Dune : deuxième partie


Après le succès modéré du premier opus, l’accueil dithyrambique réservé à Dune : deuxième partie (2024) laisse cette fois peu de place à la nuance. Une grande majorité de la presse comme du public célèbre un spectacle total et porte Denis Villeneuve en nouveau roi du divertissement noble. Mais pour d’autres, ce deuxième volet confirme plutôt les limites entrevues dans le premier film, celles d’un cinéaste incapable d’insuffler la vie à un récit d’une telle envergure.

Vue de dos, la silhouette de Timothée Chalamet portant une longue cape noire, observe une large explosion dans ce qui semble être un désert ; plan issu du film Dune : deuxième partie.

© Warner Bros

Faux Prophète

Dune : deuxième partie (Denis Villeneuve, 2024) démarre exactement là où Dune (Denis Villeneuve, 2021) s’était arrêté. Paul Atréide et sa mère, Jessica, ont rejoint les Fremen au sud d’Arrakis après la reconquête des Harkonnen et la mort du duc Leto. Le récit débute d’ailleurs sur une séquence d’embuscade qui va permettre de dévoiler les capacités de camouflage des Fremen ainsi que la détermination de Paul à rejoindre leur combat contre les forces du baron. La séquence épouse habilement la topographie d’une dune, avec les Harkonnen à son sommet et les Fremen cachés tout en bas. L’alternance des plongées et contre-plongées provoque un effet de vertige assez grisant et fait monter l’attente du spectateur avant que n’éclate l’escarmouche. Rien de bien sorcier me direz-vous ? Mais pour Denis Villeneuve, si ! Car le cinéaste opère ici un geste de mise en scène qu’il avait été incapable de faire, ou de s’autoriser, pendant l’entièreté du premier chapitre : il joue avec les points de vue. Par la même occasion, il crée un moment de suspens qui dramatise l’action. Bref, pour le dire plus simplement : il fait du cinéma ! Plus tard dans le film, Paul et Chani, la jeune Fremen interprétée par Zendaya, auront droit à une autre séquence assez réussie. Cachés entre les pattes métalliques d’une imposante moissonneuse Harkonnen qu’ils tentent de saboter, les deux héros devront faire preuve de coordination et de diversion pour venir à bout des tirs d’un vaisseau ennemi. Ici, Villeneuve fait une nouvelle entorse à ses habitudes. Il raconte deux choses en même temps : une scène de guérilla et la naissance d’un couple. Si seulement le reste du long-métrage avait été du même acabit, on aurait pu commencer à discuter la place de Villeneuve au panthéon des plus grands artisans du blockbusters hollywoodiens… Hélas, le reste de Dune : deuxième partie n’est qu’un long chemin de croix pour qui aime vibrer au cinéma. A la fois trop lisse pour surprendre et trop cérébral pour émouvoir, cette suite confirme les intentions du premier opus et nous questionne sur les capacités du cinéaste à embrasser la grande forme du cinéma populaire.

Plan rapproché-épaule sur Timothée Chalamet, portant une capuche, l'air déterminé ; autour de lui de nombreux hommes portant des bandelettes destinées à les protéger du sable, recouvrant tout leur visage à l'exception des yeux.

© Warner Bros

Avec l’adaptation de la saga Dune de Franck Herbert, Villeneuve s’est donné comme objectif de réaliser un film gigantesque, ou plutôt “colossal”, comme le scandent les affiches de la campagne marketing placardée sur tous les abribus. Une entreprise qui, chez le réalisateur, relève plus d’une posture d’architecte que de metteur en scène. L’obsession première du cinéaste réside en effet dans la composition de plans capables de faire ressentir la dimension écrasante de l’univers qu’il dépeint. Pour cela, il use d’un procédé scénographique quasi-exclusif qui consiste à cadrer avec une rigueur géométrique des bâtiments ou des vaisseaux épurés jusqu’à l’os, le tout dans des espaces vides. Le plan large et fixe se révèle, bien sûr, la syntaxe préférée de Villeneuve, dont on peut dire qu’il élabore, avec un certain talent, des images à mi-chemin entre le dessin d’ingénieur, l’artwork et le tableau. Accolé à une bande sonore aussi assourdissante que générique signée Hans Zimmer, les images pachydermiques de Villeneuve provoquent une impression certaine qui marque durablement la rétine et les tympans. Certes, et après ?! Eh bien, c’est à peu près tout, et c’est bien ça le problème ! On aimerait que le cinéaste capitalise sur ces grandes images, qu’elles servent de point de départ à des séquences d’actions plus amples à même de nous plonger au cœur de la guérilla des Fremen, que le découpage travaille une rythmique et une immersion dans l’action, une progression narrative autant que via des changements d’échelle. En vain : le plan pachydermique est la seule arme dans l’inventaire de Villeneuve pour générer l’enthousiasme et rythmer artificiellement une narration monotone. L’effet produit a même quelque chose de la grammaire de bande-annonce, à tel point qu’on désespère parfois de voir le film démarrer un jour. Faut-il voir, dans cette stratégie, un aveu d’échec de la part du cinéaste ? Villeneuve esquiverait-il les fameux “morceaux de bravoure”, passage obligé du cinéma de grand spectacle, parce qu’il en a peur ? On pourrait aussi y voir un choix délibéré : un refus du plaisir que l’on peut tirer de l’action généreuse, plaisir suspect aux yeux du cinéaste, qui semble rechercher, dans ces grandes images terrassantes, une manière plus sophistiquée d’impressionner la galerie.

