Transposer à la télévision un classique de la littérature de science-fiction est un exercice des plus périlleux. Certains s’y sont cassé les dents (mention spéciale pour la calamiteuse mini-série Dune de John Harrison en 2000 et sa suite non moins calamiteuse) pendant que d’autres s’en sont mieux tirés au prix parfois de nécessaires adaptations (par exemple Silo, Morten Tyldum, 2023 ou encore Le maître du haut château, Frank Spotnitz, 2015-2019). Les chroniques martiennes (Michael Anderson, 1980), qui ressortent en DVD et pour la première fois en Blu-ray chez Rimini, ont quant à elles le séant entre deux planètes.
Mars ou Crève
Il y a de cela encore deux ou trois décennies les adaptations de classiques de la SF en série ne foisonnaient pas comme aujourd’hui. Les raisons sont évidentes et multiples : tout se passait au cinéma, le nombre de chaînes était beaucoup plus modeste et leur prise de risque était plus limitée, il n’y avait pas de service de streaming, etc. C’est donc un petit événement lorsqu’à la fin des années 70 deux grandes chaînes nationales, la BBC et la NBC, s’associent pour produire et diffuser une mini-série tirée du célèbre roman de Ray Bradbury, Chroniques martiennes. Le budget est conséquent, le casting plus que respectable et l’adaptation confiée au grand Richard Matheson, écrivain et scénariste nimbé d’une aura de prestige depuis les années cinquante. Neuf des nouvelles du recueil original sont choisies par Matheson, auxquelles est ajoutée une dixième qui n’en fait pas partie (Les ballons de feu) ainsi que des scènes additionnelles. Par ailleurs, le choix de Michael Anderson pour la réalisation n’est pas anodin puisque celui-ci s’est déjà chargé de transposer des œuvres littéraires de science-fiction à l’écran, notamment 1984 en 1956 et L’âge de cristal en 1976. Certaines autres options sont plus contestables : ainsi, malgré tout ce qu’on savait depuis l’atterrissage en 1976 de la sonde Viking sur le sol martien, c’est la vision de l’auteur qui a été majoritairement conservée. La planète rouge est juste un poil plus aride que la Terre mais ne manque pas d’eau, son air ténu est respirable et les problèmes liés à sa gravité moindre sont purement et simplement mis de côté. Le tournage des extérieurs a eu lieu à Malte et à Lanzarote, cette île des Canaries étant connue pour ses paysages volcaniques. Quelques filtres, des « matte paintings », quelques blocs de carton-pâte censés figurer une cité abandonnée et le tour semble joué, on est supposé se croire sur Mars. Si on peut éventuellement faire abstraction de ces libertés prises avec la vraisemblance, il n’est pas possible de passer l’éponge sur les effets spéciaux mis en œuvre pour les scènes dans l’espace. A l’heure où le téléspectateur a vu passer sur le petit écran des séries comme Galactica (Glen A. Larson, 1978-79), qui elle-même a tout appris de Star Wars, épisode IV : un nouvel espoir (Georges Lucas, 1977), utiliser des techniques datant des années 50 est totalement mal avisé. Même la première série Star Trek, de plus de dix ans l’aînée de ces Chroniques martiennes, fait mieux que ces petites maquettes simplistes !
