Les Trois Mousquetaires : Milady


L’anticipation pour un film est à double tranchant. Un coup, elle permettra d’élever l’œuvre que l’on va voir, de gommer à nos yeux ses imperfections et de lui excuser ses manquements tant qu’un minimum de nos attentes est atteint. Un autre coup, ces attentes se révéleront complètement infondées, exploitées et tordues par une production opportuniste. La suite des Trois Mousquetaires : D’Artagnan (2023) et conclusion du diptyque de Martin Bourboulon fait partie de cette seconde catégorie, détruisant les fragiles installations du premier opus à coup de maladresses creuses et de passéismes problématiques. Anatomie d’un massacre intéressé.

 

D'Artagnan traverse la cour d'un château, plongé dans la brume, escorté par deux hommes armés, à quelques pas derrière lui, dans le film Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Ben King

Débandade de mourus

François Civil sur son cheval, sous un ciel gris, les cheveux au vent dans Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Julien Panié

Pour saisir l’ampleur de la chute, il faut comprendre d’où l’on saute. Comme rappelé dans notre précédent article, ce remake des Trois Mousquetaires portait avec lui, qu’il le veuille ou non, de grandes responsabilités. Plus qu’un film, il était l’occasion de faire revenir, ou plutôt de recréer le grand film d’aventures historique français à l’écran. Du casting à l’équipe technique, de la production à la communication, tout le monde se faisait une fierté de s’inscrire dans la longue lignée de créateurs s’étant saisis du quatuor à moustaches. Plus qu’un retour, on annonçait cette double production à gros budget (72,2 millions d’euros) comme le grand retour du blockbuster français, notre stratégie phare pour replacer notre cinéma à peine remis des affres du COVID, sur le marché mondial. Hormis pour les occasionnels Astérix, les résidus de la chute de l’empire Besson (Anna, Braqueurs d’élite, Valérian, Taken 3, Lucy…) et quelques exceptions (Miraculous, le film, Notre Dame brûle, Les Frères Sisters, Le Dernier Loup, Le Petit Prince…), les productions hexagonales n’avaient en effet pas atteint (ni visé) les sommets budgétaires depuis un moment. On pouvait se sentir aussi limités à notre exception française, celle des films d’auteurs un peu trop sérieux et des comédies un peu trop lourdes. Un modèle à coût relativement bien plus bas, souvent ente 1 et 5 millions par film, nous offrant quelques œuvres originales en échange d’une production globale assez peu marquante. Bien sûr qu’on aimerait voir plus de longs-métrages français sortant du lot, avec des directions plus fantaisistes, des choix plus barré et des concepts plus ambitieux. Mais qui se souvient avoir jamais rêvé d’un film plus cher ? C’est pourtant tout ce qui se dégage de ce pack Premium Trois Mousquetaires + Comte de Monte Cristo (annoncé pour 2024), l’argent. Tout dedans nous rappelle ces pubs survoltés pour les figurines Action Man : explosions et cascades dernier cri ! Décors et costumes de folie ! Casting de tous ces jeunes premiers d’hier et d’aujourd’hui que vous adorez ! Pas vrai que vous les adorez ?! Ou ces pubs de charcuterie à l’ancienne,  franchise de mousquetaire au bon goût de l’enfance, dont on ne garde que les meilleurs bouts (ceux qui bougent beaucoup), respectant les normes technologiques modernes, mais conservant l’idéologie d’un XVIIe siècle fantasmé par un auteur du XVIIIe. Miam. Clairement, avec autant d’argent en jeu, on n’allait pas se risquer sur une réflexion ou une vision particulière, et encore moins sur une diversité du casting ou de l’équipe technique. C’est pas safe, les femmes. Résultat, la couverture « Reconquête » du Film Français de septembre 2022 qui fait froid dans le dos et qui n’est que la partie émergée de cet iceberg de testostérone surannée. Et puis si vous n’êtes pas content, allez voir Barbie (Greta Gerwig, 2023). Toutes ces choses, on le savait, on le sentait avant même de voir les premières images. On voulait croire que malgré tout ça, même mauvais, ça resterait du gros cinéma, celui qui tâche mais qui remplit. On parvient toujours à se réconforter moralement d’un Big Mac ou d’un t-shirt Zara, parce que c’est pas mal, pas cher et/ou occasionnel. C’est d’ailleurs le ressenti qu’on a eu en sortant du premier opus, ouvrage terriblement moyen que notre anticipation et un très beau climax ont lâchement excusé. Maintenant qu’ils sortent la suite pour les fêtes, on y retourne comme des vaches à l’abattoir en pensant bêtement que parce qu’ils nous collent « Milady » en gros dans le titre et sur l’affiche, ça va être un peu différent, un peu plus réfléchi. Mais non, évidemment que non. Et le pire, c’est qu’on continuera d’y aller tant que d’autres projets de qualité de cette ampleur ne seront pas disponibles sur grand écran. On maintient que c’est possible, que ça s’est fait et que ça peut se refaire.

