Blastfighter


)Prenez un beau gosse au regard ténébreux, affublez-le d’une histoire tragique, collez-lui un passage du côté obscur, un fardeau de culpabilité et des méchants caricaturaux qui ne veulent pas le laisser se repentir en paix. Ajoutez-y une jolie jeune femme, quelques amitiés viriles, un trou perdu, et vous obtenez ainsi le décor idéal d’un film d’action où ça canarde à souhait : Le Chat Qui Fume exhume aujourd’hui Blastfighter ( cette « pépite » tournée par Bava Jr., témoin d’un certain cinéma d’exploitation italien qui mangeait à tous les râteliers, non sans une certaine efficacité.

Michael Sopkiw regarde au loin, concentré ; devant lui, le viseur d'une caméra ; scène du film Blastfighter.

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Blast Action Hero

Valentina Forte, à terre, fixe avec un léger air de gratitude (alors que deux marques de griffures font saigner sa joue droite) un homme que nous ne voyons qu'en amorce, de dos ; plan issu de Blastfighter.

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En 1984, le réalisateur de Démons (1985), son œuvre la plus fructueuse, a déjà deux titres à son actif : l’horrifique Baiser macabre (1980) et le giallo La Maison de la terreur (1983). Le cinéma populaire italien est alors dans la tourmente, le public délaissant les productions nationales pour leur préférer des réalisations américaines. Il n’est pas étonnant dès lors que Lamberto Bava devienne John Old Jr. sur l’affiche et au générique de Blastfighter (1984) pour donner le change. En outre, le tournage prend essentiellement place aux États-Unis, autour de la Chatooga River en particulier, et la bande originale d’un certain Andrew Barrimore, (en réalité Guido et Maurizio de Angelis), si elle est typique de l’époque avec ses synthétiseurs omniprésents est assaisonnée d’une chanson très country qu’on peut entendre à plusieurs reprises. Alors que reste-t-il d’italien dans cette modeste production Luciano Martino ? Essentiellement des acteurs locaux aux noms américanisés comme l’inénarrable Georges Eastman alias Luigi Montefiori ou la charmante Valerie Blake alias Valentina Forte dont la carrière ne comporte qu’une petite poignée de rôles. On notera aussi la présence de Michele Soavi, qui n’est pas encore le réalisateur de films d’horreurs tels que Sanctuaire (1989) ou le superbe Dellamorte Dellamorte (1994), mais un acteur abonné à de modestes apparitions. Quant au héros de service, Michael Sopkiw, son existence cinématographique se résume à quelques créations transalpines bien connues des amateurs de bis : 2019 après la chute de New York (Sergio Martino, 1983), Le Monstre de l’océan rouge (Lamberto Bava, 1984), resucée à petit budget des Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) et de ses suites, et enfin Prisonnières de la vallée des dinosaures (1985, Michele Massimo Tarantini). Il joue ici le rôle de Tiger Sharp, ancien flic décoré dont la femme et le coéquipier ont été assassinés par le fils déjanté d’un politicien. Viré de la police d’Atlanta pour lui avoir réglé son compte et emprisonné pendant huit ans, Sharp tente de retrouver la paix dans une maison près de la forêt, aux abords de la ville de son enfance. Il y côtoie des chasseurs bourrins et stupides (qui évidemment lui cherchent noises) et Tom un ancien ami (George Eastman) resté dans ce trou à rats, dont le frère fait partie des jeunes maniaques de la carabine qui tentent de lui faire la peau. Un jour la fille de Sharp débarque pour voir à quoi ressemble son père…

Surgissant d'un bosquet, plongé dans une brume épaisse, un soldat vise avec un énorme fusil à pompe dans le film Blastfighter.

