Depuis quelque temps, nous avons le droit en France d’accueillir des ressorties en haute définition des œuvres du chef de fil de la Nouvelle-Vague hongkongaise, le bien nommé Tsui Hark. Nous devons ce privilège à l’éditeur Spectrum Films qui nous a permis de redécouvrir Le Festin chinois (1995), Tristar (1996) et Seven Sword (2005), avant l’arrivée prochaine de L’Enfer des armes (1980). Aujourd’hui, c’est Metropolitan Filmexport – l’éditeur originel des films de Hong-Kong avec son mythique label HK Vidéo – qui nous permet de redécouvrir dans une version restaurée le flamboyant Zu, Les guerriers de la montagne magique (1983).
Il était une fois Hong-Kong
On oublie les débuts chaotiques de la fin des années 1970 de Tsui Hark. La décennie suivante lui permettra de trouver la lumière. Il débute les années 1980 par une comédie, All the Wrong Clues for the Right Solution (1981). Après cette expérience qui, pour une fois, ne provoquera aucune polémique, Tsui Hark mène à bien un projet au succès mitigé mais qui sera a posteriori l’emblème du cinéma HK de cette époque : Zu, Les Guerriers de la montagne magique (1983). Zu est l’adaptation d’un roman évoquant les luttes entre les Hommes et les Dieux. Un roman outrancier avec une structure complexe pour quelqu’un ne connaissant pas la culture chinoise – par exemple, des passages sont narrés du point de vue d’un cailloux, ce qui peut rappeler la fameuse scène de Everything Everywhere All at Once de Daniel Scheinert et Daniel Kwan (2022). Tsui Hark en a simplifié l’intrigue en prenant comme personnage principal un être humain. Pour créer le monde de Zu, Hark bénéficie du plus gros budget de l’époque qui lui permet de travailler sur des effets spéciaux optiques mais également sur des fonds bleus, une première à Hong-Kong. L’intensité rythmique du long-métrage est du jamais vu, les effets spéciaux permettent de mettre en scène de manière spectaculaire les contes et légendes de la mythologie chinoise. Tsui Hark tourne en décor à l’échelle, avec des explosions réelles, en utilisant peu de maquettes. Il travaille notamment avec ILM, la société mythique d’effets spéciaux derrière le premier Star Wars. Ce choix n’est pas anodin, Tsui Hark veut concurrencer Hollywood sur son propre terrain. C’est un orgueilleux. Il veut être le meilleur et prouver que son pays l’est aussi. Toutefois même avec toute cette machinerie, le cinéaste continue à tourner de manière instinctive, il n’est pas adepte de la sur-préparation. Pour lui, l’idée doit avant tout naître sur le plateau, même si le résultat final n’est pas toujours concluant. Il tire ces préceptes de la Nouvelle Vague hongkongaise : l’idée est de tourner au maximum en décor naturel et le maître mot sur un plateau c’est l’improvisation.
Zu, les guerriers de la montagne magique fait office de manifeste pour Tsui Hark. Il introduit le genre de cape et d’épée à la modernité et souhaite que ce genre qui met en scène la culture ancestrale chinoise soit vu par les nouvelles générations. Les séquences s’enchaînent ainsi à un rythme effréné, le spectateur est parfois, voire souvent perdu, tout comme l’est le héros humain face à ce monde divin. L’équipe technique ne comprend parfois pas les directives du réalisateur, ni même ce qu’il filme. Toutefois, Tsui Hark conserve sa ligne directrice, que seul lui comprend : ce film met en scène des Dieux, les personnages et leurs actions surhumaines doivent naturellement être mises en scène. IL faut dire que Hark a une cinéphilie débordante, allant du cinéma français des années 1960 à Eisenstein. Il va également puiser dans son amour de la bande dessinée états-unienne pour trouver des solutions de mise en scène comme des angles de caméra debullés, décadrages qui vont venir mettre en valeur les personnages. L’art de Tsui Hark à cette époque est aussi un art de la posture, de la pose charismatique et de la mise en avant du corps de l’acteur. Il n’hésite pas à dévoyer également les figures de propagandes du régime en faisant adopter à ses personnages les mêmes postures des héros du parti communiste que l’on peut retrouver dans les affiches de propagande de l’époque.
Toute la filmographie de Tsui Hark est traversée par la question morale du bien et du mal. Dans Zu, les guerriers de la montagne magique, il y apporte une réponse simple : d’un côté les gentils, de l’autre les méchants. En revanche, on bascule facilement de l’un à l’autre. Tsui Hark justifie ce manichéisme par la situation politique de la Chine : “Quelle que soit la situation politique ou individuelle, il y a toujours ce sentiment de fuite. Avec Zu, j’ai cherché à mettre le public chinois face à son propre fonctionnement, pour lui permettre de se voir lui-même et comprendre sa propre position face aux choses de la vie. Dès le début, deux groupes de soldats se battent sans savoir vraiment pourquoi, et pour moi, ils symbolisaient notre propension au sectarisme. Nous cherchons constamment à nous enfermer, à nous séparer en des sections de plus en plus réduites, quel que soit le nombre. Communistes, nationalistes, la gauche, la droite, le centre, le haut, le bas, un jour ou l’autre, il nous faudra bien vivre ensemble. Je crois qu’il y avait une véritable raison de faire des films à ce sujet, quitte à s’en moquer, en jouer. 30 ans plus tard, des gens reverront ces films et on les surnommera les « films d’avant la réunification ». Ils se diront : « Voici quelle était leur mentalité à l’époque, leur manière d’envisager le monde ». Je veux que ces films demeurent dans l’histoire de notre industrie pour qu’ils puissent témoigner, que les gens puissent réfléchir à leur histoire en les revoyant.” La réunification de la Chine et de Hong-Kong n’est que rarement traitée frontalement, pour des raisons évidentes de censure, mais elle demeure prégnante dans les têtes de chacun. Avec une interrogation qui reste sans réponse : comment se passera le vivre ensemble ? Dans une interview qu’il a donnée pour la sortie en France du DVD de Zu (2005) – dont est tirée la citation précédente – Tsui Hark raconte également qu’il a pensé ce monde magique comme une fête, où chacun peut s’y retrouver. Que le spectateur prenne ou non du plaisir à ces festivités, ce spectacle ne le laissera certainement pas indemne.