Dans une église éclairée seulement à la bougie, plan rapproché-épaule sur Lyna Khoudri, interprétant Constance Bonacieux, vue de profil, l'air fermé ; au second plan, mystérieux, un homme en capuche sombre ; issu du film Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Julien Panié

Trêve d’amertume et d’effet d’annonce, parlons de ce Les Trois Mousquetaires : Milady. Celui-ci reprend à peine quelques heures après la fin du précédent : Constance, suivante de la Reine et intérêt amoureux de D’Artagnan, est enlevée après avoir assisté par hasard à une réunion secrète préparant un complot contre le Roi, ourdi par un homme resté caché au public. D’Artagnan doit donc retrouver et sauver Constance avant qu’il ne soit trop tard, si ça ne l’est pas déjà, et les mousquetaires doivent empêcher le complot. On excuserait avec plaisir à n’importe quel autre film ou remake de ce feuilleton de Dumas de clore et d’ouvrir ses parties sur un cliffhanger aussi gratuit. Mais pas à celui-ci qui se targue d’être plus sérieux que les autres, sacrifiant toute la fantaisie de l’œuvre originale au profit d’un réalisme morne, sale et sépia. Une fois l’intro passée, on nous confirmera la supercherie du titre : Milady ne portera pas ce film comme le premier l’était par D’Artagnan. Il ne sera même pas sur elle, son personnage n’ayant aucun réel impact sur les deux intrigues établies plus haut. Très vite, on comprend à regret qu’il va encore falloir suivre ce personnage développé dans cette saga comme un jeune imbécile naïf qui ne comprend jamais rien à rien, se laissant complètement porter par les autres personnages. On pourrait se dire que cette fois-ci au moins, sa mission de sauver Constance est un tant soit peu personnelle, or personne n’y croit. Ni nous, témoin de cette « passion » datant de moins d’un mois, fruit d’à peine deux ou trois échanges de petites piques sans alchimie, ni le scénario qui évacue dès qu’il le peut cet axe au profit du complot global. François Civil se retrouve donc à devoir jouer le passionné transi par intermittence, prêt à tout pour sauver une femme qu’il connaît à peine et qui ne lui a rien demandé. Le fameux coup de foudre combiné d’une passion hors-sol qui lui excusera tous ses accès de violence.

Romain Duris et François Civil dégainent leur pistolet en pleine forêt, plongée dans la grisaille ; scène du film Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Ben King

