La science-fiction, vaste sujet. Au milieu des grands classiques du genre ressurgissent, à la faveur des rééditions vidéo, de petites productions méconnues et aujourd’hui, c’est Sidonis Calysta qui nous a concocté une très belle édition d’un film un peu oublié : Les Envahisseurs de la planète rouge (William Cameron Menzies, 1953).
Mars attaque, mais pas trop
Au début des années 50, la Guerre Froide vient tout juste de commencer et la course à l’armement atomique tourne à plein régime, ainsi que celle à la conquête spatiale. Dans ce contexte, les comicbooks s’emparent de ces sujets en les détournant par différents biais, dont celui des extraterrestres. Les superhéros, après la seconde guerre mondiale, ont un peu moins le vent en poupe et ce sont donc ces préoccupations qui envahissent les pages et l’esprit de milliers de jeunes lecteurs. Le cinéma ne tarde pas à suivre et commence à enchainer les productions de films dédiés à l’invasion de petits bons hommes verts. Pour le meilleur – Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), L’Invasion des profanateurs de sépultures (Don Siegel, 1956) ou La Chose d’un autre monde (Christian Nyby & Howard Hawks, 1951) – ou pour le pire – Plan 9 From Outer Space (Ed Wood, 1959) ou La Guerre des satellites (Roger Corman, 1958). Bons ou mauvais, il se trouve que ces longs-métrages ont eu une influence considérable sur toute une génération de spectateurs parmi lesquels on retrouve George Lucas, Steven Spielberg ou Joe Dante qui ont pu les visionner sur leurs téléviseurs fraichement débarqués dans les foyers américains. Ces films portent en eux une vision et des inquiétudes politiques et restent encore aujourd’hui des témoignages précieux d’une époque. Les Envahisseurs de la planète rouge coche toutes les cases de cette mouvance cinématographique. Le jeune David McLean est passionné d’astronomie. Un soir, alors qu’il peine à s’endormir, il aperçoit un vaisseau spatial se poser près de sa maison. Il en parle à George, son père scientifique, qui part voir ce qu’il en est. À son retour, son attitude a changé et David trouve cela suspect. Il pressent que des extraterrestres ont pris possession de son père, et peu à peu, il se rend compte que d’autres habitants de la ville ont été à leur tour transformés. Un point de départ classique, typique des productions de l’époque, où la paranoïa règne en maitre, rappelant le maccarthysme où la chasse aux sorcières – savoir et dénoncer qui était communiste sur le sol américain – faisait rage.
Premier constat : l’image est magnifique. Le technicolor et la patine du temps rendent Les Envahisseurs de la planète rouge remarquable de bout en bout par sa beauté plastique. La photographie est vive, joue sur les ombres et les arrières plans. William Cameron Menzies se permet même des mouvements de caméra assez improbables quand on sait le poids et la grosseur des caméras dans les années 50. En termes de mise en scène, le film se défend largement face aux poids lourds que l’Histoire a gardé, et certains effets spéciaux ont plutôt bien vieilli. Et… ce sera à peu près tout ce qu’il y aura à sauver du film. Deuxième constat : l’histoire a beau être ultra balisée et classique, ce n’est pas son principal défaut. Ce qui pique davantage les oreilles, c’est ce blougiblouga pseudo scientifique où les pires erreurs et débilités sont compilées pour faire passer la pilule. Alors oui, c’étaient les années 50 avec toute sa part d’innocence et de candeur, mais cela n’excuse pas tout. D’autres films cités plus haut avaient leur part de raccourcis scientifiques et la rigueur n’a jamais été ce que le spectateur demandait, mais malgré tout, le dosage était plus équilibré et ce n’était jamais un véritable moteur pour l’intrigue. Ici, le jeune David qui est, rappelons-le, un petit génie scientifique en devenir, sort trop d’approximations pour que le public ait envie de suivre ses raisonnements. D’ailleurs, le fait qu’il soit toujours en avance sur les adultes rappelle le parti pris de Spielberg dans E.T. L’Extraterrestre (1982) et des enfants sachants plus que leurs ainés, mais tout était plus acceptable chez Tonton Steven qui avait l’amabilité de nous dispenser d’un cours d’astronomie fumeux. De plus, dans ce contexte de guerre froide, de compétition scientifique entre les blocs de l’ouest et de l’est, difficile de faire l’impasse sur le discours un brin martial et militariste du film quand la chose se règle à coups de chars d’assaut et de bombes. On pourrait rétorquer que « Oui mais c’était l’époque », mais ce serait oublier que Robert Wise pouvait délivrer deux ans plus tôt un discours pacifiste et moins manichéen avec Le Jour où la Terre s’arrêta.
Alors il convient de garder le contexte en tête avant d’aborder Les Envahisseurs de la planète rouge ! Cela permettra de pardonner également les quelques petits égarements du département costume du film, car si le film bénéficie d’une photographie exemplaire et d’une mise en scène assez inventive, ses limites sont vite trouvées avec sa représentation des extraterrestres. Dans son dernier acte, alors qu’il avait fait le choix de cacher les martiens, le cinéaste lâche les chevaux et met en images les dits envahisseurs. Des costumes en licra et des masques très cheap cachant mal le désarroi des pauvres figurants obligés de les porter. Là encore, cela fait partie du charme d’une œuvre ayant soixante-dix ans. Mais sans se mouiller la nuque au préalable, cela peut piquer un peu ! Quant au casting, il est composé de gueules ayant fait leurs armes dans de seconds rôles et que l’on ne reverra qu’à la télévision pour la plupart. Le jeune Jimmy Hunt, dans le rôle de David, bien qu’exaspérant par moments, s’en sort plutôt bien compte tenu de son jeune âge et du fait qu’il soit de toutes les scènes. En somme, Les Envahisseurs de la planète rouge demeure un film intéressant et beau à regarder pour tout nostalgiques de couleurs vives au cinéma, que la nouvelle édition Blu-ray de Sidonis vient sublimer. Une restauration minutieuse, tant au niveau de l’image que du son, des bonus et un livret instructifs, etc. De quoi passer un bon moment. Mais nous préférerons d’autres films d’aliens de la même période, plus nuancés et moins va-t-en-guerre dans leurs propos. Ou encore son remake, L’Invasion vient de Mars (Tobe Hooper, 1986) qui bien qu’imparfait – le mot est faible – semble plus radical dans sa proposition.