Un an après le choc Gravity, Christopher Nolan propose son propre voyage dans l’espace avec Interstellar : un film prophétique et métaphysique s’il en est, mais bien loin du chef-d’œuvre.
Approuvé par Familles de France
L’an dernier, l’aventure sidérale et sidérante qu’était Gravity avait mis tout le monde – ou presque – d’accord : jamais on avait filmé l’espace de la sorte. Le choc esthétique fut si puissant qu’il créa un déferlement médiatique, un amour démesuré pour un film qui, à y réfléchir à deux fois – et avec le recul que nous avons désormais – est un tour de grand huit sensationnel et réaliste, porté par une réalisation inventive, sublimant un scénario qui ne faisait que masquer de grosses ficelles par de jolies métaphores. Interstellar, c’est un peu l’inverse. Ce dernier privilégie le sens aux sensations, contrairement à Gravity – bien que ce dernier ne soit pas dénué de sens, entendons-nous bien. Bien sûr, certains d’entre vous grogneront dès mes premières lignes, vociférant que « les deux films n’ont strictement rien à voir », mais il me semble qu’il est tout bonnement impossible de ne pas penser au film de Alfonso Cuarón en voyant celui de Christopher Nolan. Si les films ont des sujets différents, des traitements différents, et pour seul dénominatif commun de se dérouler dans l’espace, cela ne nous interdit pas pour autant de les comparer. Soit.
Parlons un moment du synopsis de cet Interstellar. Comme il est particulièrement compliqué de ne pas en dévoiler les tenants et aboutissants, et parce que je ne pense pas écrire cet article pour les quelques résistants au fond qui n’ont pas encore vu le film, je ne lésinerai pas sur les révélations en temps normal inavouables. Pardonnez ma subtilité aux gros sabots, on est jamais trop prudent, et comme je soupçonne fortement qu’une loi passera un jour pour punir de mort quiconque spoile l’intrigue d’un film ou d’une série à son prochain, je me couvre. L’histoire commence sur une Terre aride, où il devient difficile de se nourrir : seul le précieux maïs accepte encore de pousser – le pop-corn existera donc encore un moment – résistant comme il le peut aux tempêtes de poussières. Au milieu de ce capharnaüm écologique, Cooper, un ancien astronaute, élève ses enfants comme il le peut, en cultivant son potager géant. Et pour cause, se nourrir étant devenu le souci premier des êtres humains, tout le monde est réquisitionné pour être agriculteur. La planète vit ses dernières heures, ses ressources nourricières s’épuisent, et l’être humain n’a pas la présence d’esprit de rationner ses richesses, il préfère l’épuiser une bonne fois pour toute à gros coup de productivisme. Vive l’Amérique, vive le capitalisme.
Comme toujours, les films de Christopher Nolan oscillent entre constat politique – ici, une évidente projection écologique sur l’état en devenir de la planète – et message sous-jacent ultra-conservateur qui ferait la joie des fidèles de Sarah Palin. Déjà dans son précédent film, The Dark Knight Rises (2012) j’avais vu quelques immondes amalgames donnant à Christopher Nolan ses lettres de noblesse au panthéon des cinéastes de droite. Une nouvelle fois, par certains aspects, Interstellar cache un sous-propos assez limite. De la même manière qu’il s’était nourri du traumatisme post-11 Septembre dans The Dark Knight (2008), et que le mouvement d’Occupy Wall Street avait fortement influencé certains passages de The Dark Knight Rises (2012) – Nolan convoquait sur son grand méchant une idéologie borderline, résumant maladroitement les choses selon l’équation : Occupy Wall Street = Communiste = Terroriste. Dans Interstellar, on a le droit désormais à une allusion à peine voilée aux récentes affaires de surveillance de la NSA. Ici, une lettre est ajoutée à l’acronyme, c’est la NASA que le scénario autorise à agir dans le plus pur secret et manipuler les êtres humains, parce que « vous comprenez mesdames et messieurs, si on vous cache des choses, c’est peut être aussi parce qu’on prépare en cachette un plan ultra-secret pour vous sauver tous !». Voilà à peu près où veulent en venir les frères Nolan dans leur scénario. Parce que la NASA prépare un programme spécial pour quitter la terre et s’en trouver une toute nouvelle toute belle où vivre en paix et harmonie, comprenez, où foutre sa merde. Pour cela, ils ont besoin de notre bon ami Cooper (Matthew McConaughey) qui abandonne illico presto ses enfants pour partir dans l’espace. Le plan est simple, marcher sur les pas d’une bande d’astronautes envoyés il y a plusieurs années sur différentes planètes d’une autre galaxie, afin d’y récupérer les précieuses données de leurs recherches et définir quel sera notre nouveau petit chez nous. Pour cela ? Rien de plus simple ! La nouvelle équipe devra emprunter une faille spatio-temporelle récemment découverte dans un trou de ver afin de repousser les limites humaines de l’espace et du temps.
