[Bilan 2018] Même pas peur ! 1


Après avoir harponné les moby dicks des gros studios dans l’article 2018 : Blockbusters, en toute franchise on a décidé de dire tout le bien que l’on a pensé de la saillante année pour le cinéma d’horreur que l’on vient de vivre…

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Une année vraiment horrible ?

Nous l’expliquions dans l’édito accroché à la publication du TOP10 de la rédaction, pour beaucoup de nos rédacteurs, parvenir à trouver dix films « qui n’ont pas fait genre » en 2018 a été parfois une affaire compliquée, obligeant certains à faire du remplissage malvenu pour que le compte soit finalement bon. Et pour cause, si l’année fut relativement pauvre sur le terrain des grosses machines de science-fiction (voir l’article de Pierre-Jean Delvolvé, 2018 : Blockbusters, en toute franchise) elle l’a été tout autant pour les cinémas d’horreur et fantastique qui nous intéresse (aussi, mais pas seulement) en ces lieux. Après une année 2017 qui commençait déjà à sentir le souffre malgré quelques films remarquables – bien qu’ils eurent parfois farouchement divisé la rédaction, on citera en vrac Split (M.Night Shyamalan, 2017), Get Out (Jordan Peele, 2017), le français Grave (Julia Ducournau, 2017) ou le Cannois Mise à mort du Cerf Sacré (Yorgos Lanthimos, 2017) – la fournée 2018 ne permit pas à ces deux genres de relever la tête, tant les propositions sorties en salles furent globalement décevantes. Pour expliquer cette décrépitude, il convient de s’intéresser au cas plus particulier du cinéma de genre américain, en cela que la production d’outre-atlantique est largement la plus prolifique en la matière. Quand on se penche sur l’année passée, rarement la proposition du genre à l’américaine fut si pauvre d’enjeux, larguée, à la masse, perdue dans des spirales de conformisme et de non inventivité qui eurent de quoi donner le vertige à quiconque a peur du vide.