Malgré ces partis pris assez malheureux, il reste la puissance du récit, sa portée poétique, voire philosophique qui a été sauvegardée dans le scénario de Richard Matheson, approuvé par l’auteur lui-même : à l’aube de l’an 2000, une mission terrestre atterrit sur Mars. Ses membres sont éliminés par les habitants de la planète rouge qui voient en eux une menace. Une seconde expédition se pose l’année suivante, dans ce qui semble être une petite ville de l’Illinois, où chacun des hommes de la mission retrouve des êtres chers disparus. Contrôlés télépathiquement, ils sont également éliminés. La troisième mission de 2001 découvre une civilisation anéantie par la varicelle. Le champ est désormais libre pour une colonisation mais les derniers Martiens ne se laissent pas faire… A l’image du roman, la série narre des destins individuels qui forment un tableau global de la conquête de Mars, sur fond de crise terrestre. Contrairement au recueil de Bradbury, sa version télévisée met en avant un personnage principal, sorte de fil conducteur de l’épopée : le Colonel John Wilder, interprété par Rock Hudson. Ces histoires de Terriens ayant fui leur monde natal symbolisent autant de quêtes dont la planète rouge n’est finalement qu’un décor comme un autre : quête d’une vie meilleure, quête spirituelle ou religieuse, quête d’un lieu où faire son deuil, fuite des turpitudes terrestres. Car alors que la guerre menace sur Terre, Mars représente, à travers sa terre quasiment vierge, mais aussi ses derniers survivants et leurs pouvoirs télépathiques, un lieu fantasmé qui promet les réponses que l’on cherche, où les désirs secrets peuvent se matérialiser, les morts revivre, en apparence. C’est aussi un lieu où reproduire les erreurs faites mille fois déjà par l’Humanité. De ce fait Les Chroniques Martiennes n’est pas une série d’action. Le rythme est lent, très lent, comparativement à ce que l’on peut voir aujourd’hui, ou même à l’époque. D’ailleurs Ray Bradbury lui-même, sans doute vexé de certains choix d’Anderson, a qualifié en son temps cette adaptation d’ennuyeuse, ce qui a eu pour effet de repousser sa diffusion de quelques mois, le temps que la polémique s’éteigne et qu’on fasse comprendre à l’écrivain qu’il devait rester discret sur la question. Il reviendra beaucoup plus tard sur ses paroles et admettra les évidentes qualités de la série.
Parmi elles, il y a le casting. Hormis l’acteur fétiche de Douglas Sirk Rock Hudson, il est composé d’une pléiade d’acteurs habitués à la science-fiction et au fantastique. Par exemple, on y trouve Barry Morse (Cosmos 1999, Gerry et Sylvia Anderson, 1975-1977) en scientifique scrutant désespérément le ciel martien attendant qu’on vienne secourir sa petite famille. Le Père Peregrine est interprété par Fritz Weaver, second rôle récurrent de la télévision et du cinéma qu’on a pu voir en 1977 dans Génération Proteus (Donald Cammell). Citons également Roddy McDowall, autre « tête » connue du petit et du grand écran qui apparaît par exemple dans Le Trou noir (Gary Nelson, 1979), Bernie Casey, le Dr. Black, Mr. Hyde (William Crain, 1976) de cet ovni de la « blaxploitation », ou encore Laurie Holden dont c’est le tout premier rôle et qui jouera ensuite dans The Walking Dead (Frank Darabont, 2010–2022) et The Boys (Eric Kripke, 2019-en production). N’oublions pas non plus Christopher Connelly, future « star » du film post-apocalyptique italien qui interprète dans un superbe segment – peut-être le meilleur ? – le seul survivant d’une colonie martienne désertée après l’annihilation de la Terre. A la recherche d’autres rescapés, il finit par trouver une femme (sous les traits de Bernadette Peters), la plus superficielle et vénale de l’univers… Tous ces acteurs confirmés et totalement investis dans leurs rôles respectifs assurent la crédibilité de l’ensemble. On ne peut pas non plus passer sous silence la musique mémorable de Stanley Myers. Sa partition surannée mêlant musique électronique, pop et classique symphonique donne à la bande originale un cachet inoubliable.
Côté suppléments, Rimini Editions propose la version cinéma, un remontage pour l’exploitation en salles en France à l’été 1980. A l’instar de la mini série L’île mystérieuse (Juan Antonio Bardem et Henri Colpi, 1973), cette version grand écran est sans réel intérêt, car en plus de condenser une histoire déjà bien dépouillée, elle n’est pas franchement plus énergique que le matériel source. A l’opposé, le documentaire de 30 minutes d’Alexandre Jousse est passionnant et fourmille d’informations et d’anecdotes, depuis la conception jusqu’à l’exploitation de la série. Quoi qu’on puisse par ailleurs penser de celle-ci, elle reste une tentative de SF intelligente, certes maladroite et datée, mais avec une réelle portée qui n’était sans doute pas en en phase avec les années 80 naissantes : « La vie se suffit à elle-même, acceptez-la et jouissez-en chaque jour, vivez aussi bien que possible, n’attendez rien de plus, ne détruisez rien, ne rabaissez rien, ne cherchez pas les défauts, ne souillez pas ce qui est beau, préservez tout ce qui est vivant… ». Un message écologique, pacifiste et presque athée, en totale contradiction avec son époque.