Le Géant de Fer 3


A l’occasion des fêtes de Noël, les studios Warner ont décidé de ressortir une version remasterisée de leur dernier chef-d’œuvre d’animation : Le Géant de Fer. Premier long-métrage de Brad Bird – papa des Indestructibles (2004) et Ratatouille (2007) entre autres – ce film passé quasiment inaperçu à l’époque de sa sortie pourrait bénéficier de cette nouvelle exposition pour gagner sa place, bien méritée, dans l’imaginaire collectif populaire.

Bad Robot !

Sorti en 1999, Le Géant de Fer marque la fin d’une ère, celle du film d’animation old school. A l’aube des films d’animation entièrement générés par ordinateur, la filiale d’animation de la Warner, quelques mois après l’échec commercial cuisant de Excalibur, l’épée magique (Frederik Du Chau, 1998), confie à Brad Bird la réalisation d’un dessin animé à l’ancienne, plein d’ambition et d’envergure. Il faut se rappeler qu’à l’époque, Disney n’avait pas encore racheté les studios Pixar et devait faire face à la concurrence féroce des autres gros studios américains au box-office du film d’animation. Ce film, revenant aux fondements classiques du genre, constituait donc un double risque pour la Warner qui ne se doutait pas à l’époque que, 17 ans plus tard, Le Géant de Fer serait considéré comme un chef-d’œuvre, véritable classique du genre et pierre angulaire de la carrière à venir du débutant d’alors : Brad Bird. Remasterisé pour l’occasion, cette ressortie à l’occasion des vacances de Noël nous donne ainsi l’occasion de vous expliquer en quoi ce film d’animation, à l’apparence si enfantine et gentillette, peut se targuer en réalité d’être l’un des plus beaux dessins animés de la fin du 20ème siècle.

La force majeure du Géant de Fer réside dans les différents niveaux de lecture et de compréhension que le script propose au spectateur. Devenue la marque de fabrique des films Pixar, le Géant de Fer est donc le précurseur des films d’animation à la fois destinés aux enfants et aux adultes. Ce n’est d’ailleurs surement pas une coïncidence si le réalisateur du film, Brad Bird, réalisera quelques années plus tard les énormes succès que sont Les Indestructibles et Ratatouille pour le compte de…Je vous le donne en mille…Pixar. 5 ans avant son film d’animation mettant en vedette une famille de super-héros à la retraite forcée, le jeune débutant Brad Bird prouve avec son Géant de Fer qu’il maîtrisait déjà, à l’époque, l’art de la référence (présentes en quantité dans son œuvre) nourrie à la culture populaire et au cinéma de Spielberg, entre autres. Le Géant de Fer emprunte en effet énormément à la légende hollywoodienne. Les liens de parenté entre le film d’animation et E.T, l’Extra-terrestre (Steven Spielberg, 1982) sont par exemple évidents : une histoire d’amitié entre un enfant et une créature, ici un robot, venue de l’espace, le tout traité à travers le regard innocent de cet enfant et balayant pourtant un grand nombre de thèmes bien plus lourds, importants et matures.

Situant son récit en 1957 dans une Amérique profonde à l’ère du nucléaire et de la Guerre Froide, Brad Bird en profite en effet pour aborder plusieurs thèmes graves de l’époque portés par la relation entre l’enfant et le robot, la présence du gouvernement américain et de l’armée mais aussi d’un personnage beaucoup plus rock n’ roll : celui de Dean. Véritable satyre de la société américaine de l’époque, le Géant de Fer dresse le tableau d’une Amérique populaire, moyenne comme on dit, qui ne manque pas de réalisme et qui en est d’autant plus touchante, voire attachante. Brad Bird va jusqu’à nous livrer une critique du libéralisme et du totalitarisme, une critique de l’interventionnisme à outrance dont on accuse souvent (à tort ou à raison là n’est pas le débat) les États-Unis. Par ailleurs, Guerre Froide oblige, les références à l’Union Soviétique sont nombreuses. On y aborde notamment le satellite Sputnik et la peur littéralement paranoïaque d’une attaque nucléaire dont on pense alors qu’il suffit de se cacher sous une table pour y survivre. Une peinture à la fois réaliste et absurde, à la hauteur des réactions des pouvoirs en place et des forces militaires de l’époque. A l’heure où les débats anti-armes aux États-Unis (et à travers le monde) font rage malgré des lobbies plus puissants que les congrès eux-mêmes, la ressortie du Géant de Fer tombe vraiment à pic. En effet, son scénario, à travers les yeux (littéralement) du Géant, peut également être interprété comme un traité anti-violence, anti-armes et anti-guerres. Brad Bird y dépeint une armée complètement grotesque et tout aussi paranoïaque, voire plus, que la société américaine dans son ensemble. Une armée à laquelle une simple photo suffit pour déployer chars d’assaut et avions de chasse et larguer des bombes nucléaires. C’est donc à travers son fabuleux Géant que Brad Bird nous fait la critique d’un monde totalement fou et inconscient, interventionniste, violent et paranoïaque.

