The Amusement Park


Après un passage par l’Etrange Festival c’est au Fifigrot (aussi connu sous le nom de Festival du Film Grolandais) que le public toulousain a enfin eu la possibilité de découvrir ce petit film de commande, The Amusement Park (1973) proposé par la communauté religieuse luthérienne à un grand maitre du cinéma d’horreur : George A. Romero. Retour sur ce moment de cinéma triste et jouant sur le malaise, retrouvé par sa veuve, Suzanne Desrocher-Romero, un an après la mort de son mari.

On expulse un vieillard en cannes d'une représentation en plein air ; le viel homme est poussé en hurlant entre de nombreux bancs vides dans le film The Amusement Park.

© Tous droits réservés

Bienvenue à Zombieland

Quoi de mieux que de commencer sa jeune retraite en forme et pleine d’espoir dans un parc d’attraction, lieu de joie par excellence pour petits et grands ? Ce vaillant et vigoureux vieillard, absolument irrésistible dans sa tenue blanche immaculée ne comprend pas la mine abattue et tragique de son double, recroquevillé sur lui-même dans sa chambre stérile. Qu’importe, le sémillant vieil homme va découvrir les choses par lui-même… Et basculer dans un vrai train fantôme une fois la porte franchie. Ce micro-organisme qu’est le parc d’attractions regroupe à lui seul tous les aspects de la vie, permettant de mettre un scène un grand nombre de situations différentes, censées représenter les difficultés de ce vieil homme face au monde. Une fois à l’intérieur du parc, la cohue grouille tout autour de lui, les gens passent et le bousculent, ne lui jetant même pas un regard. Malgré sa tenue originale, on le distingue toujours assez peu à travers la foule, le cadre étant souvent parasité par des visiteurs qui lui passent devant, Romero ne le filmera que peu au premier plan. Dans ce lieu, notre antihéros n’est ni maître, ni acteur principal de sa propre vie, simplement relégué à n’être qu’un figurant, une présence qui au fur et à mesure de The Amusement Park va finir par s’effacer aux yeux des autres. Il lui faudra avant cela expérimenter toutes les « attractions » du parc, en commençant par celles qui ne sont plus du tout adaptées à son âge et dont il se fera rejeter systématiquement. S’il est chassé des auto-tamponneuses et des montagnes russes, on l’accepte par contre sans hésiter au freak show qui fait ici office de parodie malsaine de maison de retraite : c’est-à-dire rempli de corps souffreteux et terriblement diminués… C’est dans ces moments-là que le génie de l’horreur du pape des zombies éclate et que l’on reconnait immédiatement son style inimitable.

Dans les montages russes, un couple de vieux afro-américains tout sourire, entre eux, nous voyons un vieillard terrorisé ; scène du film The Amusement Park.

© Tous droits réservés

Les plans larges se rétrécissent de plus en plus, se rapprochant au plus près des visages et des corps décharnés des personnes âgées. Le rythme s’intensifie, les cuts s’accélérèrent, rendant l’image presque irregardable. La musique, composée de sons électroniques et stridents accroît cette sensation d’angoisse, par l’usage de ce son d’horloge, témoin du temps qui passe, de ce cercueil qui se referme doucement, mais sûrement. Le spectateur transpire et étouffe au même titre que le vieillard au costume plus si immaculé que ça. À cela s’ajoute quelques rares jumpscares de la mort en personne pour faire évacuer nos derniers doutes quant au fait qu’il s’agisse effectivement d’un film d’horreur. Ce genre que Romero connaît bien est reproduit ici avec son espace clos, le parc d’attractions et ses visiteurs, les zombies. Car oui, ce sont bien des zombies que nous voyons marcher lentement, l’air hagard et fatigué au milieu des vivants. Si cela reste un film de commande et que le propos est parfois lourdement appuyé – comme lors de la scène du restaurant, accentué de gags très visuels ou des serveurs se plient littéralement en quatre pour servir un riche client, au détriment des plus pauvres – The Amusement Park apparaît donc d’une cohérence indéniable avec la filmographie du cinéaste. On pense notamment à La nuit des morts vivants (Romero, 1968) quand, au détour d’une séquence, les visiteurs, êtres de chair et de sang à la peau ridée, dévorent les rares mets qui leur sont accessibles. Ces gros plans sur leurs mains et sur leurs bouches, accompagnés de ces abominables sons de succion, reflètent leur totale aliénation. Cela n’a beau durer que quelques secondes, ce moment est saisissant et convoque tout le génie du cinéaste.

Contre-plongée sur un motard à barbe, lunettes de soleil et casque militaire, avec près de lui la faucheuse, personnification de la mort avec sa fourche ; plan issu du film The Amusement Park.

© Tous droits réservés

The Amusement Park travaille aussi l’une des obsessions thématiques de Romero – présent notamment dans Zombie (1978) – qu’est la critique acerbe du capitalisme et de l’égoïsme qu’il induit. Dans ce qui constitue certainement l’un de ses chefs-d’œuvre, il dénonçait une société de consommation égocentrique qui engendrerait la création d’êtres complètement asservis, réduits à leurs plus bas instincts. Pourquoi des humains se transforment-ils en zombies ? Pour la même raison que de jeunes retraités deviennent des vieillards séniles. C’est au contact des autres, dans ce parc, que la vieillesse se fait de plus en plus ressentir par cet homme au sourire radieux, qui s’il parvenait encore à se tenir droit au début du film va finir par marcher avec une canne, traînant la patte. La sournoiserie, la méchanceté et l’ignorance de la société contribuent à le tuer petit à petit, le message est aussi clair qu’il en a l’air. Lincoln Maazel, que l’on a pu voir dans le projet le plus personnel de Romero, Martin (1977) joue cette décrépitude à la perfection. Nous prenons en pitié ce vieillard obligé de fuir devant la violence de ses détracteurs, affichant d’abord un visage poli, surpris, puis totalement terrifié pour finir sur un cri des plus déchirants lorsqu’il se rend compte qu’il est devenu totalement invisible aux yeux des autres. Il nous entraîne avec lui dans sa déchéance, dans cette spirale infernale, cette boucle sans fin. Car ces jeunes qui humilient aujourd’hui des vieillards deviendront à leur tour des gens aux genoux branlants que d’autres jeunes terroriseront. L’être humain est ainsi fait qu’il attaque ce qui lui fait peur : et c’est parce que la vieillesse, et par extension, la mort, est l’une des choses les plus terrifiantes à laquelle nous sommes condamnés à faire face, que nous préférons l’ignorer, la cacher, loin de nos yeux dans des maisons de retraite. En sortant de la salle, le spectateur est convaincu d’avoir vu le film le plus effrayant de Romero tant ce dernier est certainement celui qui touche au plus intime, même si ses métaphores zombies ont pu nous créer des moments de terreur, les morts-vivants ne feront jamais aussi peur que la mort elle-même.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.