Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan


Sonnez le tocsin, sortez les collants et calmez Stéphane Bern, voici le grand retour du cinéma de cape et d’épée. Tous les cinéastes et producteurs amateurs de films historiques et/ou d’action en rêvaient sans en avoir les moyens et voilà que le bon seigneur Seydoux gracie la plèbe d’un diptyque sur le quatuor à moustaches : critique du film Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan de Martin Bourboulon.

Deux mousquetaires en longue cape à capuche se battent sur le parvis d'une cathédrale dans le film Les trois mousquetaires d'Artagnan.

© Pathé / Ben King

Le Fleuron ne fait pas mouche.

Le film d’histoire en costumes aussi appelé film de cape et d’épée est un genre qui remonte aux origines du cinéma et qui s’est quelque peu perdu depuis les derniers chefs-d’oeuvre de Rappeneau – Les Mariés de l’an II (1971), Cyrano de Bergerac (1990), Le Hussard sur le toit (1995) – puis abordé et sabordé par sa variante américaine du swashbuckler, incarné par la saga Pirates des Caraïbes (qui fête ses 20 ans cette année !). Personne depuis n’a vraiment su nous transporter à bride abattue dans cette Histoire romancée où le style et l’élégance sont rois, où le bretteur se fait poète, contant fleurette et jouant du fleuret dans des décors bien-dechez-nous. Après quelques tentatives manquées, pastiches et autres hommages épars, le genre semblait tombé en disgrâce. Et le voilà qui renaîtrait des cendres de sa parodie, ramenant supposément avec lui de l’au-delà du septième art, le cinéma « grand-spectacle » français. Nostalgie conservatrice, tent-pole mercantile ou véritable renouveau, le blockbuster de Martin Bourboulon et du duo Delaporte-De La Pattelière a le mérite d’attirer l’attention, pour le meilleur et pour le pire. Avant même la sortie du film, il y avait de quoi être inquiet. Le casting en béton lourd (si lourd) sans aucune nouvelle tête, les effets d’annonces épiques «  empruntés  » à Marvel, du Coolio sur une bande-annonce au filtre noir/sépia qui nous faisait douter de la luminosité de nos appareils… Plus la communication forçait le blockbuster made in France à ne surtout surtout pas manquer, plus ça sentait l’enrobage masquant la catastrophe. Comme si le long-métrage n’avait rien à offrir de plus que ses millions investis. Pour accompagner l’angoisse, le début de l’an de grâce 2023 nous avait infligé l’horreur historique de Vaincre ou Mourir de Vincent Mottez et Paul Mignot, premier «  film  » des tous nouveaux studios du Puy du Fou. En plus d’être un énième remâchage d’une franchise émoussée, Les Trois mousquetaires : d’Artagnan allait-il lui aussi jouer sur les dangereux relents royalistes et ultra-conservateurs qui sous-tendent le KPDP et refont surface aujourd’hui ? Eh bien, on est pas passé loin. Le film, globalement moyen, a beaucoup de défauts mais son propos se résume à un rejet des extrémismes politiques et religieux, tout en faisant néanmoins la part belle à l’interventionnisme policier, comme nous le verrons plus bas. Deux points forts sauvent le long-métrage dont on attendait si peu : un changement radical de ton et de genre ainsi qu’une impressionnante qualité de mise en scène de l’action. D’heureuses surprises malheureusement plus prometteuses qu’abouties, gangrénées par la frilosité des studios et notre manque de savoir-faire dramaturgique en termes de grand spectacle. Analyse d’une tentative.

En forêt, Vincent Cassel, Pio Marmai et Romain Duris font face à un quatrième mousquetaires vu de dos, dans le film Les Trois Mousquetaires d'Artagnan.

