Calvaire


Pulsion, instinct, viscéral et transcendance sont des mots qui riment avec la démarche d’un cinéaste comme Fabrice Du Welz. Henri-Georges Clouzot disait que “le cinéma, c’est comme un spectacle et une agression“. Du Welz s’en est souvenu pour son ambitieux début de carrière avec Calvaire, un conte hivernal expérimental au réalisme cru qui débute comme une romance barrée avec un Jackie Berroyer fou amoureux de Laurent Lucas, avant de virer au pur film de séquestration, enfant dégénéré du matriciel Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974). Mais ce survival hardcore se mue aussi vite en conte halluciné ponctué d’images décalées, le paysage brumeux des Ardennes teintant cette étrange poésie… Le regard du cinéaste belge, bercé entre désespoir et quête d’absolu, font de Calvaire l’un des produits les plus cultes du paysage horrifique des années 2000. Nous appuierons notre texte avec des extraits d’un entretien que nous avait accordé Fabrice Du Welz en 2019, lors de l’avant-première d’Adoration au Festival du Film Grolandais de Toulouse. On est encore venu piétiner notre cœur…

Un homme marche dans la forêt ; on ne voit que l'ombre de sa silhouette et des arbres, plongé dans un rouge surréaliste ; affiche du film Calvaire.

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La passion du Welz

Jackie Berroyer assis dans son salon au papier peint vieillot, ronge son ponce d'inquiétude dans le film Calvaire.

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Sinistré du paysage franco-belge, Calvaire s’inscrit dans une période charnière du paysage horrifique et extrême. Au début des années 2000 en France et dans le monde, on a pu voir émerger une horreur assumée, sans grandes prétentions « auteuristes », avec des réalisateurs comme Lionel Delplanque – Promenons-nous dans les bois (2000) -, Gaspar Noé – Seul Contre Tous (1998) -, Alexandre Aja – Haute Tension (2003) -, Pascal Laugier – Martyrs (2008) -, Xavier Gens – Frontière(s) (2007) -, ou Alexandre Bustillo et Julien Maury – A l’intérieur (2007). Ces derniers étant baignés dans la sous-culture et l’exploitation made in USA, ils nous ont offert des films d’horreurs adultes, brutaux et paradoxalement hybride. Pourtant, avec le temps, on se rend compte que ce geste racontait beaucoup de choses de son époque. Aujourd’hui, les films dits d’« auteur » français insufflent du « genre » dans leurs histoires. Pensez à des cinéastes contemporains comme Julia Ducournau, Sebastian Marnier, Hélène Cattet et Bruno Forzani, Yann Gonzales, Bertrand Bonello ou Bertand Mandico : lorsque qu’on  demande à Fabrice du Welz comment il comprend ce besoin pour cette vague de réalisateurs de s’inscrire dans une brutalité extrême, il nous répond honnêtement : “Je ne peux pas te dire exactement. Je crois qu’il y a une volonté à un moment donné de se démarquer. En fait, tout ce moment-là, c’est un cinéma qui est sous très forte influence américaine. Donc on est vraiment tous influencés par Massacre à la tronçonneuse, avec une volonté d’être aussi extrême, aussi ambigu, aussi jusqu’au-boutiste (…) Je voulais faire de mon premier film un film jusqu’au-boutiste, qui joue avec certains codes et certains référents du cinéma qui m’ont vu grandir adolescent. Et après j’ai déplacé certaines choses. En fait le film est assez hybride. Effectivement, il n’est pas stricto senso un film d’horreur. J’y vois plutôt une espèce de comédie noire, un peu absurde, avec des ruptures de style. Mais je joue avec certains codes du cinéma d’horreur, et c’est peut-être pour ça qu’on m’a mis dans cette étiquette, dans ce tiroir-là, et que j’ai un peu du mal à en sortir ». Si Fabrice Du Welz s’inscrit pleinement – au départ, du moins -, dans ce mouvement de french neo horror ou de french frayeur, force est de voir que le cinéaste belge a toujours eu une position particulière. Bien qu’il affirme une approche viscérale, violente, empreint d’une certaine frontalité vis-à-vis de la sexualité notamment, il ne succombe pas à une débauche d’horreur dégoulinante, d’effusion de gore insoutenable. La même année que Calvaire, le monde découvrait Saw (James Wan, 2004) qui a bouleversé les franchises horrifiques. A ce sujet, l’intéressé nous apprend : « J’ai bien connu James Wan. Quand j’étais à la Midnight Madness à Toronto, un endroit un peu particulier, on était dans la même sélection. J’ai des souvenirs de soirée avec lui, et j’ai assisté au phénomène délirant autour de Saw. Quand j’ai présenté Calvaire, la moitié de la salle est partie pendant la projection. Et de l’autre côté, je voyais James Wan en train de capitaliser un succès absolument incroyable. Calvaire est un film qui joue avec les codes d’horreur. Mais, au fond, je ne me suis jamais vraiment considéré comme un réalisateur horrifique ou extrême. Oui, j’aime bien le cinéma extrême, excessif ou viscéral. Aujourd’hui avec le recul, je continue juste de faire les films que j’ai envie de faire, en essayant d’y inscrire un certain aspect organique et viscéral ». Finalement, Calvaire obtiendra le prix du jury, ex-aequo avec Saw. En parallèle la réception d’un film comme Calvaire a pu pâtir de sa comparaison avec le succès d’Haute Tension. « Je n’ai jamais compris la comparaison avec le cinéma d’Alexandre Aja. Puis, on voit bien qu’aujourd’hui ça n’a rien à voir. Après j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour Alexandre. Je trouve qu’il s’en sort très bien et qui fait exactement les films qu’il veut faire. Avec Haute Tension, à part le fait qu’on jouait avec les codes du film d’horreur et que Philippe Nahon était dans nos deux films, c’est tout. Après, la violence jusqu’au-boutiste du film me plaisait assez ».