On ne dévoilera pas ici l’intrigue inutilement alambiquée du complot. On fera seulement état du gâchis général. Le maigre effort d’historiser l’œuvre originale, pour installer un univers plus sombre et plus « vrai », est ici complètement laissé de côté. La Guerre de Religion qui déchirait le royaume de l’intérieur est réduite à une unique bataille, le siège de La Rochelle, qui nous éloigne gratuitement de l’intrigue principale au profit de deux séquences certes spectaculaires, mais sans enjeux et donc sans conséquences. Le complot est quant à lui tellement creux et tiré par les cheveux qu’il doit constamment être réexpliqué par de constants rappels déguisés en dialogues, monologues et flashbacks superflus. Si ce n’était pas pour le budget, on se croirait volontiers dans un épisode de feuilleton français mal fichu, où tout est fait pour garder l’attention du spectateur jusqu’à la pub : recap d’ouverture, rebondissements gratuits et hors-sujets, multiplications des intrigues et des points de vue qui se rentrent dedans et se bouffent entre eux… On est littéralement gratifiés d’une trame parallèle sur Athos et Porthos, sacré duo comique pour l’occasion. Comme si conscient de son incohérence et de sa lourdeur, le long-métrage se permettait de fuir sa propre intrigue pour quelque chose de plus léger. Les 3 Mousquetaires : Milady fait en effet complètement l’impasse sur le quatuor ou même sur le fameux trio. Jamais ensemble, les compagnons ne se retrouvent que de temps en temps pour se donner des nouvelles ou pour un gueuleton. La glorieuse équipée, réduite à de simples collègues de travail. « Un pour tous, tous pour un, mais pas ce soir, je suis de service. ». Le film tentera maladroitement d’instaurer une relation mentor-disciple entre Athos et d’Artagnan, sur la base du premier tentant de convaincre le second des dangers de l’Amour, pour ne pas dire des femmes dans leur ensemble, en comparant sa propre relation abusive avec Milady sur plusieurs années avec l’amourette adolescente entre d’Artagnan et Constance. Un parallèle absurde, qui ira pourtant jusqu’au bout de l’œuvre, dans la résolution la plus ridicule qu’il nous ait été donnée de voir cette année. Même divisés en deux duos, nos héros n’iront jamais jusqu’à parler ensemble ou à s’opposer plus d’une seconde. Rien qui pourrait les risquer à donner un avis, à s’influencer, à évoluer et à réfléchir ensemble. Non, quand on est mousquetaire, pour ne pas dire un homme ou un flic, on s’enfonce bien profond ses sentiments où on le pense et on obéit aux ordres en fermant sa gueule.

Les quatre mousquetaires, incarnés par Pio Marmaï, François Civil, Romain Duris et Vincent Cassel en tête de cortège, fendent une foule compacte, tout sourire, dans le film Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Julien Panié

Car le vrai problème du film est bien là, dans ce recroquevillement masculiniste. Plus encore que l’opportunisme du projet et la balourdise de son exécution, c’est cette lâcheté face aux sujets, à l’humain, à la réalité, qui dérange et qu’on voudrait mettre sur le compte de la maladresse. On aimerait ne pas croire que les créateurs ont vraiment désiré représenter cette France du Puy du Fou sans sourciller. Ne pas croire qu’on nous présente fièrement ce passé fantasmé où les hommes pouvaient être hommes sans qu’on vienne les leur casser. Qu’on nous vide les héros de Dumas de leur substance et de leur individualité pour en faire des pions au service d’un esprit traditionnel et hautement conservateur plaçant le bien du Roi, de l’armée et de la France catholique au-dessus de tout. Prenons le personnage de Porthos par exemple. Certains se seront extasiés sur le choix de Pio Marmaï, de cette fausse audace de prendre un acteur bankable bien loin du colosse évoqué dans les bouquins. Eh bien, si le premier opus allait jusqu’à sous-entendre sa bisexualité au coin d’une ligne (oulala !), le second effectue un rétropédalage complet. Finis les bêtises et le libertinage, on se marie avec celles que la nature a prévue, on rentre dans les rangs ou on fait le deuil de ses amours pour mieux soldater, sous les hourras de ses camarades et on l’espère, du public. Sidérant.

Milady de Winter retape une perruque dans un atelier, vue de profil, la tête penchée sur son travail ; plan rapproché-taille issu du film Les Trois Mousquetaires : Milady.