© Pathé / Ben King

Il faut probablement revenir à la version américaine de 1973 de Richard Lester pour trouver une trame et un ton proches de ceux de l’épopée écrite par Alexandre Dumas en 1844. Depuis, chaque adaptation audiovisuelle prend un parti fort, changeant la forme ou la trame du récit original : La Fille de D’Artagnan de Bertrand Tavernier en 1994 tournait au ridicule ses épéistes vieillissants par une toute nouvelle héroïne ;le sous-coté D’Artagnan de Peter Hyams en 2001 misait tout sur l’action en recentrant le récit sur une vengeance personnelle du héros éponyme ; la version américaine de Paul W. S. Anderson 2011 jouait des mécaniques en plongeant l’univers classique dans le clockpunk, et la série anglaise de 2014 revenait au format feuilletonnant et en profitait pour multiplier les aventures des quatre compagnons… Ainsi, tout en restant un tent-pole, soit une “valeur sûre” qui maintient les studios à flot, la version du relativement jeune réalisateur Martin Bourboulon et du solide duo Delaporte-De La Pattelière prend un parti (très) similaire à celui de Christopher Nolan pour son Batman : un réalisme sombre, proche du thriller politique et du policier noir, avec lequel le public actuel est plus familier. Laccent grave est posé dès les premières minutes. Un écran-titre rappelant le contexte d’une guerre de religion menaçant le pays, une séquence d’ouverture aussi violente qu’(un peu trop) obscure. Finies la légèreté et la virtuosité de la cape et de l’épée. Enfilez vos bottes et enfoncez-les dans la boue ensanglantée d’une France que les complots et les fanatismes déchirent. Une direction forte, mais risquée. Car l’essence même du roman historique créé par Dumas est justement une sortie du réel, un manège narratif où personnages et intrigues historiques servent de terrain de jeu aux aventures des mousquetaires du roi. Un monde magique où un simple soldat peut sauver la France à lui seul en traversant monts et marées pour ramener un collier à la reine. Pour résoudre cette contradiction, les scénaristes choisissent avec intelligence de se concentrer sur l’intrigue autour du personnage d’Athos. Bien au fait des affaires de l’État, il est aussi le plus ténébreux des quatre compagnons, tiraillé par les terribles erreurs de son passé qui le rattrapent fatalement. Ingénieux. Seulement ce qui devait arriver arriva, et la barre ne fut pas tenue. Probablement par sécurité, par peur de ne pas profiter au maximum de sa franchise, Les Trois mousquetaires : d’Artagnan refuse de lâcher le jovial et la frivolité qui ont fait le succès de la franchise par le passé. Il revient donc au naïf et inconséquent d’Artagnan de mener la barque. Persistant dans ses concours de punchlines et ses amourettes sans jamais vraiment saisir que son monde brûle autour de lui, son personnage doit être tenu par la main par une multitude de personnages secondaires, plus intéressants mais trop peu présents, pour qu’il reste associé à l’intrigue principale. Le film semble donc partagé entre deux directions, celle d’un thriller où les mousquetaires se font enquêteurs pour endiguer la corruption qui menace leur pays, et l’innocent récit initiatique d’un gamin rêvant de devenir mousquetaire. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas ici d’un mélange des genres, mais bien d’un conflit de visions, d’une erreur de parcours ou d’un rattrapage malhabile. La même bipolarité qui a condamné la dernière trilogie Star Wars. Qui a dit qu’on ne pouvait pas faire comme les Américains ?

François Civil avance avec méfiance, en sueur, tenant un flambeau dans une main et une épée dans l'autre ; plan issu du film Les Trois Mousquetaires d'Artagnan.

© Pathé / Ben King

Même potentiel gâché dans la brillante mise en scène des séquences d’action, mal employées. Le long-métrage déploie en effet à plusieurs reprises un dispositif filmique précis et très difficile à mettre en place, le plan-séquence embarqué. Une scène tournée à la caméra-épaule, lancée au cœur de l’action comme un observateur direct de la violence mise en œuvre par les différents protagonistes et leurs adversaires. Le résultat nerveux va souvent jusqu’à troquer la lisibilité de l’instant contre un sentiment d’immersion totale, une sensation de danger permanent et omniprésent. On ne comprend pas toujours tout, mais c’est saisissant. Cette prouesse technique, installée par Alfonso Cuaron dans Les Fils de l’Homme (2006) et perfectionné par Alejandro Iñárritu dans The Revenant (2015) avait déconnu de nombreuses itérations dans les productions étrangères : The Vilainess (Jeong Byeong-gil, 2017), 1917, Tyler Rake (Sam Hargrave, 2020), Batman VS Superman (Zack Snyder, 2016), les séries Game of Thrones, True Detective, Daredevil Mais c’est une première pour le grand écran français. On remarquera au passage l’influence des derniers films de Cédric Jimenez, Bac Nord et Novembre, sur le cinéma d’action hexagonal, ou du moins une tendance à la représentation d’une action réaliste, extrêmement brutale et tendue. Un type de séquence donc tout à fait approprié à l’esprit de l’adaptation de Martin Bourboulon. Elle ne fonctionnera parfaitement qu’une fois sur ses quatre occurrences. Non pas à cause de sa réalisation, la chorégraphie étant à chaque fois maîtrisée avec talent, mais par dissonance narrative, l’intensité du dispositif dépassant presque toujours celle de la scène. L’exemple le plus flagrant est celui du massacre en forêt. Dans un sympathique concours de circonstances, D’Artagnan rencontre individuellement chaque membre du trio mythique. Gonflé d’orgueil et d’impertinence, il les provoque tous en duel pour la même heure, dans le même sentier de forêt. La confusion ainsi créée est comique et pose les bases de leur camaraderie, les mousquetaires respectant ce type d’effronterie. Et comme pour cimenter leur relation, interviennent pile à ce moment-les soldats de Richelieu, venus les empêcher de se battre en duel conformément à la loi imposée par le cardinal. Le récit original voudrait que les quatre nouveaux amis s’unissent à ce moment (le fameux « un pour tous, tous pour un ») pour infliger une leçon de bonnes manières aux cardinalistes. Une petite rixe « innocente » entre services militaires, où chacun des héros peut exposer son style de combat, autant à ses camarades qu’au lecteur/public, tout en ridiculisant le cardinal. Des touches, un peu de sang, quelques membres cassés… Rien de bien méchant, il n’y a pas mort d’homme. Mais ici, la rixe tourne à l’escarmouche et l’escarmouche au massacre. Les mousquetaires se mettent à tuer à cœur joie la concurrence dans une violence inouïe. D’Artagnan, qui vit là sa première bataille, en ressort comme nous : sous le choc. Il est immédiatement rassuré par ses nouveaux camarades qui évacuent l’horreur de l’instant d’une accolade et d’un rire. Haha, ils l’ont bien mérité, on est de retour à la joyeuse rixe annoncée. La compétition entre mousquetaires et cardinalistes n’ayant pas été rappelée, on vient d’assister sans pression à l’exécution d’un service de police par un autre. Au lieu d’apparaître héroïques, les mousquetaires paraissent plutôt à cet instant comme des brutes assoiffées de sang, des flics à la lame/gâchette facile, complètement hors de contrôle. Et quelle punition pour cette boucherie ? Une glorieuse tape sur les doigts de la part du roi lui-même, suivie d’une beuverie où d’Artagnan est adoubé par ses nouveaux camarades. On croirait presque à une critique mordante de la figure du justicier et de ses dangereux abus de pouvoir. Mais l’inverse se confirme tant le reste du récit glorifie ces mousquetaires qui désobéissent, tuent et torturent au nom de l’honneur de leur corps d’armée et de leur instinct personnel. Pire encore, ils sont récompensés pour leur violence. La BRAV-M, version 17e siècle. Super.

