La Nuit de la Comète


Rares sont les quinquagénaires qui se souviennent avoir emprunté dans les années quatre-vingt, au vidéo-club du coin, une VHS nommée La nuit de la comète (Thom Eberhardt, 1984). En effet, le film n’a jamais été exploité sur grand écran chez nous, inexplicablement, alors qu’il bénéficie d’un statut d’œuvre culte outre-Atlantique. On peut facilement retrouver les traces de cet objet de curiosité sur la toile, quand la CBS/FOX le vendait en France comme un spectacle post apocalyptique peuplé de zombies cannibales. Ce qu’il n’est en aucune façon, ainsi que le spectateur hexagonal va pouvoir le constater grâce à la sortie chez Rimini Editions d’un combo Blu-ray/DVD.

Sous un ciel étrangement rouge, sur un boulevard de grande ville américaine avec des buildings au loin, une femme à moto attend de redémarrer aux côtés d'une voiture sans passager ni conducteur ; plan extrait du film La Nuit de la Comète.

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Girls just wanna have guns

Une jeune femme sort d'un cinéma pour observer que la rue est déserte, et que des vêtements sans propriétaires jonchent le sol ; plan d'ensemble issu du film La nuit de la comète.

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Thom Eberhardt est loin d’être un débutant lorsqu’il réalise ce teen movie, déjà riche de son expérience d’une dizaine d’années à la télévision à divers postes et d’un premier film dont il est également le scénariste, L’unique survivante (1983). Ce long-métrage initial, passé relativement inaperçu, est une sorte de précurseur de la franchise Destination Finale (2000-2011), l’histoire d’une miraculée d’un crash aérien. Aux commandes la même année de La nuit de la comète pour Atlantic Entertainment, il se heurte constamment à la production qui veut mettre le nez dans son scénario. Le script initial est réécrit car jugé trop long, mais le metteur en scène refuse d’en faire un film sanguinolent comme il en sort à la pelle à l’époque. Et malgré quelques concessions, il tient bon et parvient à conserver le contrôle de son œuvre et de l’histoire qu’elle raconte, celle de deux jeunes filles survivantes de l’apocalypse. Tout commence dans cette Amérique reganienne où l’individualisme est roi. Regina, dix-huit ans au compteur Catherine Mary Stewart, qui vient de jouer dans Starfighter (Nick Castle, 1984)  –  et sa sœur cadette Samantha  –  Kelli Maroney, aperçue dans Ça chauffe au lycée Ridgemont (Amy Heckerling, 1982) vivent à Los Angeles dans une famille totalement dysfonctionnelle, où leur belle-mère Doris fricote pendant que son bidasse de mari se bat au Honduras avec les bérets verts. Inutile de préciser que les relations entre Doris et ses belles-filles sont pour le moins tendues. Un soir, le passage d’une comète près de la Terre donne lieu à une frénésie de festivités et la population envahit les rues pour admirer le corps céleste… Exposés à on-ne-sait quel rayonnement cosmique, tous ces braves gens se trouvent réduits en cendres ou à l’état de zombie. Regina, qui travaille comme ouvreuse, passe la nuit dans les bras du projectionniste, bien à l’abri dans la cabine de celui-ci. Elle fait ainsi partie des rares survivants, de même que sa sœur, protégée par la cabane à outils du jardin. Au matin, elles découvrent l’ampleur de la catastrophe dans une ville déserte et baignée d’une apocalyptique lumière rouge. Parmi les rares autres rescapés, on trouve quelques mutants agressifs dont les jours sont comptés, ainsi que Hector le camionneur et un groupe de scientifiques réfugiés dans un labo – dont Geoffrey Lewis, acteur fétiche de Clint Eastwood durant les 70s et 80s. Ces chercheurs tentent de rassembler les survivants…

Plan rapproché-poitrine sur un zombie avançant dans une ville aux teints verts dans le film La nuit de la comète.