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La jaquette et le titre nous promettent un film de guerre, c’est en réalité une chasse à l’homme dans la cambrousse dont il s’agit. Et le point fort de cette petite production, ce sont sans conteste les décors naturels, les mêmes que dans le Délivrance (1972) de John Boorman où la forêt, les précipices et les torrents constituent la trame de fond d’une traque à la Rambo (Ted Kotcheff, 1982). Le premier épisode de la franchise à la gloire de Sly est en effet l’une des plus évidentes inspirations de Blastfighter, au même titre que les vendettas de vigilantes urbains initiés par Un justicier dans la ville (1974, Michael Winner). Bien ancré dans son époque, le long-métrage coche peu ou prou la plupart des codes qui accompagnent le genre – justice expéditive, apologie des armes à feu, violence gratuite et racisme qui ne dit pas son nom. Ainsi un Asiatique vicieux achète aux chasseurs du gibier fraîchement abattu mais encore vivant pour concocter on ne sait quelle potion aux vertus prisées. Par ailleurs, les jeunes autochtones qui harcèlent le héros sont punis comme il se doit par les différents projectiles d’une arme qui donnerait le tournis à tout bon Texan qui se respecte. Les dix dernières minutes sont en cela une véritable boucherie où le moindre complice en prend pour son grade. Évidemment, il n’y a pas grand-chose de crédible dans le scénario : les bouseux atteignent un degré surhumain de stupidité et de méchanceté gratuite, les véhicules explosent un peu trop facilement, les réactions des personnages sont en contradiction avec le bon sens. Toutefois la cohérence n’est pas l’effet recherché de Blastfighter qui demeure un bon « seul contre tous », efficace et sans nuances, même si la scène finale tente maladroitement de rattraper la morale d’ensemble un peu tendancieuse. Une touche d’humour probablement involontaire clôt également le film : après un festival de morts violentes à la limite du gore, une note précise que la souffrance animale vue à l’écran est uniquement issue d’images d’archives.

Blu-Ray du film Blastfighter édité par Le Chat qui Fume.38 minutes d’entretiens avec le réalisateur, Georges Eastman et le chef opérateur Gianlorenzo Battaglia, complètent un Blu-Ray dont l’image aurait gagné à être plus contrastée. Sans surprise, Eastman/Montefiori est proprement imbuvable et crache allègrement dans la soupe qui l’a nourri, dénigrant à peu près tout le monde. On sent de la rancœur (des scénarios écrits de sa main auraient été refusés ou remaniés) et une certaine autosuffisance, peut-être aussi un peu de lucidité ! Mais pourquoi diable a-t-il accepté de figurer ici ? Sa médisance blasée contraste avec la bienveillance de Battaglia, toujours prompt à mettre en avant les qualités de l’œuvre. Bava quant à lui essaie de rester factuel en racontant la genèse du long-métrage (dont le scénario serait tiré d’un fait divers lu dans un journal américain) et des anecdotes de tournage. Le metteur en scène explique par exemple qu’il voulait évoquer dans son film des problématiques écologiques et y inclure des références à Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, 1978) et Délivrance. On peut effectivement noter quelques hommages plus ou moins grossiers, comme ce clin d’œil au joueur de banjo du classique de Boorman, ici devenu adulte, qui apparaît fugacement dans un bar. Mais prenons plutôt Blastfighter pour ce qu’il est : un pur produit d’exploitation, énergique et sans temps morts sur lequel on pose un œil à la fois amusé et bienveillant.


A propos de Jean-Philippe Haas

Jean-Philippe est tombé dans le cinéma de genre à cause d’Eddy Mitchell et sa Dernière Séance, à une époque lointaine dont se souviennent peu d’humains. Les monstres en caoutchouc et les soucoupes volantes en plastique ont ainsi forgé ses goûts, enrichis au fil des ans par les vampires à la petite semaine, les héros mythologiques au corps huilé, les psychopathes tueurs de bimbos et les monstres préhistoriques qui détruisent le Japon. Son mauvais goût notoire lui fait également aimer le rock prog et la pizza à l’ananas. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/ris8C

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