Les Indestructibles 2 4


Quatorze ans après un premier volet devenu culte, Pixar donne une suite à ce que beaucoup considèrent comme le meilleur film de super-héros jamais fait. En plein embouteillage dans les productions du genre, Brad Bird vient rappeler à Marvel que ses supers à lui demeurent toujours les patrons.

© Disney Pixar

Indestructible Bird

Sorti en plein milieu d’une décennie des années 2000’s qui marqua l’âge d’or des studios Pixar, Les Indestructibles (2004) fut surtout l’occasion de remettre en lumières le génie de Brad Bird, salué par la critique avec le sublime Le Géant de Fer (1999), chef-d’oeuvre de l’animation traditionnelle, injustement boudé par le public. Ayant rencontré le créateur de Pixar, John Lasseter, sur les bancs de la CalArts – l’école de cinéma californienne créée par Disney dont la très grande majorité des animateurs Disney/Pixar sont sortis diplômés – ce dernier eu la bonne idée d’inviter son vieux camarade à rejoindre l’équipe de choc de Pixar pour écrire et réaliser ses nouveaux projets. Ni une, ni deux, Bird proposa à Lasseter le scénario d’un film d’animation qu’il rêvait de réaliser, une histoire mettant en scène une famille de super-héros. A l’époque de la mise en production, le genre du film de super-héros n’était pas encore entré dans la phase de domination totale sur l’industrie qu’on lui connait, mais connaissait néanmoins un ravissant succès d’estime grâce aux deux premiers volets de la trilogie Spider-Man (2001-2004) réalisés par Sam Raimi. Aussi, pour beaucoup, Les Indestructibles reste et restera comme l’un des meilleurs films de super-héros jamais réalisé, en plus d’être souvent cité comme un précurseur de ce qui deviendra par la suite un genre à part entière, qui plus est dominant. Une réputation de haute estime qui incita longtemps Pixar à y réfléchir par deux fois avant de tenter d’y apporter une suite, craignant d’en épuiser le concept, d’y perdre en qualité et de s’attirer les foudres des fans. Il faut dire que hormis les suites brillantes données à Toy Story (John Lasseter, 1995) en 1999 puis 2010, toutes les tentatives de franchisation des univers Pixar se sont soldées par des échecs qualitatifs surprenants – on pense surtout à Monstres Academy (Dan Scanlon, 2013) et Le Monde de Dory (Andrew Stanton, 2016) – ternissant la décennie 2010 du studio bien qu’elle soit tout de même déjà vallonnée d’au moins deux chef-d’oeuvres que sont Vice-Versa (Pete Docter, 2015) et Coco (Lee Unkrich, 2017).

© Disney Pixar

Au delà de l’attente des fans de voir revenir aux affaires cette étonnante famille de supers, le projet des Indestructibles 2 (2018) était aussi particulièrement attendu parce qu’il marquait le retour de son réalisateur, Brad Bird, au cinéma d’animation qu’il avait abandonné un temps pour réaliser deux grands films d’action. Le premier, Mission Impossible : Protocole Fantôme (2011) est considéré par beaucoup de gens de bon goût comme le volet le plus réussi de cette saga désormais incontournable. Sommet d’action ludique, d’une inventivité folle et d’une fantaisie assumée, son film s’amusait aussi à détourner la franchise et ses codes (voir notre article : Quand le gadget devient gadget). Le second, Tomorrowland (2015) dont le titre français peut provoquer des spasmes ou du psoriasis à ses nombreux aficionados – A la poursuite de demain – fait partie de cette catégorie de grand film injustement passé entre les mailles du box-office. Ce chant d’amour à Walt Disney mâtiné d’une ambiance steampunk est toujours considéré comme l’un des plus gros flops au box-office du studio aux grandes oreilles avec plus de 140 millions de dollars de pertes. Une triste déconvenue profondément injuste – relire notre article dithyrambique à propos du film – qui nous fit craindre un moment avoir perdu l’un des plus grands réalisateurs en activité, sacrifié sur l’autel du bénéfice. Heureusement, Bird est revenu à la maison mère qui lui donna déjà une seconde chance dans les années 2000 pour offrir au public une suite qu’il attendait depuis presque quinze ans.

