On continue d’explorer le catalogue de Disney+ à la recherche des pépites plus confidentielles qui le composent. Parmi celles-ci, ce serait hérésie de passer à côté d’un film aussi culte que Le Trou Noir (Gary Nelson, 1979), drôle de long-métrage de science-fiction qui surfe sur les canevas de la SF populaire de l’époque tout en s’en libérant par sa bizarrerie assumée et son rythme envoûtant.
20.000 lieues dans l’espace
Si l’espace a toujours été un terrain d’exploration privilégié pour le cinéma, et ce, depuis ses origines avec Le Voyage dans la Lune (George Méliès, 1902) ; si la science-fiction américaine a longtemps fantasmé des histoires d’équipées envoyées aux confins de l’univers, une date, celle du 21 Juillet 1969, a vraisemblablement tout changé. En ce jour de grâce pour l’humanité, comme on dit, on réussissait l’exploit de fouler le sol lunaire. Ce qui demeurait jusqu’alors comme un objectif, un vieux rêve, une folie, devenait alors concret, accessible, du domaine du possible. Face à cet état de fait, la science-fiction américaine, notamment sur grand écran, a dû élargir sa trajectoire, voir plus loin et surtout plus grand. Cet alignement des planètes, si j’ose dire, permit au genre du space-opera – qui pré-existait à l’alunissage, notamment dans la littérature de science-fiction et dans la bande-dessinée – de véritablement déferler au cinéma. La révolution technique, notamment en ce qui concerne les manipulations optiques et les effets spéciaux, permirent aux scénaristes et réalisateurs d’envisager représenter l’espace « à hauteur » des images diffusées sur toutes les télévisions du monde le 21 Juillet 1969, tout en ajoutant à ce réalisme, une invitation à rêver voyager plus loin encore, aux confins de la galaxie. Le long-métrage par qui cette révolution commença est sans conteste 2001, l’Odyssée de l’Espace (Stanley Kubrick, 1968) pourtant réalisé une année avant l’alunissage et en cela, plus visionnaire que visionnaire. Si le film n’est pas en lui-même un space-opéra (si l’on suit la définition officielle tout du moins) il laissera une telle empreinte dans le paysage cinématographique, en termes de représentation de l’espace, qu’il influera considérablement sur ses poursuivants, chacun essayant de surpasser les prouesses techniques du directeur des effets spéciaux, Douglas Trumbull. Kubrick ouvrit donc la porte à de nouvelles expérimentations graphiques, à une nouvelle approche du genre. C’est dans ce contexte d’élargissement des possibles que deux des univers les plus représentatifs lorsque l’on évoque le space-opéra virent le jour. A la télévision, d’abord, débarqua Star Trek (1966-2020) puis au cinéma, la première trilogie Star Wars (1977-1983). Les deux univers proposent un voyage aux confins de l’univers, revisitant les codes de la vieille fantasy médiévale pour les transposer dans des vaisseaux spatiaux, des planètes inconnues. Très clairement, le film qui nous intéresse est la réponse directe de The Walt Disney Company au succès intercontinental de la saga de George Lucas, mais d’une bien étrange façon.
Le Trou Noir (Gary Nelson, 1979) se déroule en 2130, à bord du vaisseau spécial d’exploration nommé l’USS Palomino. Lors d’une exploration de la galaxie, l’équipage découvre un trou noir et un vaisseau jusqu’alors considéré perdu, l’USS Cygnus, piégé dans son orbite. En essayant de s’approcher du vaisseau fantôme pour vérifier qu’il ne contient pas d’équipage en détresse, l’USS Palomino va se retrouver mis à mal par l’aspiration du trou noir. Pour éviter une mort certaine, l’équipage prend la décision d’accoster à bord du Cygnus en compagnie de leur droïde Vincent 396. Très vite, ils constatent que le vaisseau est occupé et font rapidement la connaissance de son commandant, Hans Reinhardt, scientifique un brin timbré qui a pour ambition folle d’explorer le trou noir. Si le scénario lorgne plus du côté de la production de science-fiction des années 50 et 60, la direction artistique pille allègrement du côté des deux franchises suscités. L’équipage humanoïde-robotique de Reinhardt rappelant à s’y méprendre les Stormtroopers de l’Empire, tandis que le petit droïde Vincent 396 est un emprunt assumé à R2D2. L’imagerie qui entoure l’équipage de l’USS Palomino est quant à lui très clairement hérité de celui de l’USS Enterprise de Star Trek. Pourtant, le film se démarque de ses aînés à plusieurs niveaux. Bien que sous pavillon Disney, il ne lorgne jamais vers la comédie et n’ambitionne donc aucune forme de parodie – ce que le studio a beaucoup fait dans son histoire, notamment avec les genres du western ou du film noir – en cela, même si Le trou noir pille quelques idées à ses aînés, il n’est ni une copie vulgaire, ni un ersatz. Gary Nelson doit en réalité composer avec des codes de représentations que les deux sagas mères ont largement ancrés dans les esprits. L’ambition affichée est clairement de rivaliser visuellement avec ces deux mètres étalon tout en affichant une forme de singularité. C’est ce qui permit sûrement au long-métrage de devenir si culte, car au même moment, de nombreuses copies-conformes sans sans personnalité furent produites en masse et rejoignirent rapidement les oubliettes de l’histoire du cinéma.
