Démons 1 & 2


Alors que Carlotta réédite Démons (Demoni, 1985) et sa suite Démons 2 (1986) de Lamberto Bava, des classiques intenses et énergiques du cinéma gore. Nous avions déjà pu jeter un coup d’œil sur la copie restaurée du premier volet lors du PIFFF en décembre 2021. Produit par Dario Argento, ces productions oscillent entre réflexivité et contamination, saupoudré d’une grande dose de grand-guignolesque à la Evil Dead (Sam Raimi, 1981), Gremlins (Joe Dante, 1981) ou Frissons (David Cronenberg, 1975). Par une parfaite mise en abîme, on assiste à l’exploitation bis dans toute sa splendeur où Lamberto Bava pastiche les codes en même temps qu’il rend un splendide hommage à l’héritage de ses prédécesseurs, notamment son père, Mario Bava, l’inventeur du giallo.

Plongé dans un violent clair-obscur noir et rouge, une femme démon ensanglantée et au visage possédé regarde droit dans l'objectif de la caméra du film Démons.

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Bis-versa

Tout est histoire de sang dans l’histoire de l’horreur à l’Italienne. La famille Bava est présente dans l’industrie du cinéma depuis un siècle, à l’instar de son grand-père, Eugenio Bava – cameraman et spécialiste de l’optique pendant l’ère du muet – et de son l’illustre géniteur, le cinéaste-technicien Mario BavaLe Masque du Démon (1960), Six Femmes pour l’Assassin (1964), Les Trois Visages de la Peur (1963) – Lamberto Bava œuvra dans le fantastique et l’épouvante, au cinéma et à la télévision. Vers l’âge de quinze ans, Il est engagé comme quatrième ou cinquième assistant-réalisateur sur La Ruée des Vikings (Mario Bava, 1963). Dans les décennies à venir, il travaille sur des publicités. Puis s’ensuit La Planète des Vampires (Mario Bava, 1965), le premier film sur lequel il travaille en tant que second-assistant-réalisateur. Il tourne également quelques scènes de Danger : Diabolik ! (Mario Bava, 1968) – la poursuite en voiture – et Lisa et le Diable (Mario Bava, 1973). Surtout, Bava fils se retrouve derrière la caméra grâce à Shock/Les Démons de la nuit (1967) un scénario qu’il a écrit et dans lequel joue Daria Nicolodi, la compagne de l’époque de Dario Argento : Shock marque ainsi la rencontre entre Lamberto et le maître de l’horreur. Il devient alors assistant-réalisateur sur Inferno (1980) et Ténèbres (1982). Pendant le tournage d’Inferno, Lamberto est contacté par Antonio et Pupi Avati – des figures majeures du cinéma de genre italien – qui lui offrent son premier projet en tant que réalisateur. Après son premier film Baiser macabre (1980) – bien accueilli et récompensé au Festival International du Film fantastique et de Science-Fiction de Paris – Lamberto Bava collabore avec Joe D’Amato puis surtout avec Ruggero Deodatto sur Le Dernier Monde Cannibale (1977) et sur Le Dernier Souffle (“L’ultimo sapore dell’aria”, 1978). Il est même crédité sur Cannibal Holocaust (1980) pour, selon ses dires, services rendus aux producteurs. Mais revenons à sa rencontre avec Dario Argento : “Dario venait de produire Zombie, avec Georges A. Romero et voulait faire un film avec moi, et je lui ai donc proposé un scénario de Daradano Sacchetti. Argento m’a dit qu’on pourrait en utiliser une partie pour en faire un long-métrage. Avec lui, ainsi qu’avec Dardanno et Franco Ferrini, j’ai travaillé plusieurs mois sur un scénario. Dario étant très exigeant il voulait en faire un film unique.” (Propos recueillis par Robert E D’Onofrio, traduits par Yann Lebecque et publiée dans la revue L’Ecran Fantastique). Ainsi, le scénario de l’opportuniste Démons est écrit à plusieurs mains, et le titre est quant à lui emprunté à un bouquin de Dostoïevski, qu’on trouve aussi sous le nom Les Possédés. Le script est un assemblement de scènes et d’idées réunies au sein d’une structure principale, la mise en abîme autour d’un film hanté. Production familiale oblige, Argento offre à sa fille Fiore l’un des rôles principaux ; dans la suite, Asia Argento y fera sa première apparition à l’âge de neuf ans ; enfin, on peut revoir Nicoletta Elmi – vue en gamine coupeuse de tête de lézard, dans Les Frissons de l’Angoisse (Dario Argento, 1975) – ainsi que le le tout jeune Michele Soavi – futur réalisateur du culte Bloody Bird (1987) – qui joue les fantômes de l’opéra.

