Le festival Grindhouse Paradise se permet une petite excursion en terres espagnoles avec le premier long de Maximiliano Contenti, Al morir la matinée (2020), mélange suranné de slasher et de giallo qui se déroule dans l’ambiance ouatée d’un vieux cinéma.
Frères de sang
La pluie battante qui tombe sur le bâtiment luxueux d’un cinéma de quartier pousse le spectateur à se réfugier à l’intérieur, impatient d’y retrouver chaleur et confort. Nous voilà installés sur les sièges rouges délavés d’un cinéma au charme désuet, prêts à remonter le temps pour regarder un vieux film argentique… La salle de cinéma a toujours inspiré les réalisateurs et il n’est pas rare de retrouver à l’écran ce lieu hors du temps et de l’univers. Parfois, pour s’émouvoir avec Cinema Paradisio (Giuseppe Tornatore, 1988) ou parfois pour avoir peur comme dans Demons (Lamberto Bava, 1987) ou Popcorn (Mark Herrier, 1991). Avec Al morir la matinée (Maximiliano Contenti, 2020) nous nous retrouvons plutôt dans cette seconde catégorie, car dans cette salle obscure propice à toutes les perfidies, un tueur rôde… Ce psychopathe, première grande figure que l’on aperçoit, présente toutes les caractéristiques typiques d’un assassin de giallo et est filmé comme tel. De loin, nous n’apercevons qu’une silhouette sombre, mais lorsque la caméra s’approche, elle ne s’intéresse qu’à ses mains gantées de noir. Il évolue d’abord sur un fond et une lumière rouge, soyeuse. Il monte les marches du monumental escalier et nous apercevons au-dessus de lui l’affiche d’Opera (Dario Argento, 1987), sommet du giallo, illustrant une femme aux grands yeux terrifiés maintenus ouverts par des aiguilles.
Cette thématique du regard, nous allons la retrouver tout au long de cet Al-Morir la matinée. Tout d’abord lors de la première altercation du tueur avec une victime, entrainant la chute d’un sac de billes qui se déverse sur les escaliers et qui trouvera écho dans une scène de fin où des yeux remplaceront les billes. Obsédé par le regard, ce collectionneur macabre arrachera les globes oculaires de chacune de ses victimes. Immédiatement, on ne peut s’empêcher de penser à Angoisse (Bigas Luna, 1987) pour sa gémellité du lieu et son meurtrier qui pratique aussi l’énucléation. Encore un autre long-métrage qui prouve que la salle de cinéma – notamment celle où se projette un film d’épouvante – est le parfait endroit pour rester un assassin discret, tapi dans l’ombre. Les regards des spectateurs convergent tous vers une même direction et ne perçoivent pas ce qu’il y a autour d’eux… L’image du film d’horreur projeté va finir par se confondre avec la véritable horreur qui se déroule en direct. De même, le changement de style qui va s’opérer sous les yeux des spectateurs assassinés un à un va finir par nous atteindre aussi, le registre du giallo faisant bientôt place à un autre, un peu moins loin de nous.
En une fraction de seconde, ce rouge duveteux devient le rouge flamboyant du slasher dans tout ce qu’il a de plus gore. Les héroïnes ne sont pas ces femmes pulpeuses de films italiens qui roulent des yeux, mais des adolescentes qui poussent des hurlements stridents. Les codes éculés du slasher nous apparaissent par le recours à des personnages clichés, typiques de ce genre de production. Nous avons le puceau, le rigolo, l’amoureux transi, la femme séductrice et une fille pas très jolie, mais plutôt maligne qui va – attention, spoiler – évidemment s’en sortir à la fin. La figure du tueur insaisissable se transforme en boogeyman, il n’est plus cette silhouette mystérieuse, mais une forme massive, brute et indestructible. Pas besoin de scénario pour justifier ses actes, il est vierge de toute histoire, sans lien aucun avec les personnages présents dans la salle. Le spectateur typique de slasher se fiche pas mal de la psychologie du criminel, tout ce qu’il veut voir ce sont des meurtres sanglants et surtout… Inventifs. Et il faut admettre qu’à ce niveau-là, nous sommes plutôt gâtés. L’arme blanche, sésame pour tout tueur de slasher est plutôt bien combiné avec divers autres outils destructeurs, tels que le projecteur 35 mm. Les effets gore sont jouissifs pour tout fan de ce genre et le film est généreux concernant les peaux trouées à coups de couteau et le sang qui tâche. Mais passé le plaisir coupable et immédiat du spectacle de ces meurtres sanglants, il ne reste hélas pas grand-chose à se mettre sous la dent. Malgré cet amour sincère du réalisateur pour ces deux genres, Al-morir la matinée est balisé de concepts déjà connus et surexploités. On saisit très vite ses références, mais cela reste seulement en surface… Le mariage de ces deux genres aux codes surannés ne donne donc ici lieu à aucune réinvention malheureusement.