Après un passage à Cannes, nous avions découvert La Fièvre de Petrov (2021) à L’Etrange Festival où il avait une place de choix dans la section Mondovision. En pleine pandémie, la vision fiévreuse et confinée de Kirill Serebrennikov parvient-elle effectivement à se propager auprès de ses spectateurs ?
Le Variant Russe
En 2017, aux côtés des Okja (Bong Joon-ho) ou Mise à mort du cerf sacré (Yorgos Lanthimos) un film russe venait électriser la Croisette. Kirill Serebrennikov présentait en compétition Leto, l’histoire mi-réelle, mi-fantasmée des rockeurs de Leningrad à la fin des années 80, lorsque la Perestroïka s’annonçait. Reparti bredouille de Cannes et de la plupart des grandes cérémonies de prix, Leto avait pourtant durablement marqué les esprits, et ré-haussé la barre de nos attentes sur les biopics – genre souvent assez médiocre – puisqu’on découvrait par le prisme du long-métrage l’existence de Viktor Tsoi, giga-star en Russie quasi-inconnue dans nos contrées. Dans un noir et blanc sublime, Leto parvenait à mettre en scène, outre les balbutiements du rock en URSS, l’esprit de rébellion, l’énergie débordante qui dynamitaient les scènes musicales d’alors. Le projet suivant de Serebrennikov après l’enthousiasme suscité par Leto était donc assez logiquement attendu de pied ferme. De là à dire que l’attente était fiévreuse, il n’y a qu’un pas. Après un passage dans la compétition Cannoise où il est reparti bredouille – et où, pour la seconde fois le réalisateur assigné à résidence en Russie n’a pas pu présenter son film – La Fièvre de Petrov a fait escale, entre autre, par l’Étrange Festival, où nous avons pu le découvrir.
On a beau en avoir assez de tout voir, tout lire, tout interpréter depuis près de deux ans par le prisme du COVID et de ses conséquences, il est difficile de ne pas voir une coïncidence particulièrement « à propos » dans le fait d’assister à la projection de cette Fièvre de Petrov dans une salle où l’audience est encore entièrement masquée. Et pour cause, dans le récit, Petrov a visiblement lui aussi hérité d’une grippe fortement contagieuse, ainsi que le reste de sa famille. Perdu dans un bus, embarqué par son ami dans une voiture, et sous l’emprise de l’alcool de surcroît, les visions s’entrecroisent et se brouillent. De la couleur – souvent dure, verdâtre pour encore plus souligner la mine maladive du protagoniste – au noir et blanc, du réalisme à l’irruption du fantastique dans les visions fiévreuses, le récit virevolte, se perd, bifurque de scène en scène. Entre réalité, hallucinations et souvenirs resurgissant du passé, difficile de s’y retrouver, et c’est d’ailleurs bien le but.
On pourrait dire beaucoup sur cet imbroglio fiévreux, sans fil conducteur clair, défiant à peu près tous les standards de narration. Reflet de l’esprit embrumé de Petrov ou commentaire politique plus ou moins subtil sur l’état de la Russie – représenté comme un pays malade, rongé par la corruption – les raisons pour légitimer cet agrégat de scènes hallucinés sont relativement claires, et c’est bien là, la seule chose non opaque du long-métrage. Le sous-texte aussi louable soit-il ne peut pas à lui seul de faire passer les deux heures et demie de scènes incohérentes et on ne peut plus arides. Coincé dans son dispositif outrancièrement confus et engoncé dans des effets de styles, La Fièvre de Petrov demeure un visionnage particulièrement rude pour le spectateur. Rien n’est choquant, horrifique ou tragique, mais le tout reste foncièrement mal-aimable. Bien que cette fois le récit s’ancre dans le contemporain en essayant de traiter plus directement de la situation politique de la Russie et du réalisateur, La Fièvre de Petrov est un difficile désenchantement tant le cinéaste semble malgré tout échouer en partie dans sa mission, et pire, semble être moins parlant sur les thèmes qu’il souhaitait toucher du doigt que ce qu’avait pu réussir Leto en son temps.