C’est là la force d’Interstellar, et sa manière bien à lui de se démarquer fermement du récent Gravity. Le film de Cuarón n’avait de science-fiction que la science en cela que tout – ou presque – de ce qu’il nous montrait était vraisemblable et plus ou moins démontrable scientifiquement. L’intrigue de Gravity gravitait autour de données connues de l’homme, là où celle d’Interstellar s’autorise des divagations scientifiques farfelues, dressant une thèse dont nous n’avons pas (ou pas encore) de preuves tangibles. L’idée du film est d’explorer l’inconnu, et de faire de ce vaste territoire vierge l’endroit précis de son sensationnel. C’est en cela qu’il me semble plus acceptable de comparer le film de Nolan à 2001 : l‘Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) qu’à Gravity – le robot TARS est d’ailleurs une double citation-hommage au film de Kubrick, cousin de HAL 9000 et du fameux monolithe. Le plaisir que les frères Nolan se donnent à noyer les thèses scientifiques dans des soubresauts métaphysiques et mystiques est assez semblable à la démarche de Stanley Kubrick presque quarante années plus tôt. Quelques plans du film flirtent avec le film expérimental – les anneaux de Saturne, la séquence du trou noir – et le scénario s’autorise des divagations poétiques (voir prophétiques) magnifiques, comme celle qui vient à dévoiler que Dieu ne serait en fait que l’homme du futur, suffisamment évolué pour voyager dans le temps et guider l’humain d’hier pour qu’il ne refasse pas les mêmes erreurs.
Problème de cet épanchement vers le métaphysique, le scénario s’embourbe souvent dans des situations what the fuck dont Nolan s’amuse par ses habituels tours de passe-passe – la malice de magicien du cinéaste du Prestige (2006) se retrouve une nouvelle fois dans Interstellar, qui comme Inception (2012) le faisait avec ses divers couches de rêves imbriqués, transforme un événement en possibilité de distordre le schéma narratif traditionnel. Ici, les passages successifs dans des trous de vers et/ou trous noirs, permettent des sauts dans le temps aberrants – quelques heures sur une planète régit par un autre espace-temps donne vingt-trois années sur Terre – mais cette facilité scénaristique est assumée et sert l’intrigue et sa dramaturgie. Pendant les vingt-trois années terriennes qu’il n’a donc pas vraiment vécu, Cooper n’a pas pu voir ses enfants grandir. Et il s’en est passé des choses en vingt-trois piges ! Son gosse est devenu Casey Affleck, et sa fille la plus grande actrice du monde, Jessica Chastain… Y’a de quoi être choqué.
On comprend par ailleurs pourquoi Steven Spielberg s’était un moment intéressé à la réalisation d’Interstellar. Dans la première version du scénario (celle écrite pour Spielberg) le personnage de Murphy – incarné par Jessica Chastain adulte et par Mackenzie Foy jeune – était un garçon. Le film brassait donc l’un des thèmes les plus chers du cinéma de Steven Spielberg qu’est le rapport compliqué entre un père absent et son fils. Bien sûr, dans sa version féminisé, cette thématique est préservée, et c’est sans doute là aussi l’une des plus belles idées du film puisqu’il lui permet une nouvelle fois de s’échapper à l’unique expérience scientifique et cosmique pour la catapulter vers une dimension plus rationnelle, si l’on veut, qu’est celle de l’amour paternel, de la difficulté de ne pas voir ses enfants grandir, et de la toute puissance de la valeur famille. S’il égratigne quelque peu l’idéal politique des plus fervents conservateurs américains en démystifiant la figure tutélaire de Dieu pour la réduire – mais est-ce vraiment une réduction ? – au simple fait de l’humanité du futur toute entière, Nolan démontre qu’il partage une valeur de plus avec eux, et cette fois, ce n’est pas la plus dégueulasse : la famille.
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