En noir et blanc, le visage d'Austin Butler, chauve, qui surgit de la pénombre, le regard droit vers nous, l'attitude fixe ; plan du film Dune : deuxième partie.

© Warner Bros

Ce qui est certain, c’est que les images de Denis Villeneuve plaisent. Sûrement, parce qu’elles reproduisent la forme d’autres images, celles qui dominent aujourd’hui nos écrans de téléphones, notamment à travers les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram. Ce dernier, en particulier, a construit sa popularité autour d’un certain type d’images répondant aux critères du beau, soit des compositions aux lignes équilibrées, le lissage des corps et de la matière, l’harmonie des couleurs, et ce dans le but de happer plus facilement nos regards. Il y a un réel plaisir addictif à regarder de belles images, même froides et désincarnées, car leur aspect inoffensif agit comme une douce drogue sur nos cerveaux. La mise en scène de Villeneuve sur la saga Dune fonctionne sur le même principe. Des images nettes et immédiatement lisibles, presque évidentes, qui portent en elles peu ou pas de conflits graphiques ni de désordre. Même les “bad guys” sont filmés dans un noir et blanc aux contours nets. Malgré la pluralité des peuples et des cultures représentés, décors et vaisseaux baignent dans une même esthétique brutaliste, tellement omniprésente qu’elle finit par disparaître. On est bien loin des contrastes forts entre les deux maisons ennemies qu’avait conceptualisées Jodorowsky avec l’aide de Giger et de Moebius dans son projet d’adaptation avortée. Et comme si l’envie de plaire n’était déjà pas assez appuyée, le casting est un concentré de belles gueules, acteurs mannequins dont on trouve toujours le moyen d’éclairer parfaitement les visages aux peaux immaculées. On a beaucoup jasé à la sortie de Dune première partie sur le fait que le long-métrage ressemblait, par moment, à une pub pour parfum. A juste titre ! La seconde partie se pare aussi d’une esthétique publicitaire et glamour qui confère à son univers fictionnel un look à défaut d’une réalité tangible. L’équipe de marketing ne s’y est pas trompé en misant à fond sur les nouveaux réseaux et son public jeune, plus à même de connecter avec ces nouveaux modes de représentation. On a eu le droit au reveal des acteurs dans un teaser façon pub Nespresso et même un fashion buzz avec la robe “femme robot” de Mugler porté par Zendaya lors de l’avant-première. L’imagerie de Villeneuve dessine un monde aseptisé, de surface, impalpable, et qui, à force de refuser la profondeur, finit par ne rien nous faire ressentir. Un comble au cinéma.

Un immense vers de sable apprête à dévorer de nombreux habitants du désert qui fuient ; scène de Dune : deuxième partie.

© Warner Bros

Dans son récent essai vidéo pour Capture Mag, Yannick Dahan affirmait avoir laissé à Villeneuve le bénéfice du doute suite au visionnage du premier film. Certes, le style était terriblement dévitalisé, mais c’est parce que Denis Villeneuve tentait de retranscrire l’esprit technocratique des familles de la guilde spatiale, soit un univers rationalisé où l’humain, après avoir banni l’intelligence artificielle, se serait donné les moyens de devenir lui-même une machine froide et calculatrice. Dahan s’attendait donc à ce que Villeneuve renverse totalement ce postulat dans Dune : deuxième partie en proposant cette fois une mise en scène plus organique et chaleureuse puisqu’il serait question d’épouser, cette fois, le point de vue des Fremen, peuple écologique et mystique, vivant en symbiose avec son environnement. Évidemment, ce renversement ne s’est pas produit, car la logique à l’œuvre dans la franchise Dune semble reposer sur une véritable incapacité du cinéaste à représenter la pulsion vitale et les émotions humaines avec les outils du cinéma. On remarquera que les deux volets, pourtant majoritairement tournés en décors naturels, sont privés de leur dimension organique. Arrakis a beau être une planète désertique, on ne ressent jamais la chaleur, on ne voit jamais une goutte de sueur. Le sable et le ciel se confondent dans un beige délavé qui uniformise l’image, les variations de la lumière solaire, pourtant intéressantes dans la séquence d’introduction, sont largement sous-utilisées. Toutes les intentions esthétiques de Denis Villeneuve concourent à faire définitivement de sa saga un univers sans matière. Un postulat qui devient problématique quand il s’agit de donner vie à nos héros, réduits à l’état de figures. Faire naître une relation amoureuse devient alors pour le cinéaste une impossibilité presque ontologique ! Il se réfugie donc dans des conventions gênantes, incapable de faire résonner un dialogue ou de dynamiser une séquence intime avec autre chose que le recours désespéré au gros plan. Le sommet étant peut-être le traitement de l’épice, porte d’entrée vers la dimension mystique du récit de Frank Herbert, censé solliciter les sens et l’esprit, générer des visions prophétiques, que Villeneuve réduit ici à des images de spots publicitaires, prouvant une fois encore les limites de son imagination. Le film de David Lynch (1984) avait échoué sur bien des tableaux, néanmoins ses élans plastiques, étranges et kitsch, en guise de visions prophétiques, le tout sur fond de Brian Eno, convoquaient bien plus efficacement les idées mystiques à l’œuvre dans le roman que pendant les cinq longues heures de la saga contemporaine.