Élevé dans les dogmes religieux, Du Welz cultive son amour pour les films comme une forme d’évasion. Il a d’abord voulu être acteur, avant de réaliser de nombreux films en Super 8. Il remporte le grand prix du festival de Gérardmer en 2001 avec son court-métrage Quand on est amoureux c’est merveilleux (1999), portrait douloureux d’une femme seule et son histoire d’amour avec son cadavre de mari. A travers cette histoire décadente, macabre et poétique, il affiche ce désir de contaminer le public et dévoile ses thèmes de prédilection : l’Amour, la quête d’absolu et tout le désespoir qui s’en suit, avec ces psychologies et subjectivités trompées. En clair, il ne cessera de dépeindre des humains dans toute leur complexité, au point de perdre le sens de la réalité pour fuir leur douleur. Justement, quatre ans plus tard, il renoue la collab’ avec son scénariste Romain Protat : Calvaire raconte l’histoire d’un type qui vit en cambrousse, a été plaqué par sa femme, et qui un jour prendrait un autre homme pour sa compagne revenue. Chanteur de charme itinérant, Marc Stevens (Laurent Lucas) termine son spectacle perdu dans un hospice perdu dans les Ardennes belges. Marc tombe en panne au milieu de nulle part et rencontre M. Bartel (Jacky Berroyer), un aubergiste psychologiquement fragile depuis que son épouse Gloria l’a quitté. Ce dernier le recueille mais Bartel prend Marc Stevens pour sa femme. Cet ancien artiste humoriste voit en Marc l’incarnation de son ex-femme et les villageois sont persuadés qu’elle est rentrée au pays. Le parcours, fait d’épreuves tortueuses, subi par son héros est à l’image de celui du long-métrage, de sa conception à sa réception : l’attente du montage financier a été très longue. Après un long trou noir de trois ans, Du Welz s’est battu comme un chien pour faire avancer le projet. Le CNC belge a été le premier à répondre, et finalement, Calvaire a couté 1,5 millions d’euros. Un petit budget donc – similaire à celui des productions indé américaines actuelles – qui pousse à repenser la qualité picturale du film.  On se doit de rappeler ce rapport particulier qu’entretient Du Welz avec les décors, l’ambiance, les atmosphères… Le tournage de Calvaire dure 35 jours, durant lesquels Laurent Lucas tourne en petite robe d’été au milieu des intempéries et de la neige. On souligne en particulier la collaboration décisive de du Welz et des chefs op. Ici, l’extrêmement talentueux Benoit Debie travaille à partir d’un très beau scope super 16, Debie et Du Welz ayant déjà travaillé ensemble sur Quand on est amoureux s’est merveilleux – c’est d’ailleurs comme ça que Gaspar Noé a repéré le chef op’ pour le prendre sur Irréversible (2002). Après les délires visuels en compagnie de Benoit Debie – Vynian (2008) en tête -, c’est Manu Dacosse qui apportera sa touche à l’univers naïf et dérangé du cinéaste belge… Car en bon storyteller, il aime se laisser aller à des envolées poétiques. Ce travail de la lumière, combiné à l’aspect granuleux de la pellicule, dévoile une poésie vénéneuse, viscérale, le tout combiné à une radicalité sèche, une crudité quasi essentielle. Le choix du 16mm donne à la pellicule un aspect granuleux adapté à ses gros plans de chairs qui plissent, suent et saignent. On