-héros. Pourquoi le studio ferait le contraire, puisque le public plébiscite cette stratégie de démolition ? Pour les quelques fidèles avec encore une envie d’admiration ou de réflexion dans les yeux, on ne peut regarder des Thor : Ragnarok (Taika Waititi, 2017) et les compromissions du DCEU qu’avec consternation. Puis revoir Logan (James Mangold, 2017, hors MCU) en boucle en attendant le prochain messie…

* sur le multiverse DC dans les comics, voir la vidéo de la très bonne chaîne Comics Play


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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