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Longtemps, il fut convenable et convenu de tirer à boulets rouges sur le found-footage – on en avait même fait un pamphlet désormais daté, En finir avec le found-footage de gueule tant le succès de cette nouvelle forme, rendue populaire par le succès immense du Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sanchez, 1999) avait donné lieu à plus de vingt ans d’ersatz moisis. Aujourd’hui si cette épidémie semble avoir été contrôlée – on peut surement remercier M. Night Shyamalan qui avec son excellent The Visit (2015) avait tellement tué le game sur ce terrain là que plus grand monde n’ose s’y frotter, au risque de paraître ridicule – d’autres virus semblent contaminer le microcosme du cinéma d’horreur américain contemporain. On ne reviendra pas en détail sur la prolifération de cet espèce de scorbut qu’est le jump-scare – bien qu’il soit un mal toujours actif et redoutable, je commence à être las de m’en énerver à chaque article – pour se pencher sur d’autres invasions tout aussi inquiétantes. Le cancer moderne du cinéma d’horreur américain porte un tout autre nom générique, petit anglicisme qui va bien et qui fait cool : c’est celui du high-concept. Le principe de ces productions, comme sa désignation l’indique, est de proposer des films dont l’ensemble du « programme » peut se résumer en un « pitch » aussi redoutable que succinct. Ce concept fort  aurait ainsi l’assurance d’être totalement inédit et surprenant – ça se discute – et d’assurer au film de faire mouche. Pourtant au regard des récents longs-métrages présentés comme des high-concepts en 2018, on constate souvent des récurrences thématiques qui les font, en définitifs, tous se ressembler un petit peu. Par exemple, Sans un bruit (John Krasinski, 2018) a tout du high-concept movie par excellence. Son pitch est simple et déflore en peu de mots tout le concept : « Une famille tente de survivre sous la menace de mystérieuses créatures qui attaquent au moindre bruit. S’ils vous entendent, il est déjà trop tard. ». L’une des très grosses déceptions c’est justement que le produit d’appel, son concept de film d’horreur muet, n’est jamais pleinement assumé. La réalisation usant d’une bande-originale omniprésente comme béquille, la bande son n’est de fait jamais véritablement silencieuse, ce qui désamorce totalement le concept et joue clairement en la défaveur du long-métrage. En toute fin d’année, Netflix a dégainé sur le fil un long-métrage qui peut être vu comme le négatif du film de John Krasinski, le très raté Bird Box (Susanne Bier, 2018) proposant simplement d’inverser le concept. Cette fois, il ne s’agit plus de ne pas parler mais de ne plus voir : « Alors qu’une mystérieuse force décime la population mondiale, une seule chose est sûre : ceux qui ont gardé les yeux ouverts ont perdu la vie. Les autres sont contraints de vivre les yeux bandés. ». L’une et l’autre des productions n’arrivent ni à voir pleinement plus loin que son concept, ni au contraire, à le tenir sur la longueur. Le pitch de départ n’est qu’un leurre, un appât, utile uniquement pour hameçonner les gros poissons que nous sommes en salles (ou sur la plateforme dans le cas du second). Depuis la sortie du high-concept de compétition que fut American Nightmare (The Purge, James DeMonaco, 2013) et sa dystopie terrifiante : « Dans un futur proche, aux États-Unis, pour maintenir un faible taux de chômage et de criminalité tout au long de l’année, le gouvernement a mis en place une période annuelle de douze heures consécutives, au cours de laquelle toute activité criminelle est permise, y compris le meurtre » cette idée a fait des petits, d’abord quatre suites pour ce qui fait office de saga désormais – dont la dernière en date, American Nightmare 4 : Les Origines (Gerard McMurray, 2018) est sortie cette année sur les écrans – mais aussi des cousins moins officiels comme c’est le cas par exemple de Assassination Nation (Sam Levinson, 2018) qui propose une vision assez similaire du chaos cynique : « Une petite ville américaine est bouleversée lorsqu’un pirate anonyme commence à révéler les messages privés de milliers de personnes. Ces révélations entraînent alors une vague de violence généralisée qui confine à la guerre civile ». Déjà l’an dernier, Happy Birthdead (Christopher Landon, 2017) et son pitch rigolo : « une jeune femme est condamnée à revivre en boucle la journée de son assassinat » n’était en réalité qu’une resucée de deux autres productions partageant un high-concept similaire : Un Jour sans Fin (Harold Ramis, 1993) et le plus récent Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014). De façon récurrente, ces films qui se présentent comme des concepts forts et inédits, nous apparaissent d’abord comme des pâles copies (en moins bien), ce qui, combiné à la recrudescence des suites et spin-off, origins et autres stand-alone – je vous laisse aller chercher les définitions dans votre Petit Robert d’Hollywood – participe à l’appauvrissement généralisée de la production et à une sensation générale de déjà-vu.