retrouve une forme de réalisme magique dans la représentation de la Nature. La représentation des paysages hallucinés, poisseux comme ceux de Délivrance, participent à l’étrangeté. Du Welz se saisit de l’argument du survival et de ses arrières pays sauvages, les zones oubliées où l’on rencontre les familles dégénérées. Car les monstres sont avant tout des produits de leur milieu. A ce sujet, l’auteur Denis Mellier écrit dans son article, « Sur la dépouille des genres. Néohorreur dans le cinéma français (2003-2009) » – publié dans la revue Cinémas, le 7 janvier 2011 – : « La vieille scénographie de L’auberge rouge domine la plupart de ces histoires, les hôtes sont maléfiques et les rencontres fatales. En quittant les grands axes, les conducteurs se perdent sur des routes de campagne, découvrant des paysages sauvages, désolés, reculés, forêts et marais dans Calvaire, mine abandonnée dans Frontière(s), tous perdent leurs repères citadins pour entrer dans une zone terrifiante dans laquelle ils ne peuvent se diriger ». Si dans Calvaire, la forêt est l’antagoniste centrale, elle deviendra un adjuvant essentiel pour la fugue des deux gamins d’Adoration. « Les décors servent toujours mes personnages, nous confirmait le cinéaste en 2019. Parce que c’est toujours une histoire de contamination par le décor. (…) À chaque fois que le climat devient menaçant, brumeux, inquiétant, c’est toujours en corrélation avec ce qui se cristallise au sein des personnages. L’espace contamine aussi les personnages (…) C’est toujours une quête personnelle de me confronter aux éléments telluriques que j’affectionne : la terre, l’eau, le feu… ».  Ainsi, la recherche de conditions propices permet de triturer les corps, d’aller au fond de l’âme humaine et de retranscrire ça dans un cadre. D’où l’importance également de la direction des acteurs : globalement, ses films vont souvent reposer sur un duo d’acteurs, de personnalités et de singularités mises à rudes épreuves devant sa caméra. Emmanuelle Béart et Rufus Sewell dans Vinyan, Laurent Lucas et Lola Dueñas dans Alléluia (2014), Thomas Giora et Fantine Harduin avec Adoration…Son but est de faire transpirer, dégueuler quelque chose de l’image. Sa jeune expérience théâtrale lui garantit une ferveur dans la direction d’acteur, et il sait pousser ses comédiens dans leurs derniers retranchements pour chercher à tirer le meilleur d’eux-mêmes. Pour le personnage de Bartel dans Calvaire, Du Welz voulait initialement le défunt Philippe Nahon, à cause du boucher de Seul Contre Tous, avant de se rendre compte en le rencontrant que c’était trop évident. Il se tourne alors naturellement vers Jackie Berroyer, un être à l’apparence plus sensible et délicate, avec qui il avait fait un court-métrage. Tous ces éléments font qu’on rejoint pleinement Alexandre Bustillo lorsqu’il, officiant alors à Mad Movies, décrivait Du Welz comme « un cinéaste doté d’un langage cinématographique mature et réfléchi (…) conscient de la légitimité de chacun de ses plans, du plus discutable (le plan-séquence à travers les parebrises de la fourgonnette de Stevens) au plus ouvert à la controverse (la fellation de veau), voire au lynchage médiatique (la scène de tonte et la crucifixion de Laurent Lucas) ».

