Présenté lors d’une projection événement en Odorama lors du Festival Du Film de Fesses (Paris), Under the skin de Jonathan Glazer, inspiré du livre Sous la peau de Michel Faber, est sorti en 2013, avec Scarlett Johansson dans le rôle principal.
Dans ma peau
En 2013, en sortant du cinéma, le chef qui règne sur ce webzine – et sur mon cœur huhu – m’a dit texto que je devais faire un article sur ce film parce que c’était très coctalien avec des faux-airs de Carax, et que du coup, je saurai sûrement gérer le sujet. Je n’ai pas su. Et pour être honnête, je ne sais pas si je saurais le faire là. Mais soit, après tout, si jamais c’est vraiment des grosses conneries je prendrai un pseudo la prochaine fois.
Under the skin c’est l’histoire d’une extra-terrestre qui vient sur Terre, en Écosse plus précisément, et qui, aidée d’un motard louche, séduit et capture, dans de magnifiques et hypnotisantes scènes, des hommes pour les transformer plus en moins en ballon de baudruches. Mais en fait, Under the Skin c’est aussi, je crois, un film qui parle d’une fille qui devient femme. C’est aussi, un peu, le mythe de La Petite Sirène, qui déçue par la Terre, se transforme en écume pour retourner à la Mer. Le long-métrage s’ouvre sur un magnifique plan de vaisseau aux formes originales puis coniques – sein-ique même, car j’aime bien faire des néologismes – et se termine sur l’iris de la première victime de l’alien, une femme, qui lui servira d’enveloppe corporelle pour appâter les prochaines victimes. Ses victimes ? Des hommes qui voudront se perdre en elle et qui se perdront dans les profondeurs abyssales d’une maison banlieusarde passablement crade. Des profondeurs aux faux-airs de liquide amniotique dans lequel ils se transformeront en une sorte de fœtus avant de finir par littéralement éclater comme un ballon de baudruche, ils pourront alors répondre positivement à la question de Katy Perry dans son chef-d’oeuvre Fireworks « Do you ever feel like a plastic bag ? », pour le coup on peut pas faire mieux, ou pire c’est selon. Dommage collatéraux de cette chasse à l’homme : une pauvre famille dont un enfant en bas âge qui périra noyé sous l’œil indifférent de la créature qui n’est pas encore devenue femme et qui n’éprouve aucun sentiment pour le moment.
Pourtant, après cet incident, elle finira par ressentir des choses, ou avoir envie de les ressentir. Retrouvant les pleurs de l’enfant dans le bruit de ses essuie-glaces ou sursautant en entendant ceux d’un autre bébé. L’instinct maternel de la créature se réveillerait-il ? L’enveloppe charnelle prend-elle le dessus sur la créature extra-terrestre qui n’en demandait pas tant ? Cette espèce de veuve noire qui fait tout à l’envers en capturant des hommes pour les réduire dans un état faussement embryonnaire, obéissant telle une marionnette aux ordres silencieux d’un motard froid et distant, pourrait-elle changer ? C’est coincée dans un embouteillage qu’elle se verra offrir une rose par un inconnu, une rose pleine de sang du vendeur, victime des épines des fleurs. Cette première vision du sang par l’alien, qui regarde le liquide épais avec beaucoup de curiosité et d’étonnement, peut nous rappeler une petite fille qui découvre ses règles sans en comprendre l’origine. S’en suivra alors une longue prise de conscience de la femme en devenir, qui refusera de piéger un homme atteint de neurofibromatose – qui n’est pas la maladie d’Elephant Man, le syndrome de Prothée, c’est important de le préciser – avant de s’enfuir au fin fond de l’Écosse. L’alien tente alors de devenir réellement humaine lorsqu’elle s’essaiera, en vain, à la nourriture, une part de forêt noire, à laquelle, je dois bien l’avouer, je n’ai pas trouvé de signification particulière pour une fois. Elle rencontre alors un homme qui se montre tout sauf empressé, et qui lui offre son aide et un toit pour dormir. La femme que souhaite devenir l’extraterrestre tentera alors de découvrir l’amour charnel, en vain là aussi. Ou peut être pas, le spectateur pouvant interpréter la surprise de la créature à sa guise. Est-elle déçue de ne rien ressentir, car elle est alien et non-humaine, ou au contraire l’alien est-elle surprise de découvrir une source de plaisir jusqu’alors inconnue ? Le récit se termine sur une longue scène dans laquelle Scarlett Johansson se balade en forêt et finit par s’endormir dans une cabane pour randonneur avant de se faire violer par un garde forestier. Ce dernier découvrant le vrai visage sous la peau précédemment volée, immolera la créature sans concessions. Version alternative et résolument moderne du Petit chaperon rouge, où le loup porte un gilet de visibilité et où la petite cape rouge est remplacée par une enveloppe corporelle toute aussi protectrice.
Du côté mise en scène, de nombreux éléments de la pop culture sont convoqués tels que les yeux de Scarlett Johansson se voilant d’une huile noire à la X-Files ou encore de grands écoulements de sang dans des égouts me rappellent le générique de Sweeney Todd (Tim Burton, 2008). La musique expérimentale est signée par une compositrice anglaise Micachu, dont c’est la première bande originale. Une BO qui aide et accompagne le film dans un ensemble esthétique de malaise profond et d’étrangeté. Il y a également, et c’est peut-être le plus important un rapport neutre et émouvant au corps rappelant le traitement que fait Carax à son acteur fétiche, Denis Lavant, dans Les amants du Pont-Neuf (Léos Carax, 1991) ou encore Holy Motors (Léos Carax, 2012) ces œuvres où le sexe en érection est montré sans pudeur ni vulgarité. Fait assez rare au cinéma pour mériter d’être signalé, ici il n’est pas montré uniquement le corps de la femme nue dans son intégralité. Scarlett Johansson, malgré son rôle de dangereuse charmeuse, n’est pas montrée comme la femme sexy qu’elle est généralement au cinéma, mais comme une femme tout court face à des hommes tout simplement. Oserais-je dire que l’actrice hollywoodienne dans Under the skin, est même banale, son charme n’opérant que par sa voix, qui n’est pas beaucoup entendue, mais suffisamment pour appâter ses victimes ? Victimes qui furent d’ailleurs pour la plupart, des inconnus piégés par une caméra cachée, accentuant sans conteste, le côté naturel et authentique de ce récit de science-fiction.
Under the skin est un objet dans lequel chacun peut voir ce qu’il veut, se laisser porter par l’hypnotique calme de la mise en scène, brièvement troublée parfois, qui est comme une toile vierge sur laquelle on peut projeter nos intentions, nos envies. Moi j’avais envie d’y voir une histoire féministe – même si racontée par un homme, on pourrait trouver ça un peu discutable – dans laquelle une jeune fille devient femme et ne le vit pas très bien. Et je la comprends, parce que ce n’est pas toujours très chouette de devenir une femme.
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