© Pathé / M6 / Julien Panié

Quid alors des femmes dans Les Trois Mousquetaires : Milady bien macho et conservateur ? Que va-t-on faire de ces personnages qui ne savent même pas se battre et qui ne faisaient qu’errer dans les couloirs de palais en rêvant du retour de leur homme comme les manuels d’histoire l’expliquent si bien ? Eh bien, c’est très simple, on en saupoudre un peu à certains moments-clé pour qu’on ait l’impression qu’elles servent à quelque chose. Pas d’inquiétude, la majeure partie du temps, on les verra à peine. D’un côté l’arnaque du démon Milady, vendue comme la grande antagoniste alors qu’on pourrait presque supprimer son personnage sans que cela ne change quoi que ce soit. On fera cependant bien attention à souligner grassement son côté séductrice, pour que le spectateur lambda puisse la condamner autant que la désirer. De l’autre côté l’ange Constance, réduite au rôle de Princesse Peach dans Super Mario Bros 1983 (surtout pas la version badass de 2023, sacrebleu !), soit un trophée absent et immobile de fin de jeu. On les fera même parler ensemble à un moment, histoire de ne pas complètement louper le test de Bechdel. La Reine, plutôt bien installée dans le premier opus, disparaît quasiment totalement dans le second et le nouveau personnage de Mathilde, sorte de miroir féminin d’Aramis, est complètement laissée de côté. Il ne manquerait plus qu’on confie des rôles importants à des comédiennes comme Eva Green, Lyna Khoudri, Vicky Krieps ou Camille Rutheford.

© Pathé / M6 / Julien Panié

Alors pardon, croyez-nous quand on vous dit qu’on aurait adoré profiter d’un bon blockbuster français de cape et d’épée pour cette fin d’année, sans se prendre la tête. Dans une interview pour OCS, Martin Bourboulon justifiait l’existence du film par une simple envie d’adapter une franchise populaire aujourd’hui, comme ne s’en prive pas les Américains. On ne lui retirera évidemment pas, ni à lui, ni à son équipe, le travail titanesque qu’ont dû demander ces films. Mais même en retirant nos attentes légitimes sur un projet français de genre et de cette ampleur, on en est quand même ressorti avec la nausée. Nausée d’un cinéma d’apparat pensé par des producteurs désespérés de ne pas être les milliardaires qu’ils pensent mériter d’être. Nausée d’un cinéma sans âme qui sélectionne à sa guise les attentes du public, pour les refourguer à des auteurs et des artistes traités comme des IA. Nausée enfin d’un cinéma, qui se fait le porte-étendard de cette France dans le déni, qui ne sait pas où se mettre si ce n’est pas au-dessus du reste, et qui se réfugie par peur dans une nostalgie dangereuse. Une France fantasmée où dominent les hommes d’action blancs, qui sous couvert de liberté et d’impertinence, se font en réalité les exécuteurs dociles et décérébrés d’un régime ultra-religieux, ultra-guerrier et du coup, ultra-viriliste. Effectivement, on se prenait moins la tête à l’époque. Mais ce n’est peut-être pas si mal qu’on réfléchisse un peu plus aujourd’hui, avant de faire ou d’aller voir des films.


A propos de Elie Katz

Scénariste fou échappé du MSEA de Nanterre en 2019, Elie prépare son prochain coup en se faisant passer pour un consultant en scénario. Mais secrètement, il planche jour et nuit sur sa lubie du parfait film d'action. Qui sait si son obsession lui vient d'une saga Rambo vue trop tôt, s'il est encore en rémission d'un high-kick de Tony Jaa, d'une fusillade de John Woo ou d'une punchline de Belmondo ? Quoi qu'il en soit, évitez les mots « cascadeurs français » et « John Wick 4 » près de lui, on en a perdu plus d'un. Dernier signalement : on l'aurait vu sur un toit parisien, apprenant le bushido aux pigeons sur la bande-son de son film préféré, Ghost Dog de Jim Jarmusch. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riGco

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