Elementaire


Après trois beaux films injustement privés de grands écrans – Soul (Pete Docter & Kemp Powers, 2020), Luca (Enrico Casarosa, 2021) et Alerte Rouge (Domee Shi, 2022) – et un spin-off décevant ayant subi un vilain revers en salles – Buzz l’éclair (Angus MacLane, 2022) – il est peu dire que la superbe des studios Pixar d’antan peine à retrouver tout son aura, sa formule magique. Difficile d’avouer qu’on misait sur Elementaire (Peter Sohn, 2023) pour en raviver la flamme, tant le premier long-métrage de son réalisateur – Le Voyage d’Arlo (2015) – est sans équivoque le plus faible de la production Pixar. Et pourtant…

Brul, le personnage principal du film Elementaire est assise au cinéma, et brille dans la pénombre, ce qui éclaire et dérange les spectateurs derrière elle.

© Disney / Pixar

Brûler la Flamme

Brul au premier plan regarde avec émerveillement les buildings colorés et aux formes très vivantes de la grande mégalopole fictive dans le film Elementaire des studios Pixar.

© Disney / Pixar

Si en ces lieux il est une constante que de défendre mordicus les productions du studio à la lampe, nous ne nous risquerons pas toutefois à nier que l’âge d’or qualitatif et créatif du studio – qu’on localiserait sur une décennie balisée par Monstres et Cie (Pete Docter, 2001) et Toy Story 3 (Lee Unkrich, 2010) – est fatalement passé. Pourtant, sauf rares exceptions, les productions Pixar s’imposent chaque année sans conteste parmi la crème de la crème des sorties, qu’il s’agisse du simple parterre de l’animation comme celui de la production cinématographique dans son ensemble. Parmi les rares exceptions, il y a cette année 2015, durant laquelle, après avoir sorti l’un de ces chefs-d’oeuvre récents – Vice-Versa (Pete Docter, 2015) – le studio décevait fortement avec ce qui reste certainement à terme, leur plus mauvais film, Le Voyage d’Arlo (Peter Sohn, 2015). Aussi, après l’échec public et artistique du regrettable Buzz l’Eclair (Angus MacLane, 2022), on attendait beaucoup du projet suivant pour relever la barre. Savoir qu’il était réalisé par Peter Sohn, ne rendait pas forcément optimiste. Pourtant, il convient de rappeler que le bonhomme a beau ne pas avoir été pleinement à la hauteur pour son premier long-métrage, il demeure toutefois l’une des têtes pensantes de l’âge d’or du studio, ayant œuvré à l’écriture de certains des plus grands films que Pixar ait produits tels que Le Monde de Nemo (Andrew Stanton, 2003) ou Les Indestructibles (Brad Bird, 2004). A ce titre, il fait partie aujourd’hui de la garde très rapprochée de Pete Docter, en tant qu’ancienne figure historique du studio – Peter Sohn est aussi connu pour avoir doublé de nombreux personnages iconiques de la marque tels que Emile dans Ratatouille (Brad Bird, 2007) et Squishy dans Monstres Academy (Dan Scanlon, 2013). Plus encore, le profil de Sohn fait d’une certaine façon passerelle entre l’ancienne et la nouvelle génération, et ce, à plus d’un titre. D’abord parce qu’il fait partie de ces cinéastes qui ont profité du système de promotion interne de Pixar et de son vivier d’expérimentation qu’est la production de court-métrage – il en a signé l’un des plus beaux et primés : Passages Nuageux (2009). Ensuite, parce que du fait de ses origines mêlées – il est américano-coréen, né aux Etats-Unis mais de parents coréens immigrés – il est certainement le premier fruit d’une ouverture multiculturelle qui est devenue la constante des studios Pixar depuis quelques années avec les premières réalisations du mexicain Adrian Molina (Coco), de l’afro-américain Kemp Powers (Soul), de l’italien Enrico Casarosa (Luca) ou de la sino-canadienne Domee Shi (Alerte Rouge) promue depuis à un poste créatif de haute responsabilité au sein du studio.