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En second lieu, la cuvée 2018 intensifie toujours plus la domination d’un sous-genre – même si on rappelle souvent qu’il ne faut pas parler de sous-genre parce que cela comporte un sens péjoratif qui nous ennuie, là, je crois qu’on le peut … – qu’est le film de possession démoniaque. En grande partie responsable de la prolifération du jump-scare, ce sous-genre œcuménique a encore une fois envahi les écrans cette année, pour le meilleur – Hérédité (Ari Aster, 2018) – et surtout le pire avec La Nonne (Corin Hardy, 2018), Unfriended : Dark Web (Stephen Susco, 2018), Action ou Vérité (Jeff Wadlow, 2018) L’Exorcisme de Hannah Grace (Diederick Van Rooijen, 2018), La Malédiction Winchester (Michael & Peter Spierig, 2018), Insidious 4 : La Dernière Clé (Adam Robitel, 2018) et j’en passe et des moins biens. Bien que ce genre à part entière du cinéma d’horreur n’est pas tout jeune et qu’il a surtout connu son acmé avec le chef-d’oeuvre absolu que fut L’Exorciste (William Friedkin, 1973), il a retrouvé grâce auprès des studios après le succès immense de la saga Conjuring (James Wan, 2013-2016). Toujours bâti sur les mêmes croyances religieuses, le programme de ces récits est toujours le même : l’opposition du divin – souvent un prêtre héroïque – au diable ou à ses suppôts de démons, souvent une jeune femme hystérique, j’ai remarqué, pas vous ? S’ils se ressemblent tous sur la forme, ces films revêtent aussi le même sous-texte, habillés d’une aube puritaine et catholique prégnante, ils semblent tous avoir été écrits par des comités de cardinaux-scénaristes qui voient en la femme, qu’ils ne peuvent ni approcher ni convoiter, le réceptacle d’un mal absolu, le diable en personne. Le point de non-retour cette année de cette tendance envahissante, est sans nul doute le ridicule « documentaire » de William Friedkin himself le regrettable The Devil and Father Amorth (2018) sorti en catimini sur Netflix. Avec ce long-métrage, le réalisateur qu’on chérit pourtant tant en ces lieux se vautre dans la fange d’un sensationnisme crasseux, faisant ressembler son film à l’un de ses documentaires conspirationnistes qu’on diffuse désormais à la télé en prime-time. De toute évidence, l’entreprise de Friedkin n’est pas totalement neutre, assumant plus que jamais d’être trempé dans le bain d’une pensée correcte et acceptable selon l’Eglise, présentant dès les premières minutes son personnage principal, le Père Amorth – le plus réputé exorciste du Vatican – comme étant un admirateur avoué du chef-d’oeuvre de 1973 qu’il juge « ultra-réaliste ». Qu’importe qu’ils soient délibérément nimbés d’un voile œcuménique et d’une morale religieuse omniprésente – c’est le cas des Conjuring, plus que d’autres d’ailleurs… – ou simplement emprunts à utiliser le sujet pour vous faire sursauter dans vos fauteuils, ces productions nourrissent un imaginaire religieux et font humer leurs relents prosélytes et propagandistes. Tout en profitant du filon, quelques tentatives ont pourtant réussi cette année, à revisiter les codes de ce cinéma éculé, creusant moins du côté du film de possession démoniaque en tant que tel, que chez son cousin le film de maison hantée. La proposition la plus réussie est sûrement moins cinématographique que sérielle. Dans The Haunting of Hill House (Mike Flanagan, 2018) une maison hantée par des esprits démoniaques dévoilent d’épisode en épisode son véritable sens, une explication opposant surnaturel et croyance religieuse à une approche davantage centrée sur la psychologie des personnages. Même intérêt trouvé dans l’irlandais The Little Stranger (Lenny Abrahamson, 2018) ou le moins réussi La Malédiction Winchester (Michael & Peter Spierig, 2018), qui ont fait tous deux (et chacun à leur façon) de la maison elle-même, le véritable esprit malfaisant.

Conjuring : Les Dossiers Warren (James Wan, 2013) et sa suite Conjuring : Le Cas Enfield (James Wan, 2016) ne sont pas uniquement responsables de la contamination du sous-genre du film de possession démoniaque sur le cinéma de genre américain. Non content de refiler sa syphilis à tout le monde, James Wan a laissé NewLine (le studio qui produit) s’engouffrer vers une autre plaie du cinéma de genre moderne qu’est l’univers étendu. Inspirés par la déferlante super-héroïque qui voit s’opposer Marvel et DC – respectivement avec ce qu’on appelle le Marvel Cinematic Universe et le DCEU Universe – tous les studios cherchent désormais à développer leur propre univers. L’année 2018 n’a pas été en reste, avec un nouveau piètre ajout au regrettable Conjuring Universe. Ainsi le nullissime La Nonne (Corin Hardy, 2018) – dont il n’y a qu’à sauver sa direction artistique gothique, revisitant les saveurs d’antan de La Hammer – propose de découvrir la vérité derrière un personnage démoniaque secondaire de Conjuring : Le Cas Enfield (James Wan, 2016). Ce nouveau spin-off s’ajoute à cet univers partagé et dérivé des réalisations de James Wan, dont on a déjà vu sortir deux piteux films consacrés à la poupée diabolique Annabelle (2014-2017) présente dans le premier volet Conjuring : Les Dossiers Warren (James Wan, 2013). Cette dernière va d’ailleurs avoir le droit à une troisième livraison en 2019, tandis que deux autres projets – un troisième Conjuring qu’on annonce comme un film de loup-garou possédé démoniaque (ouais, ouais) et un autre centré sur L’Homme tordu vu dans le second volet – viendront porter d’ici 2020 le nombre de films oscillants du moyen au navet et constituant le Conjuring Universe à huit ! L’année qui débute n’a rien pour nous rassurer, puisqu’on sait déjà que le studio Legendary continuera de développer son Monsterverse – déjà gratiné des fades Godzilla (Gareth Edwards,2014) et Kong : Skull Island (Jordan Vogt-Roberts, 2017) – avec Godzilla : Roi des Monstres (Michael Dougherty, 2019) qui verra le célèbre lézard géant affronter ses bons vieux copains de la Toho avant de foutre sur la gueule de King Kong en 2020… Qu’il s’agisse du film de monstres géants ou du film de possession démoniaque, le recours à ses univers étendu amènera irrémédiablement toutes ces productions à elles aussi se ressembler, et perdre, de fait, à leur tour en singularité et en identité. Par cet effet d’entrainement, le genre américain perd totalement de sa saveur et de son intérêt. De même, par la monoforme qui s’impose alors, les Etats-Unis peinent à renouveler le sérail de leurs grands réalisateurs de genre(s), la réalisation de ses sucreries horrifiques étant davantage confiée à une armée de yesman (pour reprendre le terme juste employé par Pierre-Jean pour désigner les Frères Russo de chez Marvel) qui se contentent d’appliquer sagement un à un les articles du petit manuel du film d’horreur et le cahier des charges des franchises sur lesquelles ils sont embauchés.