Héritier plus ou moins assumé de Steven Spielberg dès son premier long métrage, Brad Bird signa avec ce Géant de Fer un démarrage en trombe. Bien qu’injustement passé inaperçu auprès du grand public au moment de sa sortie – qualifié d’échec commercial à l’époque – The Iron Giant bénéficiait pourtant de critiques dithyrambiques. Il aura fallu attendre l’œuvre du temps pour que le film d’animation gagne finalement ses lettres de noblesse et devienne auprès des connaisseurs plus ou moins avertis un véritable classique. S’adressant aussi efficacement aux plus jeunes comme aux plus âgés, la première œuvre de Brad Bird traça le chemin à bien d’autres films d’animation ambitieux et engagés, la plupart issus de la firme Pixar : Là Haut (Pete Docter et Bob Peterson, 2009), Vice-Versa (Pete Docter et Ronnie Del Carmen, 2015) etc… En plus d’avoir marqué l’histoire du film d’animation, Le Géant de Fer aura également le mérite d’avoir lancé la carrière d’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Un artiste qui comme son tout premier long métrage ne cesse de réaliser des chef-d’œuvres plus ou moins populaires – Les Indestructibles (2004), Ratatouille (2007), Mission Impossible : Ghost Protocol (2011), A la poursuite de Demain (2015) – sans pour autant bénéficier de la notoriété de certains de ses compères comme J.J Abrams par exemple. Toujours est-il que nous ne pouvons que vous conseiller de voir ou revoir le Géant de Fer. Que ce soit avec votre regard d’enfant ou celui d’adulte, innocent ou satyrique, ce film ne vous laissera pas indifférent et ne manquera pas de vous faire passer 90 minutes d’amitié et de poésie.

Enfin, nous avons utilisé le mot de peinture pour décrire le film de Brad Bird dans l’un des paragraphes précédents et pour cause ! Le Géant de Fer possède des qualités esthétiques indéniables. Nous l’avons dit, il s’agit d’un des derniers grands films d’animation traditionnelle proposé par un grand studio américain et quel plaisir ! Au-delà de magnifiques dessins aux traits soignés et aux couleurs à la fois chaleureuses et froides (comme l’est le film et son scénario), Le Géant de Fer met en exergue les plus grandes qualités de réalisateur de Brad Bird. Dès son premier long métrage, on perçoit déjà son talent pour le cadrage et son grand sens du découpage. Quasiment poétique, la photographie du film repose essentiellement sur l’utilisation pénétrante de la géométrie et une opposition entre les couleurs de la nature et celles de la ville et de la guerre. Le tout est mis en valeur par l’association pertinente et toujours bien dosée ou utilisée de l’animation traditionnelle avec l’utilisation intelligente d’images de synthèse. La ressortie en salle du film s’accompagne de la sortie chez l’éditeur Akileos d’une sublime édition riche en contenus, illustrations préparatoires et textes commentés intitulé “L’art du Géant de Fer” qu’on vous conseille bien sûr grandement pour en connaître d’avantage sur ce chef-d’œuvre.


A propos de Flavien Albarras

Un amour infini pour le cinéma de Kubrick, une passion perverse pour les super-héros en slip moulant, un intérêt certains pour le cinéma indépendant et une curiosité malsaine pour le cinéma d'horreur, on peut dire que les goûts de Flavien sont le reflet du pandémonium qui règne dans sa tête.


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