Plan issu du film Démons où une femme se cache derrière un masque de démon en argent.

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Le premier Démons (1985) démarre dans une station de métro. Une jeune fille proprette et angélique croise un étrange personnage, le visage déformé et à moitié recouvert d’un masque de démon argenté. Celui-ci tracte des tickets d’or pour une séance de cinéma au Metropol Theater en Allemagne dans lequel on passe un film sur le pillage par un groupe de motards d’une crypte où se trouve la tombe de Nostradamus. Ils y trouvent un grimoire écrit par l’alchimiste qui explique que les démons sont les instruments du Diable et les différents spectateurs, dont un groupe de jeunes, un aveugle et une femme rousse, des fumeurs de cigares, etc… – soit, différents points de vue et générations – vont assister à la plus apocalyptique séance de leur vie dont le point de départ est lorsque l’une des spectatrices essaie le masque et se coupe le visage. Dans ce concept de « film dans le film », le réel rattrape la fiction, ou plutôt la contamine : la projection prend littéralement vie sous leurs yeux et la salle se transforme en antichambre de l’Enfer. Les spectateurs sont un à un contaminés et transformés en démons. Les dynamiques sont claires : diffusion, contamination et propagation. On l’a dit, tout démarre par une blessure, la pustule du personnage nommé Rosemary, la première dégueulant du vomi verdâtre dans les toilettes du ciné lors d’une scène incroyable baignée d’une mystique lumière jaunâtre. Les démons ont quant à eux des allures de zombies virulents aux yeux globuleux et à la langue pendue, se transformant dans la douleur, le corps marqué de scarifications.

Cinq silhouettes humaines aux yeux brillants de manière surnaturelle gravissent un escalier d'où surgit une lumière bleue pâle fantômatique dans le film Démons.

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On a donc toute une première partie cloisonnée où le divertissement devient une prison. On est bloqué dans ce cinéma où les personnages veulent arrêter le film pour empêcher les démons de proliférer ;ils s’enfoncent alors au plus profond du théâtre pour se rendre compte que ce lieu ne mène nulle part et qu’une présence invisible se déplace le long de ces murs… Démons excelle dans le défoulement de scène gore et de meurtres excessifs – égorgements, énucléations, coup de griffes, arrachage de crânes, démon jaillissant du corps de l’une de ses victimes – sublimés par le travail remarquable du maquilleur Sergio Stivaletti. Mise en abîme oblige, le rendu est ultra référencé, on pense à L’Exorciste (William Friedkin, 1973), Shining (Stanley Kubrick, 1980) ou à Lucio Fulci. La circulation du Mal, elle, reste une récurrence picturale et thématique propre au genre italien, qui a trouvé une splendeur chez Argento. D’ailleurs, le poster de Quatre Mouches de velours gris (1971) – le deuxième volet de sa trilogie giallo – est affiché dans le cinéma du film. Clairement, l’aspect méta et ironique de cette série B jouissive appelle au second degré, offrant des répliques hilarantes : “Dany ! Il se passe la même chose dans le film. / – Ouais, d’façon c’est d’la merde ce film”. Surtout, on retient des trouvailles visuelles fascinantes comme ce moment où une victime déchire la toile de projection en même temps que le tueur du film projeté déchire avec sa lame la toile de tente de ses victimes. Plus étonnant encore, on peut savourer une scène badass d’un gars en moto cross déchiquetant de l’infectés avec un sabre de samouraï. Car enfin, autre point non négligeable, Démons dresse un bref tableau des eighties. Déjà, la musique électro de Claudio Simonetti ancre définitivement l’œuvre dans les années 80 – pour rappel, on lui doit avec son groupe les Goblins les B.O. des plus grands films de Dario Argento (Les Frissons de l’angoisse, Suspiria, Ténèbres et Phenomena) mais aussi l’inoubliable Zombie de Romero. Mais revoyez les plans en extérieur sur les jeunes punk sniffant de la coke qui “pourrait réveiller un mort”. En dépeignant une jeunesse ici oscillante entre euphorie et excès, nos Italiens ne sont pas dupes face à l’hégémonie américaine. A la fin de ce premier volet, le père de famille sauveteur répond à son jeune fils qui lui demande, “On va où maintenant ? / – Le plus loin possible. A l’Ouest. On a vu des lumières dans le ciel, peut être que tout n’est pas perdu, il reste peut-être un endroit où on peut commencer une nouvelle vie”.