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Quatrième et dernière malice en œuvre à Hollywood – depuis des lustres ceci étant dit – et à nouveau très représentée en 2018 : le remake. Cette année, trois chefs-d’oeuvres du cinéma d’horreur ont subi les affres de la relecture contemporaine. David Gordon Green a livré un valeureux hommage à John Carpenter avec une suite à Halloween qu’on aurait espéré salvatrice puisqu’elle se voulait effacer toutes les autres. Si le film n’est pas inintéressant et possède certaines des séquences d’horreur les plus réussies de l’année, il manque cruellement d’envergure, tout autant que de personnalité, le réalisateur étant moins à l’aise avec la ré-appropriation que la citation pure et simple. Son bébé converge à l’exercice de style, exact opposé avec le remake de Suspiria, revisite du panthéonisé maître Argento par le pédant Lucas Guadagnino. S’il a divisé la critique autant que notre rédaction, le long-métrage a de l’audace, peut-être mal placée voire goguenarde, limite irrespectueuse diront certains, mais de l’audace tout de même puisqu’il ne tombe pas dans la facilité (qui n’a rien de simple en réalité) de refaire plan par plan l’original : un travers dans lequel tombe très souvent David Gordon Green et ce dès son générique d’ouverture. Enfin, Shane Black a donné un nouveau sens à l’un des monstres les plus emblématiques du cinéma de genre américain des 80’s avec The Predator, relecture plus brutale du mythe, mais finalement plus sage, puisqu’il s’agissait moins pour Black de reprendre à zéro que de s’introduire dans une saga déjà établie, le remake se déguisant en suite (ou inversement).

Ces tristes constats faits, reste alors à porter un œil serein sur les rares résistants, qui poussent tous sagement, à l’ombre des grands studios, dans la lumière bienveillante d’un cinéma de genre américain indépendant plus que jamais menacé, mais toujours viril. Ces dernières années, de nombreux noms ont su fleurir, offrant des propositions de cinéma assez réjouissantes qui promettent, tout de même, de meilleurs lendemains. De Robert Eggers (The Witch), à Jordan Peele (Get Out), en passant par Trey Edward Shults (It Comes At Night) ou David Robert Mitchell (It Follows et le passionnant Under the Silver Lake cette année) mais encore Jérémy Saulnier (Blue Ruin, Green Room et cette année pour Netflix, Aucun homme ni dieux) tous appartiennent à une nouvelle vague de cinéma d’horreur américain contemporaine qu’on a plus que hâte de voir déferler dans les années à venir. Cette année, parce qu’il faut bien finir sur une note positive, un nom, sorti totalement de nul part, est venu s’ajouter à cette désormais longue liste  : celui de Ari Aster, réalisateur du – sans nul doute – meilleur film d’horreur américain de l’année, l’inattendu Hérédité. En un premier effort aussi terrifiant qu’envoûtant, le jeune cinéaste a su s’imposer comme une valeur montante de l’horreur à l’américaine dont il nous tarde de découvrir le second film, un certain Midsommar (2019) dont il se murmure qu’il pourrait s’inviter à Cannes. S’il fallait pointer du doigt et fustiger les travers de la production horrifique outre-Atlantique et cette année 2018 lamentable, il faut toutefois s’autoriser à espérer que l’année qui débute, offrira plus qu’une seule bonne surprise, mais des dizaines… soyons fous.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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