Échec au Gang


Dans sa démarche de faire connaitre de vieux films du monde entier, Le Chat qui fume édite Échec au gang (Umberto Lenzi, 1978), troisième volet des aventures du criminel Poubelle. Un poliziottesco – sous-genre policier venu d’Italie – qui fait la part belle à l’aspect dramatique et qui, grâce à sa nouvelle restauration, n’a jamais paru aussi étincelant.

Plan rapproché-épaule sur un des voyous du film Échec au gang, narguant la police avec une grimace dans la rue.

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Si tu ne viens pas à la galère, la galère ira à toi

Quatre malfrats autour d'une table, dans l'arrière-pièce d'un bar ; tous ont l'air patibulaires et sombre, la pièce est peu éclairée ; sur la table, une bouteille de whisky, un cendrier, des verres ; scène du film Échec au gang.

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Après La Mort en sursis (Umberto Lenzi, 1976) et L’Exécuteur vous veut du bien (Stelvio Massi, 1977), Échec au gang vient conclure l’histoire du bandit Poubelle, interprété par Tomas Milian, qui joue également ici le rôle du Bossu le frère jumeau du premier, issu du film Brigade spéciale (Umberto Lenzi, 1976). Un véritable cinematic universe avant l’heure ! Le réalisateur italien Umberto Lenzi s’est fait connaitre avec Cannibal Ferox (1981), ses gialli, parfois érotiques, et son travail dans le néo-polar transalpin, le fameux poliziottesco. Lenzi, jusqu’à Échec au gang, s’est plutôt illustré par son discours ultra sécuritaire, ses films étant régulièrement taxé de faire l’apologie de l’auto-défense voire du fascisme. C’est d’ailleurs l’un des points les plus tendancieux de cette mouvance du film policier italien – un propos difficilement tenable aujourd’hui – mais ce cinéaste en particulier aime à bousculer « la bien-pensance », lui qui est pourtant encarté au Parti Communiste de son pays. Échec au gang, en partie écrit par Tomas Milian, le double acteur principal qui est un homme de gauche très convaincu, traduit une autre pensée plus humaniste et idéaliste. Le long-métrage raconte la trajectoire du criminel le Bossu qui revient à Rome retrouver son frère jumeau Poubelle après quelques temps passés en Corse. Avec quelques complices, il prévoit de braquer un camion blindé mais ceux-ci le trahissent. Sa vengeance sera sans pitié.

Si le rythme lent de la première partie prend vraiment à contre-pied le tempo violemment sur-vitaminé auquel nous avaient habitué les précédentes réalisations d’Umberto Lenzi, Échec au gang possède d’autres atouts dans sa manche qui prennent par surprise. Finie la violence débridée, place à l’attente et la progressive mise en place des enjeux dramatiques. Ainsi, le film s’attarde sur les rapports des deux frères et la reconstruction du Bossu jusqu’à un final presque déchirant où l’émotion l’emporte sur l’action. Les motivations des personnages sont claires, leurs caractérisations précises, et c’est le propos global du long-métrage qui peut alors dérouler. Si Poubelle, à qui est attribuée la caution plus humoristique, agit par pure loyauté envers son frère, le Bossu a un dessein plus construit, motivé par une haine des dominants et donc de la bourgeoisie. Une fois qu’il a réussi à se débarrasser – dans des conditions atroces intelligemment suggérées – des traitres ayant voulu sa mort, le Bossu s’en prend vertement à un groupe issu de l’élite, dans un club privé. Le speech qu’il donne à cet auditoire contraint résonne alors comme une note d’intention où le cinéaste et son acteur principal semblent remettre les pendules à l’heure avec le public et les critiques. Et, pour un poliziottesco tourné en 1978, Échec au gang a le mérite d’éviter quelques poncifs inhérents au genre et à l’époque, notamment en termes de sexisme et de racisme latents. Il y a bien quelques mains masculines baladeuses, mais l’on remarque que ce sont les personnages les plus négatifs qui les commettent. Le personnage de Maria, joué par Isa Danieli, est à ce titre réussi : elle n’est pas simplement une figure sexualisée et s’avère être moteur de l’histoire.

Techniquement, le film est plutôt réussi. Si l’on met de côté quelques coupes brutales qui rendent parfois la lisibilité d’une scène ou du récit un peu anarchique, Umberto Lenzi sait alterner entre moments de calme et instants nerveux avec un sens certain du rythme. Dans les scènes de poursuites, par exemple, on ne peut que constater un véritable savoir-faire qui n’a pas à rougir, cinq ans après French Connection (William Friedkin, 1973). De même, la fusillade finale est très convaincante tant par sa chorégraphie que pour toute la pyrotechnie mise en place. Les séquences où Tomas Milian incarne les deux frères en même temps sont très réussies : bien que l’on sente le subterfuge, il faut reconnaitre que pour l’époque, d’un point de vue technique c’est bluffant. L’acteur principal y est pour beaucoup puisque d’un personnage à l’autre, il alterne la façon de moduler sa voix et son corps, d’impulser des énergies différentes. Échec au gang permet a minima de redécouvrir ce comédien injustement oublié, qui a tourné pour les plus grands, de Pasolini à Visconti, en passant par Steven Soderbergh, Sydney Pollack, Oliver Stone, James Gray ou Steven Spielberg. Toujours à la limite d’en faire trop, l’acteur cubano-américano-italien éblouit par son sens du timing et du bon mot.

Blu-Ray du film Échec au gang édité par Le Chat qui Fume.Alors la nouvelle édition distribuée par Le Chat qui fume tombe à pic ! Le dernier support sur lequel visionner Échec au gang était la VHS, le long-métrage ayant échappé à la collection DVD « L’Italie à main armée » publiée par Neo Publishing dans les années 2000 et dans laquelle figuraient les autres volets de la saga Poubelle/le Bossu. Le Chat qui fume a encore une fois fait des merveilles puisque l’image et le son bénéficient d’une belle restauration. Le scope est magnifiquement retranscrit dans des couleurs et des contrastes éclatants avec ce qu’il faut de grain pour apprécier replonger dans les années 70. L’éditeur se montre également généreux dans ses suppléments puisqu’une heure de bonus vient compléter le film de Lenzi où l’on retrouve une interview du cinéaste via laquelle il évoque à demi-mot sa relation amour/haine avec son acteur fétiche, un entretien avec le compositeur Franco Micalizzi, ainsi que d’autres featurettes permettant de contextualiser Échec au gang dans la Rome de l’époque. Une occasion précieuse de découvrir une œuvre italienne atypique !


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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