Athos (Vincent Cassel) est assis au premier plan vu de profil, au second plan on découvre toute une assemblée ; scène du film Les trois mousquetaires d'Artagnan.

© Pathé / Ben King

Il faudra attendre une séquence finale inattendue pour corriger le tir et redorer un peu le blason des hommes en bleus. Un climax qui nous apporte tout ce qui a nous a terriblement manqué durant les deux heures. Par un retour dans le point de vue savant d’Athos (enfin !), nous réalisons peu à peu que le roi est menacé d’un danger imminent, une tentative d’assassinat lors d’un événement public au sein d’un lieu fermé (et magnifiquement éclairé). Athos arrive trop tard sur place, les factieux religieux dissimulés dans la foule sortent leurs armes et font feu sur le roi et ses proches. Panique générale, dernier plan-séquence embarqué. Les mousquetaires usent de leur violence pour protéger le roi et les autres innocents. Ce n’est plus le test viril où chacun doit prouver sa valeur en zigouillant allégrement le premier venu. Ce qui est représenté à l’écran avec une troublante justesse, c’est un attentat. Preuve que le 13 novembre a bien eu un retentissement similaire sur notre cinéma à celui qu’a eu le 11 septembre sur Hollywood. Enfin dans cette séquence, la violence du dispositif prend sens en se mettant au service du propos, et non l’inverse. Mouvements de foule, cris, tirs d’origines inconnues, ennemis sortant de partout, pagaille où se mêlent soldats, civils et terroristes, le tout dans un contexte bien lumineux qui nous permet de suivre clairement l’action, sans sombrer dans la monstration gratuite. Les mousquetaires retrouvent leur fonction originelle de protecteurs du roi. Non pas des policiers, des espions ou des justiciers mais bien des gardes du corps, à qui on a confié le droit de violence pour une raison et une raison seulement, la défense. Une séquence brillante donc, sous tout point de vue, qui rachèterait presque les contradictions et égarements obscurs de l’ensemble.

Au vu des attentes et du résultat, Les Trois mousquetaires : d’Artagnan s’en sort bien mais ne rassure pas pour autant sur l’avenir du cinéma « grand-public » français, toujours trop frileux et tributaire de ses studios et de ses franchises. On en sort en continuant de rêver à un cinéma d’action national plus audacieux, plus affirmé. En restant optimiste, pour ne pas dire imprudent, on peut espérer que la partie deux à venir en décembre prochain sera plus raccord avec le ton sombre désiré par ses créateurs puisqu’elle sera centrée cette fois-ci sur l’énigmatique et cruel personnage de Milady. Plus globalement, on espère que cette tentative encouragera (ou du moins ne découragera pas) les petites productions et les jeunes cinéastes à se saisir de l’action, non seulement comme un spectaculaire jeu de clés à secouer au-dessus des spectateurs-clients, mais bien comme le puissant outil dramatique et cinématographique porteur de sens qu’elle peut être. On reste donc à l’affut de la prochaine vraie perle d’action à la française, d’où qu’elle vienne.


A propos de Elie Katz

Scénariste fou échappé du MSEA de Nanterre en 2019, Elie prépare son prochain coup en se faisant passer pour un consultant en scénario. Mais secrètement, il planche jour et nuit sur sa lubie du parfait film d'action. Qui sait si son obsession lui vient d'une saga Rambo vue trop tôt, s'il est encore en rémission d'un high-kick de Tony Jaa, d'une fusillade de John Woo ou d'une punchline de Belmondo ? Quoi qu'il en soit, évitez les mots « cascadeurs français » et « John Wick 4 » près de lui, on en a perdu plus d'un. Dernier signalement : on l'aurait vu sur un toit parisien, apprenant le bushido aux pigeons sur la bande-son de son film préféré, Ghost Dog de Jim Jarmusch. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riGco

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