Zendaya et Tomothé Chalamet regardent vers l'horizon, inquiets, vêtus de leur combinaison noir comme du cuir, souillée par le sable, dans le film Dune : deuxième partie.

© Warner Bros

Comment justifier une telle approche ? On pourrait défendre l’idée que Denis Villeneuve s’attache à retranscrire avec fidélité l’écriture dense et distante des romans. La longueur, la complexité des intrigues et la froideur de la réalisation seraient alors intentionnelles. Cela dit, on peut aussi en douter, surtout quand on sait que Herbert avait écrit Dune en réaction à la saga Fondations d’Isaac Asimov. Au futur rationnel et ultra technologique de l’écrivain russe, Herbert avait préféré un retour aux potentialités irrationnelles de l’humain, d’où le traitement des mécanismes politiques, philosophiques et mystiques de la foi. Une intention qui laissait donc largement la place à une narration plus incarnée… Et puis, quelle serait la contrepartie d’une telle démarche ? Que reste-t-il à apprécier au cinéma quand on nous retire l’empathie, le frisson et la jouissance ? La saga Dune serait donc une œuvre volontairement cérébrale, qui flatterait les esprits uniquement intéressés par les idées et les concepts qu’elle véhicule ? Si c’est le cas, gageons qu’ils n’auront pas grand chose à se mettre sous la dent ! Car Dune : deuxième partie n’est pas non plus un film complexe, et ce n’est pas la grande quantité de personnages, les multiples sous intrigues et la durée du long-métrage qui feront illusion. Retirez-lui ses attributs et vous constaterez que la franchise raconte peu ou prou la même chose qu’un Avatar (James Cameron, 2009), pourtant conspué à sortie pour la simplicité et le manichéisme de son intrigue. La structure narrative est même quasi-identique : exploitation des ressources, oppression d’un peuple autochtone, glissement de regard du héros, rituels de passage, devenir messianique. La seule différence étant peut-être les tergiversations de Paul à endosser la figure du white savior, ce qu’il finit tout de même par faire ! Dans la forme, entre les deux approches c’est le jour et la nuit. D’un côté, nous avons un film qui assume son apparente simplicité pour plonger le spectateur dans une expérience viscérale et émotionnelle à même de redéfinir notre rapport aux images, tandis que de l’autre, on préfère rester en bordure de bac à sable, de peur de faire éprouver la moindre émotion aux spectateurs. La tentation est grande ici d’opposer deux conceptions du cinéma populaire. L’une qui parle au cœur, et l’autre à la tête. Avec Christopher Nolan, Denis Villeneuve incarne une nouvelle génération de réalisateurs stars qui basent leur travail sur des expériences conceptuelles. Nolan réalise des films sous forme de problèmes mathématiques et Villeneuve conçoit de jolis posters. Certains apprécieront qu’on flatte leur intelligence et leur faiblesse pour le design d’intérieur, d’autres attendront l’arrivée d’un autre prophète plus convaincant.


A propos de Clément Levassort

Biberonné aux films du dimanche soir et aux avis pas toujours éclairés du télé 7 jours, Clément use de sa maîtrise universitaire pour défendre son goût immodéré du cinéma des 80’s. La légende raconte qu’il a fait rejouer "Titanic” dans la cour de récré durant toute son année de CE2 et qu’il regarde "JFK" au moins une fois par an dans l’espoir de résoudre l’enquête. Non content d’écrire sur le cinéma populaire, il en parle sur sa chaîne The Look of Pop à grand renfort d’extraits et d’analyses formelles. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riSjm

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