Dune rêve-t-il d’une société écologique ?


Dune de Frank Hebert nourrit depuis plusieurs décennies l’imaginaire artistique d’anticipation. Plusieurs cinéastes, pris d’affection, s’appliquèrent à donner une image aux mystères, aux êtres et aux choses que Dune évoque. Après l’avortement criminel de celui de Jodorowsky en 1977 et la déconfiture de celui de Lynch en 1984, Denis Villeneuve, en 2021, revient réconcilier le littéraire borné, le cinéphile aveugle et l’écolo sensible : l’occasion d’une digression sur le long-métrage et sa portée allégorique.

Au premier plan Timothée Chalamet la tête baissée, les bras le long du corps ; derrière lui, la plage, et dans le ciel trois vaisseaux spatiaux flottant ; scène du film Dune.

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Les Fremens sont-ils des écolos bourrus ?

Une femme en combinaison de cuir et tenant un grand javelot, vue de dos, fait face à un ver géant qui surgit du sable ; plan issu du film Dune 2022.

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Lorsque l’on décide de porter à l’écran les gros légumes de la littérature d’anticipation, on doit se poser une question fondamentale et inévitable : y a-t-il une nécessité à transposer ce roman sous forme visuelle ? Quand il s’agit du petit protégé de Frank Herbert, la question se pose doublement. Oui, Dune a toujours porté en lui les promesses d’une adaptation visuelle : l’imagerie du désert et sa puissance onirique ; les vers des sables et leur hauteur exagérée ; les distilles et leur fonction vitale sont autant d’indices littéraires qui ne demandent qu’à être dynamisés en images en mouvement. Malheureusement figurer et proposer la forme cinématographique d’une idée de roman n’a jamais suffi et ne suffira jamais. Personne n’est encore assez fou pour adapter A la recherche du temps perdu de Proust dans son intégralité ou Voyage au bout de la nuit de Céline. Dans un travail d’adaptation, repérer les potentialités visuelles est important mais révéler, réexaminer et réinterroger des détails, de prime abord de second plan, l’est encore plus ! En d’autres termes qu’est-ce qu’une planète nommée Arrakis en 10191 peut nous dire de notre planète, la Terre, en 2022 ? Dune fait partie de l’imaginaire de l’anthropocène et formule ce qu’on pourrait appeler un récit de la nature courroucée dont le ressort central est la thématique eschatologique de l’anéantissement de l’anthropos, c’est-à-dire l’homme qui n’a pas su intégrer dans sa conception du monde un intérêt pour la biodiversité. Le ver de sable n’est rien d’autre qu’une puissance géologique, allégorie d’une nature mécontente venue se venger d’une humanité post-néo-libérale qui se conforte dans l’exploitation intensive de l’épice. Si l’épice —substance psychotrope et comburante — est sans grande surprise la métonymie du pétrole, dans lequel d’ailleurs le baron Vladimir Harkonnen se baignera après avoir arraché Arrakis aux Atréides, il ne fait pas de doute que Dune est d’abord une cartographie des problématiques géopolitiques et technocratiques actuelles.

Premièrement, Dune met en scène l’expansionnisme géographique humain et sa volonté inflexible de colonisation spatiale. Or, la planète Arrakis est un territoire qui résiste à toute intervention technologique humaine. Elle est en ce sens opposée à la technique et ses biotopes et espaces désertiques n’offrent aucune possibilité de rayonnement industriel : les sols sont bien abondants mais des lombrics démesurés et frénétiques, y assurent la garde attentive ; l’épice ne peut pas s’inscrire dans un processus industriel à grande échelle ; la faune empêche et bloque toute tentative d’extraction fixe. En d’autres termes l’approvisionnement et l’exploitation de l’épice est uniquement basée sur un modèle éphémère, jamais local et stationnaire. Qu’est-ce que tout ceci peut bien vouloir dire au fond ? Qu’un territoire avant d’être industrialisé n’est jamais vierge, il y a d’autres occupants, d’autres formes de vie, d’autres entités dont il faut à tout prix prendre compte. Sur terre, des lombrics débiles et minuscules, on en broie sans relâche lorsqu’on repère un territoire à potentialité d’exploitation. Les machines ratissent, déblayent, bétonnent, extraient. Ici dans Dune, c’est plutôt l’inverse : la technologie n’est plus en mesure de pénétrer et d’installer son hégémonie sur des territoires naturels et vierges.

Plan d'ensemble sur un vaste désert ponctué par des roches imposantes ; en bas à droite de l'image, deux silhouettes humaines, minuscules, vues de dos ; issu du film Dune de Denis Villeneuve.

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Néanmoins il reste un moyen, c’est de faire littéralement corps avec Arrakis. Les Fremens l’ont bien compris : en s’inspirant des contingences la planète, ils se mettent en posture analogique, ils se fondent en elle, ils adoptent ses mouvements, ses formes, sa dynamique. C’est l’idée de revenir à un contact brut avec la nature. Tout le prestige des Fremens est d’avoir déployé leur technologie en fonction du mimétisme du biotope. Dit simplement, le déploiement des avancées technologiques ne contraint pas la nature mais l’imite, leurs combinaisons (les distilles) sont inspirées de la faune et tout particulièrement d’un petit lémurien qui recycle sa transpiration à l’aide de ces longues oreilles. Leur mode de transport aérien imite les ailes des libellules, le flux routier celui des réseaux tracés et arpentés par les vers des sables. Tout le système social, énergétique et même idéologique des Fremens est ainsi structuré selon l’impératif d’un respect de la biodiversité et d’un équilibre entre le monde humain et naturel. Les Fremens adoptent ainsi un système social dont le fondement est la consommation collective à technologie douce. Tout ceci est régulé selon le rythme de la biosphère où les valeurs matérielles ne vaudront jamais les valeurs morales et éthiques.

En ce sens Denis Villeneuve renoue avec le solar punk, ce genre cinématographique hérité de la science-fiction littéraire qui consiste à mettre en scène l’hybridation de la technologie avec des préoccupations écologiques. Pour quelles raisons le Dune de Villeneuve est réussi et pourquoi il n’est pas celui de Herbert ? Parce qu’il valorise une civilisation future, peut-être la nôtre, qui aurait tenu le pari d’un intérêt écologique plutôt que mercantile. Les Fremens sont l’espérance d’une société écologique qui intègre dans l’ensemble de son fonctionnement le primat d’un respect de la nature et de la biodiversité sur le très long terme. Le léviathan capitaliste a trouvé sa bête noire : la conscience écologique des Fremens. Et elle ne sera jamais marchandée… Alors déterrons ensemble les promesses ensevelies d’Arrakis.


A propos de Mike Zimmerman

Enseignant et doctorant à l’université de Strasbourg. Souffre du syndrome de l’âge d’or. Grande lubie pour Jean-Pierre Mocky. Cinéaste de chevet : Louis Buñuel. Tachycarde devant les films avec Romy Schneider. Fait de l’urticaire devant ceux de Xavier Dolan. Rêve en secret de l’éloquence éblouissante de Jean-pierre Marielle. Pense un jour avoir accès aux arcanes Baudrillardiennes. Est convaincu que Michel Onfray et Cyril Hanouna ont un rôle à jouer dans la transition écologique.

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