Des possédés, à l'air de zombies, se collent au pare-brise d'une voiture, affamés; scène de nuit issue du film Démons.

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“Les cimetières seront leurs cathédrales et les villes seront vos tombes”, annonçait Démons premier du nom. Parce que les démons appellent plus de démons, le succès du long-métrage donne naissance dès l’année suivant à une suite, toujours réalisée par Lamberto Bava, qui confirme cette funeste prédication. Démons 2 (1986) s’ouvre sur “une terrible prophétie datant de plusieurs siècles. Elle parle de démons des Enfers se déchaînant sur la Terre. La prophétie s’est réalisée. Les spectateurs dans un cinéma ont été transformés en créatures assoiffées de sang. Ils transportent la mort et la contagion”. Les démons s’apprêtent à envahir les rues, la peur et la mort seront les horreurs de la journée. La séquelle prend comme terrain de jeu un building moderne, un espace commun éclaté où l’on suit brièvement une multitude de petites vies via les appartements – la jeune Sally qui fête ses seize ans avec ses amis, des joyeux fêtards, une jeune femme enceinte, des enfants, une voisine et son chien, des bodybuilders abonnés à une salle de sport… A nouveau, une fille se coupe, et son sang coule sur le cadavre d’un démon pétrifié qui revient à la vie. La propagation et la contamination reprennent furieusement, l’électricité disjoncte, et le sang acide des monstres – comme dans Alien (Ridley Scott, 1979) – traversent le sol, d’étage en étage. Dans la revue L’Ecran Fantastique, Gilles Penso écrivait : “sa résurrection elle-même est obtenue en faisant fondre une tête en cire et en passant la séquence à l’envers. Le visage du monstre se couvre ensuite de veines rouges image par image, tandis que sa peau pétrifiée reprend des couleurs”. Mais désormais, la salle de ciné est remplacée par la télévision, le nouveau medium de prolifération. Les créatures diaboliques trouvent une porte d’entrée dans notre monde par l’intermédiaire du tube cathodique. Citons à nouveau Gilles Penso qui dit que “cette image surréaliste évoque Vidéodrome et Freddy 3, et annonce même avec douze ans d’avance l’un des moments le plus mythiques du Ring d’Hideo Nakata”. A nouveau, le maquilleur Sergio Stivaletti nous régale avec des transformations cauchemardesques et beaucoup plus frontales, toujours à base de dents arrachés et de griffes tranchantes. En écho à la scène la plus marquante du premier volet, on a le droit ici à plus de créatures sortant des corps d’hôtes. Démons 2 marque aussi par des scènes délirantes avec un chien contaminé, un enfant démon, et toujours des moments d’action dont une cascade en voiture et une escalade dans une cage d’ascenseur.

Blu-Ray des films Démons et Démons 2 édité par Carlotta.Démons et Démons 2 demeurent les plus grands succès de Lamberto Bava. Dans la suite de sa carrière le cinéaste rendra hommage à son père en tournant en 1989 un remake du Masque du démon, un film aujourd’hui disparu mais on peut également citer The Torturer (2005), un slasher filmé en numérique avec un tueur en série sévissant pendant un casting de danseuses pour une émission de télévision, ou Ghost Son (2007) dont il s’estime fier. Quant à un troisième volet à Démons, les rumeurs sur internet – un parfait medium de contamination, là encore – n’ont cessé d’en parler. “Effectivement, tout le monde parle d’un Démons 3, mais durant les vingt-cinq dernières années, je n’ai jamais eu de proposition sérieuse de la part d’un producteur. » (L’Ecran Fantastique). En attendant, Carlotta offre aux deux premiers volets un écrin steelbook à la hauteur de leur réputation, garni de près de quatre heures de suppléments gourmands.


A propos de Axel Millieroux

Gamin, Axel envisageait une carrière en tant que sosie de Bruce Lee. Mais l’horreur l’a contaminé. A jamais, il restera traumatisé par la petite fille flottant au-dessus d'un lit et crachant du vomi vert. Grand dévoreur d’objets filmiques violents, trash et tordus - avec un net penchant pour le survival et le giallo - il envisage sérieusement un traitement Ludovico. Mais dans ses bonnes phases, Il est également un fanatique de Tarantino, de Scorsese et tout récemment de Lynch. Quant aux vapeurs psychédéliques d’Apocalypse Now, elles ne le lâcheront plus. Sinon, il compte bientôt se greffer un micro à la place des mains. Et le bruit court qu’il est le seul à avoir survécu aux Cénobites.

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