Quand Mario Bava troque les lumières superbes pour se vautrer dans un poliziottesco empoisonné par le survival crado, on obtient Les Chiens Enragés (1974), édité en mediabook Blu-Ray/DVD/livret par Sidonis Calysta : critique.
Le massacre des innocents
« Le plus grand cinéaste fantastique européen […] le génie le plus discret du cinéma italien », Christophe Gans, dans l’entretien bonus disponible dans l’édition Blu-Ray des Vampires (Ricardo Freda & Mario Bava, 1957). Sans vouloir discuter ces mots dont il est peut-être plus difficile que cela de distinguer la subjectivité du passionné à l’objectivité de l’historien du cinéma, on peut avancer sans trop se méprendre que Mario Bava est a minima un réalisateur capital dans l’histoire du septième art de genre transalpin, européen, et facto au vu de son influence et de sa notoriété, mondial. Bava est d’abord un pionnier récidiviste, fait assez rare, ayant pour ainsi dire inventé le gothique italien avec Le masque du démon (1960), posé les bases du genre qui aura une influence sérieuse sur le cinéma, le giallo avec La Fille qui en savait trop (1963) contribué à la structuration des codes du slasher avec La baie sanglante (1971). Sa place dans l’encyclopédie du cinéma est ainsi assurée, mais si être le premier permet d’être remémoré, d’échapper en moindre partie à l’oubli, il faut être un peu plus que ça pour être admiré par des successeurs. Mario Bava suscite la fascination par l’aspect formel de ses films. Ayant fait ses armes en tant que directeur de la photographie, et recueilli la sensibilité de son père chef-opérateur et truqueur de cinéma, le réalisateur prend la plupart de ses sujets avec une ambition esthétique assez saisissante peu importe le budget, et s’il le faut, le fond. La planète des vampires (1965) ou Hercule contre les vampires (1961) sont des séries B à la limite d’une nanar sur le plan narratif et de modestes productions. Bava les dynamite, les sertit de séquences hallucinantes, visuellement stupéfiantes, aux couleurs fantastiques dans toute la polysémie du terme. Bava, par son œil hors pair, a parfois réussi à transformer de la boue en or pour les yeux. Et ce qui ajoute paradoxalement à l’attrait de ce cinéaste, c’est qu’il a su tout autant se débarrasser de son vérisme cinématographique pour saisir son temps : celui de la révolution des années 70, virage vers une esthétique plus réaliste traumatisée par le nouveau cinéma de genre venu des États-Unis. Les chiens enragés, deuxième sortie en médiabook du réalisateur par Sidonis Calysta de cette fin de printemps, et excursion hybride dans le poliziottesco est un prototype de ce virement stylistique de fin de carrière, du moins dans sa dernière partie .
Sidonis Calysta permet de donner une seconde vie à un film qui a fait l’objet d’un blocage par la justice italienne pour des questions de droit. Les Chiens Enragés est ainsi la plus belle pour aller danser dans vos platines, dans une restauration idéale, venant s’ajouter au reste de la collection Mario Bava construite patiemment par l’éditeur. Aux côtés du livret et du long-métrage proposé en DVD pour les réfractaires techniques, pas moins de trois personnalités sont convoquées pour évoquer le film du cinéaste italien, en la personne du critique de cinéma Jean-François Rauger, de l’universitaire Alica Laguarda, et de Gérald Duchaussoy, responsable de la section Cannes Classic du festival à la Palme d’Or.