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Il est d’emblée évident qu’Eberhardt rend hommage à ses propres références en matière de science-fiction, lui qui a grandi avec les classiques des années 50 et 60. Les effets de la comète, tout d’abord, sont un clin d’œil on ne peut plus flagrant à La Révolte des Triffides (Steve Sekely, 1963), adaptation du roman de John Wyndham dans lequel tous les témoins oculaires du passage d’un bolide dans le ciel perdent la vue. Lorsque Regina va rejoindre le projectionniste dans son antre, celui-ci est au téléphone et parle avec son interlocuteur d’une copie inédite du Météore de la nuit (Jack Arnold, 1953), l’un des premiers grands jalons de la SF américaine d’après-guerre. Un peu plus tard, lorsque les deux sœurs arrivent à la station de radio qui semble continuer à émettre, Samantha pousse un « Beam me up Scotty ! » (Téléporte-moi Scotty) réplique « culte » tirée de la série originale Star Trek (Gene Roddenberry, 1966-1969). Enfin, on peut supposer sans risque de se tromper que la scène dans le grand magasin est un clin d’œil au Zombie de George A. Romero (1978).Or contrairement aux œuvres qu’il cite, La nuit de la comète ne se prend pas trop au sérieux, niché entre l’anticipation, l’horreur et la comédie. Eberhardt porte un regard attendri sur ses héroïnes, à la fois désespérément superficielles par moments et sacrément dégourdies, prenant d’une certaine manière le contre-pied de l’image habituellement véhiculée dans le cinéma d’horreur de cette époque, façonné pour les jeunes mâles qui constituent une partie non négligeable des spectateurs : des filles écervelées, insignifiantes, exhibitionnistes, finissznt souvent massacrées par le monstre ou le psychopathe de service. Ici, même si occasionnellement elles ont besoin d’un gros bras pour les aider, les femmes mènent la danse et sont douées d’un sens moral échappant souvent à leurs homologues masculins, à l’image de cette scientifique qui seule semble désavouer et condamner les agissements de ses pairs, préoccupés uniquement par leur survie.

Catherine Mary Stuart sur sa moto, se dirige droit vers nous, déterminée ; scène de jour dans la ville où prend place La nuit de la comète.

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Ce parti pris, quasi féministe – osons le dire – n’explique toutefois pas le succès du long-métrage aux États-Unis. Comment le comprendre ? Peut-être par son titre simplement, aussi mystérieux que l’affiche, qui semblent annoncer sans rien en révéler des événements terribles, surnaturels, science-fictionnesques, dans un contexte d’effervescence précédent le passage de la comète de Halley en 1986. La bande-annonce, habilement placée en salles avant 2010 – L’année du premier contact (Peter Hyams, 1984) pour attirer l’amateur de SF, y est sans doute aussi pour quelque chose. En insistant sur l’aspect « comédie », elle promet également une bande originale rythmée et typique de la pop-rock FM de l’époque – accordons une mention spéciale à la très piètre reprise de Girls just wanna have fun, la production n’aurait-elle pas pu obtenir les droits de la maison de disques de Cyndi Lauper ? D’autre part, les principaux protagonistes sont jeunes et la ville est à eux : un monde débarrassé des figures parentales moralisatrices ne représente-t-il pas une forme d’idéal pour la jeunesse américaine des années quatre-vingt, insouciante et égoïste ? Peut-on rêver plus stimulant que l’aventure de ces deux jolies filles permanentées qui s’amusent à tirer au fusil mitrailleur sur des voitures et à piller des boutiques de vêtements alors que l’Humanité vient d’être exterminée ? Tout cela, et sans doute bien d’autres facteurs, ont empêché La nuit de la comète de tomber dans les limbes de l’oubli, sans doute bien davantage que la présence totalement invraisemblable de zombies, souhaitée par la production et déplorée par un Thom Eberhardt impuissant. Le maquillage néanmoins très réussi des créatures est l’œuvre de David B. Miller, à peine sorti du Thriller de Michael Jackson et qui créera peu de temps plus tard le masque de Freddy Krueger pour Les Griffes de la nuit (Wes Craven, 1984).Blu-Ray du film La Nuit de la Comète proposé par Rimini Editions.

Aux côtés d’une multitude de rééditions parfois quelconques, celle que Rimini a concoctée pour La nuit de la comète fait figure de belle surprise malgré l’absence de bonus. On appréciera toutefois qu’à nouveau nous soit offert avec le coffret un livret de 13 pages écrit par l’incontournable Marc Toullec revant sur la genèse mouvementée de ce film. Le coffret en lui-même répond aux standards de l’époque, en se présentant comme un bel objet, visuellement soigné. Quant au master proposé, à l’image comme au son, respecte les teintes et sonorités de l’époque sans les dénaturer tout en offrant sans nul doute le meilleur master en circulation jusqu’alors. En dépit d’un rythme pataud, de clichés bien ancrés dans leur temps et d’une intrigue passablement improbable, quelques rebondissements et un humour occasionnellement décalé maintiennent l’intérêt pour cette série B. On finit même par s’attacher à ces deux sœurs un peu paumées, un peu frivoles, mais beaucoup plus tenaces que les hommes qu’elles croisent…


A propos de Jean-Philippe Haas

Jean-Philippe est tombé dans le cinéma de genre à cause d’Eddy Mitchell et sa Dernière Séance, à une époque lointaine dont se souviennent peu d’humains. Les monstres en caoutchouc et les soucoupes volantes en plastique ont ainsi forgé ses goûts, enrichis au fil des ans par les vampires à la petite semaine, les héros mythologiques au corps huilé, les psychopathes tueurs de bimbos et les monstres préhistoriques qui détruisent le Japon. Son mauvais goût notoire lui fait également aimer le rock prog et la pizza à l’ananas. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/ris8C

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