A la poursuite de demain 4


Rares sont les réalisateurs à pouvoir se targuer d’avoir réalisé autant de films que de grands films. Brad Bird est de ceux-là. Après ses trois chefs-d’œuvre d’animation : Le Géant de Fer (1999) puis, pour Pixar, Les Indestructibles (2004) et Ratatouille (2007). Son passage en 2011 au live action avec le quatrième volet de Mission Impossible avait fini de mettre tout le monde d’accord. Le retour du réalisateur aux affaires pour la maison mère était forcément l’un des films que l’on attendait le plus cette année.

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La loi du marché

« Demain pourrait être un monde merveilleux. Les scientifiques d’aujourd’hui nous ouvrent des portes vers une nouvelle ère, celle de l’espace, et ce pour que nos enfants et les générations futures puissent en bénéficier. Le Tomorrowland a été pensé pour vous donner l’opportunité de participer à une aventure qui pourrait bien être celle du futur. » C’était ainsi qu’en 1955, Walt Disney présentait l’espace futuriste de son parc à thème, intitulé Tomorrowland – qui inspirera le Discoveryland du parc parisien. Aussi, quand il fut dévoilé que le titre du nouveau Brad Bird produit par Disney serait Tomorrowland et que l’écriture du scénario avait nécessité de nombreuses recherches dans les archives du studio et de sa branche imagineering – les équipes en charge de la confection des parcs à thèmes –, l’intérêt et l’attente que je portais jusqu’alors à cet énigmatique projet fut largement décuplé. Il restait à vérifier si Brad Bird et son scénariste Damon Lindelof – l’un des géniaux scénaristes de Lost : Les Disparus (2004-2010) mais aussi de choses plus ou moins inspirées et/ou inspirantes tels que le regrettable Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, 2011), le désolant Prometheus (Ridley Scott, 2012) et le sympathique Star 92932Trek : Into Darkness (J.J Abrams, 2014) – allait réussir à retranscrire en film cette vision rêvée, fantasmée et optimiste du futur. Une vision par ailleurs largement abandonnée par l’imaginaire collectif, et notamment par le cinéma qui préfère montrer l’évolution technologique comme un danger et le futur comme l’irrémédiable approche de l’apocalypse. Tel était donc l’immense défi de A la poursuite de demain – puisqu’il fallait bien qu’à un moment ou un autre j’emploie l’immonde traduction française du titre original, qui arrive à être encore plus pourri que le titre québécois – : redonner le doux espoir en un avenir merveilleux, revenir à cette vision d’enfant émerveillée face aux soucoupes volantes et créatures de l’espace. En somme, redonner ses lettres de noblesse à un genre tombé depuis des années dans des bas-fonds qualitatifs, raviver l’esprit qui s’était évaporé entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix avec la disparition progressive des films de science-fiction comme savait les faire Steven Spielberg avec sa boîte de production Amblin.

Dès les premières minutes, et ce dès lors que l’on commence à nous raconter l’enfance du personnage de Frank Walter – interprété par George Clooney adulte et jeune par le parfait Thomas Robinson – on comprend que l’un des paris principaux du film, à savoir rendre hommage à cette vision optimiste du futur chère à Walt Disney, est clairement au centre de l’entreprise. En décidant de placer ce début d’intrigue en 1964 à la fameuse Foire Internationale de New York, manifestation durant laquelle les équipes d’imagineering furent sollicitées pour réaliser plusieurs attractions qui, fortes de leur immense succès petit_92925cette année là, furent dupliquées immédiatement dans le fameux parc à thème. S’il s’autorise un bref clin d’œil à l’une d’entre elles, le Carrousel of Progress, Brad Bird s’amuse surtout avec l’une des plus fameuses attractions de Disneyland – aussi, la plus démoniaque – la fameuse croisière It’s a Small World : hymne de paix et de réconciliation financée par l’Unicef, et qui propose à quiconque serait assez courageux, un voyage en bateau tout autour du monde, pour découvrir les enfants de chaque peuple chantant à l’unisson l’une des chansons les plus atroces de l’histoire de la musique. L’amusante idée de faire de l’attraction, la porte d’entrée vers une autre dimension – celle qui mène vers le monde futuriste nommé Tomorrowland – lie immédiatement le titre du film avec la fameuse zone rétro-futuriste des parcs à thèmes de la marque.

