Présenté au 70ème Festival de Cannes et lauréat du prix du scénario, le nouveau film du réalisateur grec Yorgos Lanthimos a de quoi intriguer. Fais Pas Genre se plonge pour vous dans ce thriller élégant et protéiforme, cinquième film d’un auteur singulier.
Le Prix du Sacrifice
Qu’on se le dise : Mise A mort du cerf sacré est un film qui divise, en d’autres termes, à ne pas mettre entre toutes les mains. Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos continue sa dé-construction de la société à travers son regard sur des relations humaines aliénantes et pour le moins toxiques, le tout avec une mise en scène si particulière où la normalité a une toute autre définition et où l’horreur s’invite. Le long-métrage raconte l’histoire de Steven Murphy – incarné par Colin Farell, qui retrouve le cinéaste après le très réussi The Lobster (2015) – cardiologue à la vie en apparence idyllique et banale aux côtés de sa femme et de leurs deux enfants. Mais notre protagoniste entretient une étrange amitié avec le fils d’un de ses anciens patients, mort sur la table d’opération, Martin. L’adolescent va alors s’immiscer insidieusement dans la petite vie parfaite de la famille et mettre Steven face à un choix des plus difficiles. Avec cette relecture du mythe d’Iphigénie, Lanthimos nous offre à voir un film lorgnant du côté de l’horreur dans une inquiétante étrangeté qui souligne l’absurdité et l’artificialité des rapports sociaux mais aussi des institutions et de la société elle-même, plongée dans un marasme profond au même titre que les personnages. Après un plan inaugural d’une opération à cœur ouvert, révélant de manière progressive la main gantée d’un chirurgien en plein travail, le réalisateur nous annonce la couleur : le danger va tout envahir et ne nous laisser aucune issue.
Cadrages travaillés et d’une précision chirurgicale, musiques dissonantes et mouvements d’une fluidité extrême et implacable, le réalisateur de Alps (2011) dévoile toute l’étendue de son talent comme de son nihilisme dans un film aux accents de tragédie dans laquelle la catastrophe annoncée semble inéluctable. Les personnages marchent vers elle, muent par un fatalisme glaçant. Lanthimos vise le vertige plus qu’une quelconque maestria visuelle, l’image et le son marchent de concert pour agresser et servir un scénario proposant presque une expérience aux spectateurs où le cynisme ainsi qu’une certaine « cruauté » croisent des allégories mettant à mal les repères moraux de ces derniers. La beauté plastique et une photographie lumineuse se transforment en une poésie macabre qui ne cherche nullement à annuler l’étrangeté et le malaise que traverse des personnages ressemblant à des automates, vidés d’une certaine vitalité au sein d’un univers qui investit de manière assumée les codes du genre pour mieux nous impacter.
Mais même si Lanthimos parvient à délivrer un récit au symbolisme poussé dont la progression semble empruntée aux récits fantastiques, le réalisateur ne parvient pas nécessairement à créer une catharsis réellement tétanisante. S’il place avec brio ses personnages aux réactions froides et détachés dans un univers en vase clos comme dans Canine (2009) ou dans un récit dystopique comme The Lobster, l’effet tombe un peu à plat dans la première partie de Mise à mort du cerf sacré. Sans doute, aurait-il été beaucoup plus inquiétant et étrange de voir cette anormalité normalisée se révéler au même rythme que le récit, faisant alors monter la tension crescendo. Quoi qu’il en soit, Mise à mort du cerf sacré nous propose le portrait d’une famille dysfonctionnelle – à l’image de la société – à travers un récit oscillant entre plusieurs rives, tour à tour drame, relecture mythologique, l’horreur et la métaphore morale, augurant une catastrophe annoncée inévitable et d’une brutalité assez impressionnante. Une expérience magnétique et éreintante dont on en ressort avec un étrange goût dans la bouche.