Le réel intérêt de cet objet réside certainement dans sa faculté à déjouer les attentes, à se montrer plus mal aimable qu’il n’y parait. Son rythme lent et contemplatif peu dérouter, là où les films de George Lucas, récits d’aventures haletants, ne s’arrêtent jamais pour respirer. Le Trou Noir, bien au contraire, se nourrit du temps qui passe, qui se fige, de l’apesanteur qui plane sur certains de ses plans. A ce titre, la musique magnifique de John Barry fait admirablement le pont entre une emphase orchestrale – qui rappelle les grandes partitions de John Williams, notamment en ce qui concerne cette science du thème, exceptionnelle dans la partition de Barry – et un minimalisme sombre qui sied parfaitement aux instants où le récit semble se mettre en pause. Si cette tendance générale à la contemplation presque abstraite et psychédélique peut rappeler la patte de Stanley Kubrick, elle convoque tout autant cette temporalité étrange qui nimbe les images officielles de l’alunissage d’Apollo 11. Le film est donc en cela peut être plus volontairement réaliste et c’est sans doute ce qui le rend aussi singulier au regard de son époque. Car en un sens, il parvient à re-convoquer les représentations du cinéma de science-fiction des années 50. Un cinéma qui, s’il explorait parfois des contrées extraterrestres, était tout de même beaucoup plus centré sur l’humanité, affichant des ambitions philosophiques et auto-réflexives. Si ces caractéristiques demeurent dans Star Trek et Star Wars – qui restent des récits initiatiques à portée philosophique et politique – l’ancrage au réel est largement diminué, empiété par des codes de représentation du fantastique (créatures non-terriennes, planètes inconnues…). Dans Le Trou Noir, la science-fiction ne s’éloigne jamais vraiment du domaine du possible, même pour l’époque – des robots, des vaisseaux spatiaux, des êtres humains qu’on a « déguisés » en robots – en résulte alors un long-métrage relativement hybride, qui ambitionne dans la teneur de ses effets spéciaux de suivre la révolution en marche, tout en cultivant, du point de vue du récit, les codes d’une science-fiction à l’ancienne que ne renierait pas Jules Verne, source d’inspiration évidente, notamment avec 20.000 lieues sous les mers, récit matriciel qui hante le film de Gary Nelson.
Si l’importance du long-métrage de Kubrick comme des deux sagas intergalactiques que j’ai déjà suffisamment cités n’est plus à défendre, la marque que laissa Le Trou Noir dans l’histoire du cinéma de science-fiction est souvent, à tord, trop dé-évaluée. Pourtant, l’étrangeté du film colonise beaucoup de films d’espace contemporains. C’est le cas notamment, pour le plus évident, de Interstellar (Christopher Nolan, 2014) qui en est une variation assumée et hautement revendiquée par son réalisateur. En entretien, Christopher Nolan ne s’est jamais caché d’avoir eu envie de rendre hommage à ce film produit par The Walt Disney Company qui l’avait profondément marqué et fasciné enfant – il avait neuf ans à sa sortie en salles. Peu à peu re-découvert, Le Trou Noir a bénéficié d’un regain d’estime grâce à Christopher Nolan notamment, mais aussi par le prisme de la culture geek qui l’éleva au rang de film culte. En France, ce chef-d’oeuvre reste relativement méconnu, la faute à une exploitation vidéo limitée. Les générations ayant eu la chance de connaître ce support fabuleux qu’était la VHS eurent surement des chances de tomber dessus et d’en fatiguer la bande, pour le reste, si un DVD a bien été édité il y’a quelques années, la stratégie restrictive de Disney vis à vis de la mise en circulation de ses titres sur le marché vidéo, ne permit pas au film un accès constant, le préservant dans sa rareté. Sa présence dans le catalogue de Disney+ est donc une aubaine pour quiconque souhaiterait le redécouvrir, d’autant plus que de toute évidence, il n’a jamais été diffusé master plus beau que celui présenté sur la plateforme.
Keu chtavè dit ksé T frai comme moovi. Un très bon film d’enfance en effet. Dommage que Nolan n’en ai rien fait !
Bin oué merssi pour eul quonseille