Culte au USA mais inconnu en France, Ça chauffe au lycée Ridgemont peut être considéré comme la matrice du teen movie hollywoodien contemporain. Véritable succès à sa sortie en 1982 malgré la méfiance des studios Universal, le film de Amy Heckerling se redécouvre aujourd’hui sans difficulté, et même avec un certain plaisir, sûrement parce que son approche à la fois naturaliste et fantaisiste nous plonge avec justesse dans les déboires intemporels de l’adolescence.
La matrice du teen movie moderne
Ça chauffe au lycée Ridgemont (Amy Heckerling, 1982) tire sa source d’un roman du même nom écrit en 1981 par Cameron Crowe, futur scénariste et réalisateur de Say Anything (1989), Jerry Maguire (1996) ou encore Almost Famous (2000). A l’âge de 16 ans, Cameron Crowe quitte son lycée pour poursuivre une carrière de journaliste musical avec le magazine Rolling Stones avec lequel il rencontrera les plus grands, de Bob Dylan à Neil Young en passant par David Bowie. Sa carrière est fulgurante, de même que son passage sans transition dans le monde des adultes. Si bien qu’à 22 ans, Crowe a le sentiment d’être passé à côté d’une partie de son adolescence. Il tente alors une expérience improbable mais véridique : s’inscrire à nouveau au lycée et vivre la dernière année qu’il n’a jamais vécue. Ce retour dans le passé sous la forme d’un journaliste infiltré sera pour lui l’occasion d’écrire un livre cru et réaliste sur l’adolescence intitulé Fast times at Ridgemont high. On y suit Ron, Stacy ou encore Brad, des jeunes lycéens californiens pris dans les méandres de leur vies sexuelles et amoureuses.
La réalisatrice Amy Heckerling sera charmée par l’approche naturaliste de Cameron Crowe, si bien qu’elle demandera à ce que le scénario ne s’éloigne pas trop des idées fortes représentées dans le livre comme celle de faire du centre commercial le point névralgique de la vie sociale des adolescents. Heckerling explique d’ailleurs qu’il n’était pas question de faire une comédie délirante à la Porky’s (Bob Clark 1982) ou American College (John Landis, 1978) mais plutôt un film proche de l’esthétique et de la tonalité du Nouvel Hollywood. A ce niveau là, Ça chauffe au lycée Ridgemont tient ses promesses et surprend par sa photographie brute et granuleuse qui donne à voir un Los Angeles peu glamour et expose sans filtre les imperfections des corps et des visages. Le sexe y est représenté de manière frontale avec même un pénis à l’écran qu’Universal s’empressera de couper au montage au risque de classer le film X. Une hypocrisie quand on sait que le long-métrage de Amy Heckerling déborde de corps féminins à moitié nus. Mais rassurez-vous, le plan quéquette a été ajouté dans les scènes coupées de cette édition ! Reste que cet exemple en dit long sur les intentions de la réalisatrice et rarement on reverra la sexualité adolescente représentée ainsi dans un teen movie hollywoodien.
Mais ce qui fait de Ça chauffe au lycée Ridgemont un film passionnant, c’est qu’il annonce également les teen movies des années à venir et notamment ceux des années 1980. L’approche réaliste est, en effet, hybridée à plusieurs reprises avec une écriture et une esthétique fantaisiste voire cartoonesque. Le personnage de surfer hippie joué par Sean Penn deviendra le stéréotype récurrent des teen comedies, de même que le personnage un peu looser de Ron annonce l’éternel nerd incapable d’approcher les filles. Heureusement, la fraîcheur de l’écriture permet des nuances qui disparaîtront malheureusement des productions futures. On adore également le personnage de Stacy (Jennifer Jason Leigh) dont l’éducation sexuelle et sentimentale sert de fil rouge au récit sans jamais la traiter comme un objet sexuel ou une fille facile. Formellement, Heckerling multiplie les gags visuels et sonores qui annoncent le style atypique de John Hughes : le footballeur joué par Forest Whitaker rugit comme un lion pendant le match de foot et se relève comme un géant filmé en contre-plongée façon Bill Tannen dans Retour Vers le futur (Robert Zemekis, 1985), Ron et Stacy ont l’air de nains dans les immenses fauteuils du restaurant… Plus encore, le film s’autorise des passages oniriques comme celui où Jeff le surfeur s’imagine vainqueur d’une compétition et entouré de belles pépées ou encore la scène fantasmatique et évidemment culte de la piscine au cours de laquelle Linda (Phoebe Cates) enlève son haut de maillot de bain rouge. La soundtrack, composée uniquement de chansons pop, active quelques montages elliptiques et clipesques typiques du genre et qui rythment ici cette fast life adolescente.
Ça chauffe au lycée Ridgemont est donc un long-métrage à la croisée de deux époques et de deux représentations conflictuelles du réel à Hollywood, mais c’est pour mieux embrasser la véracité de son sujet : le monde adolescent coincé entre fantasme et réalité, surtout lorsqu’il s’agit de nous projeter dans les premières expériences amoureuses. Le film n’est d’ailleurs jamais aussi fort que quand il nous fait basculer de la fantaisie subjective façon Sixteen Candles (John Hughes, 1984) à la réalité crue, comme avec la scène de dépucelage de Stacy qui débute comme une romance cheesy sur fond de Jackson Browne avant de se conclure par un rapport sans tendresse sur le banc rugueux du terrain de sport rempli de graffitis sordides. Universal tremblait à l’idée de distribuer ce teen movie authentique et irrévérencieux. Sa sortie se fera donc sur une poignée d’écrans, avant que le bouche à oreille n’en fasse l’un des succès surprises de l’année 1982 avec 27 millions de dollars de recettes aux États-Unis pour seulement 5 millions de budget. En 2005, Ça chauffe au lycée Ridgemont a été sélectionné pour intégrer la librairie du Congrès américain pour son “importance esthétique, historique et culturelle”, preuve que Cameron Crowe et Amy Heckerling ont su viser juste avec teen movie indémodable. Le coffret édité par Elephant Films est un évènement puisque le film n’est jamais sorti en France en format physique. Il propose une copie restaurée qui révèle bien les intentions naturalistes de la photographie. On y trouve également une version pour la télévision pas franchement essentielle et deux bonus intéressants d’une vingtaine de minutes chacun : une présentation très complète du critique Julien Comelli ainsi qu’un court documentaire des années 1990 qui donne la parole à Amy Heckerling et quelques membres de l’équipe et du cast. Un must have pour tous les fans de teen movies hollywoodiens !