Le visage de Laurent Lucas se dessine à travers la fenêtre d'une vieille maison en pierre et ses barreaux dans le film Calvaire.

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Faible est de dire que Du Welz s’est battu comme un chien pour obtenir gain de cause, au point de sacrifier son salaire. Il avait quelques plans storyboardés auxquels il tenait vraiment, comme ce mouvement complexe où la caméra passe à travers le pare-brise de la camionnette. A cet instant du récit, il y a là une signification importante, car on passe un seuil, une frontière. Un peu plus tôt, on avait eu le droit à une fellation entre Joe Prestia – l’inoubliable Ténia d’Irréversible – et un sanglier. Grand combattant, la force physique de l’acteur a permis de maitriser la bête énergique. Citons également cette scène bizarroïde du morceau de piano dans l’auberge du village où se succèdent tout un tas de trognes de bouseux consanguins sans oublier la scène hystérique de viol, quelque peu héritée de La Traque (Serge Leroy, 1975) – l’histoire d’une femme violée par une bande de viandards – ou Les Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971). Du Welz avait dit dans les pages de Mad Movies : “Moi je voulais montrer la confusion, comme dans un tableau de Jérôme Bosch : ça se tue, ça s’enfile, il y a ce porc et ce veau, cette lumière infrabasse, ce rouge et ce noir… C’est très cru ». Définitivement, la peinture sacrée et profane de Bosch n’aura cessé d’inspirer le Septième Art, dans la séquence finale des Contes de Canterbury (Pier Poalo Pasolini, 1972) à la descente dans le Rectum, le club sadomasochiste d’Irréversible, lui aussi sous infrabasse – dernière comparaison avec Gaspar Noé. Quant à la scène de tonte citée par Bustillo, Du Welz aura le droit à la douce insulte de Nazi. Effectivement, la torture, la dégradation corporelle et la mutilation, détails chéris par le torture porn, sont un leitmotiv du cinéma du début du millénaire. « Le martyre est représenté, dans ces films, comme une métamorphose négative réalisée à même la peau, nous dit Denis Mellier, avant de citer (…) les scènes de tonte de Calvaire et de Frontière(s) comme rituel de soumission et de dépersonnalisation ». Ce qui intéresse le cinéaste belge dans la violence, ce sont les causes et les conséquences. « Il est important pour moi d’essayer d’aller au plus loin de nos troubles, nous expliquait Du Welz, de notre nature où la morale n’existe pas forcément. Je ne pense pas que l’humanité est mauvaise, je pense qu’elle est ce qu’elle est, et j’essaye de mieux la comprendre. L’humanité est complexe et ambiguë, et la Nature n’a pas forcément de moral. On a des codes et des lois, il faut vivre en société, mais il y’a des forces qui s’opposent constamment et même de manière intrinsèque. On a la pulsion, l’instinct, la transcendance, l’ascendance. Tout ça est très fascinant et j’essaye d’explorer tout ça à travers mes histoires et d’en tirer une forme de poésie ». Bien que l’amour, finalement, reste le moteur de toute sa filmographie, Du Welz travaille l’idée que l’absolu est une forme de folie, même si elle est pétrie de bien. Jusqu’à Adoration, construit comme un « Eden retrouvé », ces films violents seront traversés par des trouées de paix. Et cette récurrence du personnage de Bartel au fil de son œuvre devient l’allégorie de l’éloge de la folie : vaut-il être mieux fou et heureux que malin et désespéré ? Une problématique constitue nos mensonges et nos impostures, l’ambiguïté inhérente à notre nature. Clairement, les balbutiements des débuts dans Calvaire, ajoute de la candeur, de la naïveté et de l’énergie à un univers bien couillu, une dimension quasi de conte, aux lisières du fantastique et du grotesque. Le meilleur exemple est la scène de chasse finale, avec Phillipe Nahon avalé par les marais et Laurent Lucas en robe à fleur, s’apparente une relecture inattendue de l’ogre et du Chaperon rouge… Tout en rappelant que le cinéma reste quelque chose de purement visuel. Son second ouvrage, Vynian – l’histoire d’un couple égaré en Thaïlande, incapable d’accepter la disparition de leur petit garçon – ira d’ailleurs plus loin dans les silences et la contemplation. L’artiste laissera se déchaîner son improvisation quasi-documentaire au cœur du poids hostile et moite de la jungle, dans laquelle on ne peut se défaire des apparitions fantomatiques de vaisseau hanté par des silhouettes enfantines voguant silencieusement dans la brume… Mais face à de telles propositions sensorielles et radicales, il nous faut questionner le positionnement d’un tel cinéma au sein de l’industrie, et de sa réception par le grand public.