© Disney Pixar

Soyez rassurés, si les supers sont toujours aussi super, le réalisateur qui leur donne vie le demeure tout autant. Mieux, son détour du côté du cinéma d’action contribue largement à rendre cette nouvelle aventure de la famille Indestructibles, totalement inoubliable. Rappelée à son passé super-héroïque tandis que son mari Bob (Mr. Indestructible) doit rester s’occuper des enfants à la maison, la super-héroïne Elastigirl (Hélène à la ville) va se retrouver embarquée seule au cœur d’une intrigue d’actionner virevoltante où chaque course-poursuite et scène d’action rappellent la maestria dont Bird avait déjà fait preuve avec ses deux travaux précédents en prise de vues réelles. Cette nouvelle corde à l’arc du brillant réalisateur, prend tout son sens au contact de l’animation numérique. Ainsi, plonger les Indestructibles et leurs pouvoirs dans ce coffre à jouet de pâte à modeler, lui permet de clairsemer sa mise en scène de mouvements d’appareil absolument géniaux et d’un sens du rythme qui défit les lois de la gravité et du corps humain. Une audace presque expérimentale qui peut rappeler par moment celle qu’on avait pu constater à l’œuvre, il y a quelques mois de cela dans le Ready Player One (2018) de Steven Spielberg ou dans le génial Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2011) du même réalisateur.

© Disney Pixar

Mais encore, si les bandes-annonces pouvaient laisser présager une comédie uniquement centrée sur des clichés éculés autour de la paternité, mettant en avant son postulat de départ d’un père dépassé quand il se retrouve en charge de ses trois enfants – dont un super-bébé en bas âge – cette suite ne se limite heureusement pas à cette idée maintes fois vu dans certaines comédies familiales des années 90. Comme déjà dit, l’intrigue s’appuie principalement sur la mission que doit mener à bien Hélène (Elastigirl) sans l’aide de son super-mari. Une idée qui s’inscrit totalement dans la dynamique féministe qui fait œuvre chez Disney et Pixar depuis quelques films et qui rappelle notamment à bien des égards l’audace d’un Cars 3 (Brian Fee, 2017). Dans ce dernier, le nouveau bolide de course en tête d’affiche était une fille. Le sujet entier du récit s’appuyait sur une nécessité à briser les préjugés entretenus autour du désintérêt supposé des petites filles pour les petites voitures. Si l’on a pu reprocher en ces lieux, aux studios Disney une approche du girl-power parfois plus opportuniste que pertinente (voir notre article Misères du Disney-Féminisme), le troisième volet de Cars, tout comme cette suite des Indestructibles, rappellent que l’une des forces de Pixar a toujours été de parler de sujets de société parfois compliqués à aborder, sans tomber dans le manichéisme. Car si Bob est d’abord un papa caricatural, fruit du système patriarcal dans lequel il se complait, il parvient néanmoins à s’affranchir de ses dogmes d’un autre temps, avec comme ambition de prouver à sa femme qu’il peut s’en sortir aussi bien qu’elle avec ses enfants. Hélène (Elastigirl) de son côté, doit s’acharner pour lui prouver qu’elle peut mener aussi bien des missions de super-héros seule. Par son récit croisé, Bird s’acharne plus à promouvoir l’égalité des sexes plutôt qu’à entretenir de vieux adages dépassés. Toutefois, le message sous-jacent entretient aussi une certaine idée de ce qu’on appellera la valeur famille, rappelant qu’il est plus simple de s’occuper d’enfants à deux plutôt que tout seul. C’est une constante chez Pixar à laquelle Les Indestructibles 2 n’échappe pas. Certains y voient là un asservissement à une certaine morale américaine, voir même à la sacro-sainte morale chrétienne, quand d’autres souligneront davantage l’universalité d’un discours qui définit l’esprit Pixar, celui d’aborder toujours ses mêmes sujets de prédilection depuis le tout début  : le vivre-ensemble, la nécessité d’une transmission intergénérationnelle et la fameuse valeur famille.

Autre audace, le scénario du film reprend et détourne celui d’un des grands rendez-vous ratés de l’univers cinématographique Marvel, le désolant Captain America : Civil War (Joe & Anthony Russo, 2016). Ici aussi, les supers-héros vivent cachés ou dans la clandestinité, depuis qu’une loi a été votée et les définit comme hors-la-loi. Ce qui aurait pu clairement jouer en la défaveur du film – on aurait pu l’accuser de ne pas ré-inventer le genre défini par Marvel et même de le piller – joue en réalité totalement pour lui, tant le scénario de ce second volet est d’une intelligence, d’un rythme et d’une inventivité, qui parvient à mettre l’ensemble de la production Marvel récente à l’amende. Ce coup de poker brillant résume à lui seul tout le génie d’un réalisateur bien plus grand encore qu’on ne le voit. L’indestructible Brad Bird a encore frappé et continue de faire de sa filmographie en six longs-métrages, un sans faute, dont on compte, au tout et pour tout, ni plus ni moins que six chefs-d’oeuvres.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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