Drive-Away Dolls


Après Macbeth de Joel sorti l’année dernière, le duo de frères iconique des Coen continue son virage en solo;. Cette fois c’est Ethan qui se lance avec Drive-Away Dolls, une comédie potache qui aurait pu s’inscrire dans la pure tradition de la fratrie s’il n’avait pas à cœur d’en parodier le style. Récit d’une déception.

Plan en contre-plongée depuis le coffre d'une voiture sur deux jeunes femmes perplexes dans le film Drive-Away Dolls.

© Focus Features. LLC.

Flood Simple

Trois adolescentes personnages du film Drive-Away Dolls semblent inquiètes, dans un lieu indéfini, aux murs beiges et aux fenêtres condamnées avec des néons de toutes les couleurs ; toutes les trois côte à côte, regardant vers leur gauche, dans l'appréhension de ce qui pourrait venir.

© Focus Features. LLC.

La promesse était belle. Si nous avons pu être un peu déçus de voir les frères Coen se séparer – provisoirement on l’espère – pour tracer des routes en solitaire, il faut reconnaitre que la proposition de Joel l’année dernière avait été très solide. Macbeth, sur un registre éloigné du style développé avec son frère cadet depuis des décennies, avait donc convaincu. Qu’en serait-il donc du travail d’Ethan, lui qui a souvent délégué la réalisation au profit de l’écriture dans la conception à quatre mains avec son frangin ? Drive-Away Dolls arrive donc à un moment charnière de sa carrière où l’artiste doit s’affirmer et pourquoi pas se réinventer. Tout un programme. Le fait qu’il travaille cette fois avec son épouse, Tricia Cooke, était la grande inconnue dans l’équation, le casting avait toutefois de quoi faire saliver : Margaret Qualley, Pedro Pascal, Matt Damon, etc. De plus, il s’agit là d’un projet que Tricia Cooke et Ethan Coen travaillent depuis plus de vingt ans, d’autant plus personnel qu’il évoque l’homosexualité de la scénariste – elle se définit comme lesbienne tout en étant avec Coen dans un couple « non conventionnel » – et qui rendrait hommage au cinéma d’exploitation des années 70.

Marian et Jamie sont deux amies toutes deux lesbiennes – la première est aussi introvertie que la deuxième est extravertie – décidant de partir de Philadelphie pour la Floride, à Tallahassee. Elles conduisent une voiture destinée à être livrée là-bas, sauf que cette automobile leur a été donnée par erreur et qu’elle contient une valise et une boite à chapeau que convoitent des criminels qui se lancent à leurs trousses. Un pitch tout ce qu’il y a de “coennien” en somme ! Avec sa structure de road movie classique, Drive-Away Dolls devrait dérouler les séquences comiques de quiproquos avec savoir-faire. Il n’en est rien. Jamais le film n’amuse et n’arrive à tirer parti de son postulat de départ. C.J. Wilson et Joey Slotnick, qui jouent les criminels rappelant ceux de Fargo (Joel & Ethan Coen, 1996), ne parviennent pas à rendre leurs personnages drôles ni même attachants. Et les dialogues, qui fusent à vide, de Jamie et Marian sont si abscons ou hors sujet que le spectateur ne peut guère les trouver réjouissants. C’est l’échec le plus évident du film tant l’auteur nous avait habitués à une véritable orfèvrerie de la comédie décalée. Ici, on se contente de gag à base de godes pour espérer être subversif. Même la chute, avec la révélation du contenu de la mallette, se vautre dans une pauvreté que l’on n’aurait pas suspectée chez l’un des auteurs de No Country For Old Men (2007).

Alors que l’on comprend rapidement qu’on ne rigolera pas devant Drive-Away Dolls, on se dit qu’on pourra bien se raccrocher à la réalisation pour en prendre au moins plein les mirettes. Là encore, il n’en est rien. Les séquences sont filmées platement avec un renoncement assez spectaculaire à valoriser ne serait-ce que les décors américains – le b.a.-ba du road movie ! – et des partis pris de mise en scène qui ne font que jurer les unes après les autres. Qu’il s’agisse des rêves psychédéliques où apparait Miley Cyrus ou les transitions horribles quasi systématiques entre chaque scène, le désastre est quasi-total. Ces transitions, d’une laideur digne d’un PowerPoint présenté par un collège un vendredi à 17h50, hanteront les gardiens du bon gout pour un sacré moment. In fine, rien ne va : le rythme est ultra bancal puisque les quatre-vingt-quatre minutes du long-métrage comptent double et les nombreux montages alternés où dans une ville il fait jour et dans l’autre il fait nuit (alors que tout se déroule sur le même fuseau horaire) font vraiment tâche. À se demander si sans le nom d’un Coen au générique, la chose aurait été financée tant elle a tous les atours de la production amateur !

Plan rapproché-épaule, débullé, sur Pedro Pascal qui fixe devant lui avec appréhension, comme surpris par un danger à venir : derrière lui un vieux mur en pierres peu éclairé ; issu du film Drive-Away Dolls.

© Focus Features. LLC.

Le point le plus délicat de Drive-Away Dolls demeurera sa représentation du monde queer. Tricia Cooke dit s’être inspirée du monde et des icônes gays qu’elle a pu connaitre, mais montrer presque sans nuance une galerie de personnages lesbiens qui ont tous le sexe comme motivation, cela parait loin d’être représentatif ni exhaustif. Pire, cela aurait tendance à jouer sur des stéréotypes dont on peine à se débarrasser aujourd’hui. Le personnage de Jamie, joué par Margaret Qualley, est d’ailleurs notoirement toxique vis-à-vis de Marian, interprétée par Geraldine Viswanathan. De même, Ethan Coen, hétérosexuel soixantenaire, est-il le meilleur choix pour filmer des séquences de sexe tout à fait complaisantes, voire même crues par moments ? La démarche est sincère et le cinéma doit se saisir des thématiques et enjeux queer. Drive-Away Dolls n’en demeure pas moins maladroit de bout en bout : s’il avait été plus drôle et mieux réalisé, cela n’aurait pas changé le fond du problème. Le premier film solo d’Ethan Coen enchaine les pires clichés et à vouloir donner une vision définitive de la communauté LGBTQIA+, il ne fait qu’effleurer les possibilités d’un tel sujet. Et incapable de délivrer un regard juste et en phase avec son époque sur les femmes, le cinéaste se montre ringard. Un mot qu’on ne pensait pas associer au patronyme Coen un jour…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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