Dans ce cas, ce conflit entre film d’auteur et film de genre, comment appréhender le cinéma schizophrénique de Fabrice Du Welz ? Le genre en France est une notion héritée de la Nouvelle Vague dont les journalistes se sont emparés. On sent donc du mépris et de la condescendance dans le terme. Mais il s’agit là d’un débat vide : l’Amérique, par exemple, ne fait que du genre. Pour eux, l’artisanat et l’art ne se contredisent pas. D’ailleurs, le point commun qui rapprochent Calvaire de Massacre à la tronçonneuse réside dans cette frontière tendue entre le rire, le grotesque et le frisson, la peur. Dans certains instants, on ne sait jamais trop si l’on doit rire ou pleurer. On ressent encore ça dans Adoration qui contient des moments très durs et violents psychologiquement, pourtant combinés à des instants absurdes et bucoliques. Le cinéaste reconnait jouer sur ce rasoir : « Ce n’est pas une volonté de sortir des clous, mais j’aime les choses qui me bousculent. C’est pour ça qu’il y a certains auteurs que j’adore, parce qu’ils arrivent aujourd’hui à me sortir de certains films qui sont balisés. Ce n’est peut-être pas ce qu’il faut faire pour faire des entrées, ce n’est peut-être pas ce que l’époque demande, mais c’est ce que j’arrive à développer avec mes petits bras. (…) J’ai la nécessité essentielle de faire des choses, donc il faut que je les fasse, aujourd’hui plus que jamais. Parce que j’ai plus d’expérience, il y a des choses qui m’apparaissent évidentes, que je veux pouvoir faire envers et contre tout, et que je ferai. Après, que ça plaise ou que ça ne plaise pas, c’est compliqué. On préférerait que ça plaise, mais en tout cas, voir les gens dubitatifs, voir les gens interpellés, choqués, étonnés, énervés, au moins ce sont des réactions. Je ne suis pas un entertainer. Je ne suis pas quelqu’un qui n’est là que pour divertir, je veux pouvoir laisser un impact, laisser une odeur, laisser une sensation chez les gens. Je ne suis pas dans un rapport fétichiste au cinéma. Ce qui l’intéresse, c’est de développer des dramaturgies. J’essaye simplement de développer des personnages et des obsessions, des névroses qui s’étiolent ou des projections. Ce qui m’intéresse, c’est de développer quelque chose, de faire place aux acteurs avec lesquelles j’ai beaucoup de plaisir à travailler ». Ainsi, entre regard et émotion, sensation et poésie, le cinéma de Du Welz, c’est donc tout d’abord une méthode. L’art et le métier pratiqués par Du Welz répondent surtout d’un geste nécessaire et pulsionnel. Il a ce désir de se confronter à l’inconnu et aux éléments, une démarche qu’on peut d’ailleurs rapprocher à son rapport aux mystiques et à ses cinéastes de chevet Werner Herzog, William Friedkin ou Mel Gibson, bien sûr. « Les grands mystiques, m’intéressent énormément. Des metteurs en scène comme Terrence Malick, Herzog ou Gibson