Par un habile va-et-vient entre flashbacks sur l’enfance des personnages et retours au présent jusqu’à leur rencontre, le film donne peu à peu les clefs de son univers et de ses références. Casey Newton est une brillante adolescente férue de science, qui après avoir découvert les pouvoirs d’un mystérieux pin’s – un simple contact physique avec celui ci la transporte immédiatement dans une autre dimension, une vision rêvée du futur – se voit confronter à des robots androïdes très énervés qui donneraient leur mère, si seulement ils en avaient une, pour récupérer ce fameux pin’s. Aidée par une mystérieuse gamine, Casey s’embarquera avec Frank Walker, autrefois jeune inventeur de génie ayant lui même visité et habité sur Tomorrowland – c’est lui le gamin à avoir trouvé la porte d’accès dans l’attraction It’s a Small World – dans une périlleuse aventure à la recherche de ce jardin d’Eden. Évitant le piège de l’adaptation bancale des attractions du parc à thème – point de Space Mountain ici – Brad Bird préfère déterrer les fossiles d’une science-fiction rêvée et rêveuse, celle-là même qui inspira Walt Disney et ses équipes, et qui influença, déjà, le lyrisme robotique du Géant de Fer réalisé par le même homme pour la Warner Bros en 1999. Gentiment nostalgique, patiné d’une délicieuse photographie rétro, A la poursuite de demain oscille entre longueurs scénaristiques et sommets visuels. Quelques-unes des séquences sont d’ores et déjà amenées à rester cultes, tout du moins à concourir dans la catégorie des meilleures scènes de l’année : la prise d’assaut par une armée de Terminators de la maison de George Clooney et l’exfiltration s’ensuivant, 92926une hilarante et très inventive séquence dans une boutique de goodies de science-fiction qui mitraillent le spectateur de clins d’œil, ou l’utilisation de la Tour Eiffel comme fusée et porte d’accès vers l’autre dimension.

Le film reprend par ailleurs la trame et les références qui ont nourri l’imaginaire du Land futuriste des parcs Disneyland à travers le monde, sans tomber pour autant dans la facilité d’auto-citation de la marque aux grandes oreilles. On retrouve ainsi en filigrane dans le scénario, des références à une célèbre rumeur qui prétendait qu’à la toute fin du XIXème siècle, une confrérie secrète de scientifiques et inventeurs optimistes baptisée Nec Plus Ultra aurait réuni Gustave Eiffel, Jules Verne, Thomas Edison et Nikola Tesla. Ces hommes avaient pour idée de réfléchir à la construction d’une ville futuriste expérimentale sans y parvenir. Ce n’est que bien plus tard qu’un certain Walt Disney, ayant rejoint la guilde, se serait emparé du projet et lui aurait enfin donné corps et vie dans son parc d’attractions. L’optimisme du film, sa vision rêveuse d’un futur idyllique et radieux – même s’il n’est pas exempt de personnages aux sombres desseins, car que serait un Disney sans un bon méchant, tel que celui incarné ici par un Hugh Laurie parfait – détonne par comparaison à la production actuelle qui peine à voir le futur radieux, qui peine même, il faut bien le dire, à voir le présent radieux. A l’heure où Hollywood est envahi de films catastrophe sans émerveillement, il est triste de constater que l’échec commercial du film aux États-Unis comme en Europe a apparemment convaincu Disney de ne plus prendre de risques sur des créations originales comme celle-ci. Une preuve de plus que Michael Eisner, le dirigeant actuel de la firme aux grandes oreilles, n’a jamais eu pour but de prolonger la vision de Walt Disney, et que faute d’avoir un quelconque passif de rêveur jejjeoptimiste, assure grave quand il s’agit d’avoir la gueule d’un boursicoteur expert en bourse. « Nos rêves peuvent devenir réalité seulement si nous avons le courage de les poursuivre » disait le père de Mickey Mouse. Aujourd’hui, chez Disney – tout du moins du côté de la production des films de prises de vue réelles, car du côté animation il n’y a pas vraiment à se plaindre, étant donné que cette partie de la production est gérée par un rêveur optimiste de première catégorie en la personne de John Lasseter –, les rêves se sont évaporés, tout comme le courage de persévérer à proposer au public des films aussi inventifs, optimistes et originaux et ce même si l’on enchaîne les échecs – rappelons que Fantasia (1940) et Dumbo (1941) furent des fours à leur époque. La loi du marché, diraient certains. La loi du marché.

Joris Laquittant


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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