© Disney / Pixar

Il n’est donc pas étonnant que Pixar ait pu donner à Peter Sohn une seconde chance de s’exprimer. Pour vernir par le temps le désastre narratif du Voyage d’Arlo – sorte de relecture mal fagotée de la deuxième partie du Roi Lion – il faut concéder que la qualité principale du film est d’avoir marqué un tournant significatif dans le photoréalisme de l’animation des éléments naturels. Aussi, sur le papier, les idées croisées qui font tout le ciment de cet Elementaire vont comme un gant à Peter Sohn qui avait peut-être simplement nécessité à donner vie à un film qui mette à la fois en valeur ses connaissances techniques – en plus d’être un très bon scénariste de la maison, il est aussi, fait rare, un très bon animateur ayant œuvré sur les films qu’il a écrits mais aussi sur Rebelle (2012) ou plus anciennement sur le chef-d’œuvre Le Géant de Fer (Brad Bird, 1999) – et lui ressemble plus intimement sur le fond. L’histoire d’Elementaire raconte d’abord celle d’une famille de feu, les Lumen, qui immigre de son volcan natal pour tenter une nouvelle vie à la ville d’Elementary, une gigantesque mégalopole construite essentiellement autour de l’eau mais qui accueille toutefois aussi des élémentaires du vent et de la terre. Réputés pour leur dangerosité et leur incapacité à cohabiter avec les autres, les élémentaires du feu (aussi appelés les Flamboyants) y sont mal vus, mis au banc, ghettoïsés dans un quartier en périphérie de la ville. C’est dans ce quartier que la famille, menée par son patriarche Brul et son aimée Sandra, a créé une boutique appelée « Le Foyer » qui vend des produits destinées principalement à la communauté Flamboyante. Au sein de cette famille grandit Flam, une jeune fille tempêtueuse au caractère affirmé qui, je vous le donne en mille, va tomber en amour d’un Aquatique, l’émotif Flack. Entre histoire de filiation et comédie romantique, le film déploie deux pistes narratives parallèles qui sont intimement liée à l’histoire personnelle du réalisateur. D’abord parce qu’il a grandi dans le Bronx au sein d’une communauté coréenne à la fois auto-centrée sur ses traditions et en même temps mal intégrée par les américains ; et ensuite parce qu’il est lui-même tombé amoureux d’une américaine et a vécu ce choc des cultures dans le cadre d’une histoire d’amour.

Brul s'apprête à taper dans la main de Flack, son amoureux, dans le film Elémentaire ; plan baigné dans une lumière violette où Brul tranche avec la couleur de feu que sa peau a.

© Disney / Pixar

C’est en cela que le film déborde de personnalité, d’émotion, de sincérité. Sa maestria technique est un fait et on ne s’en émeut plus – cela fait bien longtemps que Pixar n’a plus de concurrence sur ce terrain – mais sur le terrain des émotions, les autres, celles qui palpitent et saisissent instantanément ou à rebours, le studio nous a montré qu’il pouvait parfois faire fausse route (regard insistant du côté de Buzz l’Eclair, drame mélancolique dont ne ressortaient pas beaucoup d’émotions). Aussi, on est ravis d’avoir la larme à l’œil, avec un petit feu ardent qui crépite à l’intérieur. On est heureux de pouvoir à nouveau dire « putain de merde, qu’ils sont forts quand même » comme on se l’est déjà entendu dire tant de fois. Car à nouveau, ce qui fascine dans Elementaire, c’est l’extrême justesse et facilité avec lesquelles le studio parvient à faire ressentir ou comprendre des émotions, des concepts, des sujets, aussi compliqués sur le papier. Loin des bluettes made in Disney à base de coups de foudre et de papillon dans le ventre, Elementaire traite à hauteur d’enfant la notion de désir, de sensualité et d’attraction des corps. Certains des plans où l’eau et le feu se rencontrent sont parmi les plus érotiques de l’année, ce qui n’est pas rien venant d’une production destinée essentiellement au jeune public – même si l’on sait que Pixar a toujours su s’adresser, aussi, aux adultes. Sur le fond, le message est politique sans jamais brandir de slogan (une autre de leur grande force). Et même si par moment le cahier des charges Disney les rattrape – notamment dans cette nouvelle constante de créer des longs-métrages dont l’environnement est un land de parc à thèmes, clé en main – les génies de Pixar affirment toujours plus leur indépendance d’esprit, leur contrepied idéologique (pour prolonger cette idée notre article Disney, dans l’ombre de Pixar). Ici il ne s’agit pas de faire éloge d’un amour surpuissant et évident qui serait comme une fatalité liant deux individus tels des âmes sœurs. Ici, ces âmes sœurs sont d’abord étrangères en tout point, de parfaits individus qui ne s’associent pas mais expriment toute leur individualité en s’associant. La plus belle des métaphores qui en est faite est au cœur du récit : alors que Flam est destinée à reprendre la boutique de son père, elle va exprimer devant sa belle famille un talent particulier de sculptrice de verre. Sa créativité ardente, son expression la plus personnelle (son art) résulte de la fusion la plus extrême du chaud et du froid. Encore une fois, à la sacro-sainte valeur famille prônée par Disney – on repense au final de Encanto, La Fantastique Famille Madrigal (Byron Howard & Jared Bush, 2021) – et sa proportion à défendre par extension un communautarisme renfermé, Pixar répond par l’individu.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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