m’intéressent de par leur volonté de faire de choses qui sont complètement absolues, où les notions du mal et du bien sont présentes. De manière simple, on vit dans une époque triviale où la quête vers Dieu n’existe plus. Je ne te parle pas du dieu catholique, du dieu musulman, ou du dieu des juifs, je parle de la quête spirituelle. Je crois que tout ce l’Homme a accompli de plus grand, c’était en direction vers Dieu. Vouloir se transcender pour aller vers le meilleur de soi-même, soit vers Dieu, l’idée de Dieu ou d’une certaine spiritualité, nous entraîne à nous dépasser. Accoucher de soi-même, c’est ce qu’il y a de plus fort. Malheureusement, en art aujourd’hui, nous sommes dans une espèce de régression. Il faut dire les choses comme elles sont. Plus personne n’accouche vraiment de soi-même. Le commerce est fortement présent. On a un bombardement d’images. L’art n’est plus au service de nous-mêmes, plus au service de la grandeur d’une idée, d’une transcendance ». Plus que jamais, Du Welz tire un constat sur notre industrie actuelle, sur l’endormissement infligé par l’industrie du divertissement et cette censure de la singularité. Dans un entretien accordé à Mad Movies lors de la sortie de Calvaire, il déclarait déjà : « Dans l’horreur que j’ai aimée quand j’étais gamin, c’était une horreur viscérale, organique, adulte, qui parlait du monde, de nous-mêmes, de nos pulsions. Tu pouvais exulter, te décharger dans ce cinéma-là. Aujourd’hui, le cinéma d’horreur est souvent très balisé, purement et bassement commercial. C’est rare de trouver des trucs qui sont vraiment de qualité  ». Et parce que la réalité a depuis largement dépassé la fiction, il n’est pas étonnant que Fabrice Du Welz se tourne vers le documentaire. C’est en discutant avec Christophe Lemaire, Monsieur Starfix – rencontré lors du Festival Court-Métrange 2022 – que nous apprenions que le cinéaste était actuellement en Italie, en compagnie de Béatrice Dalle – s’il vous plaît – , pour revenir sur les lieux de tournages marquants des films de Pier Paolo Pasolini. Plus mystique que ça, tu meurs…


A propos de Axel Millieroux

Gamin, Axel envisageait une carrière en tant que sosie de Bruce Lee. Mais l’horreur l’a contaminé. A jamais, il restera traumatisé par la petite fille flottant au-dessus d'un lit et crachant du vomi vert. Grand dévoreur d’objets filmiques violents, trash et tordus - avec un net penchant pour le survival et le giallo - il envisage sérieusement un traitement Ludovico. Mais dans ses bonnes phases, Il est également un fanatique de Tarantino, de Scorsese et tout récemment de Lynch. Quant aux vapeurs psychédéliques d’Apocalypse Now, elles ne le lâcheront plus. Sinon, il compte bientôt se greffer un micro à la place des mains. Et le bruit court qu’il est le seul à avoir survécu aux Cénobites.

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