Vous le savez sûrement si vous faites partie de nos fidèles lecteurs depuis des années – pas de méprise, si vous venez d’arriver, on vous accepte quand même – ici, on aime tout particulièrement les films de monstres géants qui font « Roaar ! » et cassent des buildings. Nous avions même consacré un dossier entier à l’histoire du film d’attaque de monstres, des titans américains – King Kong et consorts – à leurs cousins japonais du kaiju-eiga, devenu dans le pays du soleil levant un véritable monument de la culture populaire. Après la demi-déception que fut le Pacific Rim (2013) de Guillermo Del Toro, l’attente était résolument plus grande pour le remake de Godzilla que préparait Gareth Edwards. Verdict en quelques paragraphes, et beaucoup de spoilers.
Longue vie au Roi !
Depuis 1998, on s’inquiétait de ne plus voir notre cher Godzilla sur les écrans. Beaucoup se demandaient s’il n’était pas en dépression, terré dans une caverne au fin fond du Pacifique, s’étant juré de quitter le business après avoir joué dans le remake absolument immonde de Roland Emmerich. Se sentant violé, conspué, trahi, la rumeur disait que le monstre avait déposé les gants, s’en était allé à une vie rangée, sur Skull Island, faisant des parties de Puissance 4 avec King Kong en sirotant des Malibu-ananas. Il ne faut pas croire la rumeur hollywoodienne et la presse à scandale. Par ailleurs, il est particulièrement honteux de sous-estimer la capacité d’une telle légende à endurer les coups durs. On peut admettre que Rocky Balboa flanche et devienne garçon-boucher, mais sûrement pas que Godzilla finisse dans un vivarium au Zoo de Beauval, exposé comme un petit lézard de pacotille. Bordel ! On parle bien du Roi des Monstres, pape invétéré – mais pas invertébré – du kaiju-eiga. Star de plus de trente films, du pire au meilleur, le lézard géant le plus célèbre de la galaxie n’a jamais perdu de sa classe légendaire, même quand il devait dandiner son postérieur amphibien sous la caméra du plus catastrophique des réalisateurs de films catastrophe. Après une période de vaches maigres qui durera dix années – sa dernière apparition sur les plateaux de tournage de la Toho (société de production japonaise qui l’a découvert) remonte à 2004 – le monstre mythique revient prendre sa revanche à Hollywood sous la caméra d’un réalisateur prometteur, Gareth Edwards, à qui l’on doit un intriguant premier film, Monsters (2010), non exempt de défauts, mais surtout plein de réelles qualités.
Il reste compliqué pour les américains d’adapter à leur sauce la mythologie Godzilla, par essence anti-américaine. Rappelons en quelques mots que dès le film original en 1954, le monstre est présenté comme un rejeton de la bombe atomique larguée par les Américains sur le Japon pendant la guerre. Sorte de symbole de la puissance dévastatrice de la nature, combinée à la menace toujours plus inquiétante du nucléaire. Pour les Japonais, Godzilla devint plus qu’un simple monstre de cinéma, il se fit porte parole de la rancœur et du trauma nippon, cristallisa les peurs autour du nucléaire et de son impact dévastateur sur la nature dont il devenait le symbole. Chacun de ses pas étaient l’épicentre d’un tremblement de terre, chacune de ses baignades provoquait des tsunamis, chacun de ses déplacements des tornades. Le résultat du nucléaire sur la nature était là, devant les yeux des spectateurs. La version de 1998 conservait la morale anti-nucléaire mais dédouanait l’Amérique de toute responsabilité en la reportant sur la France. Pour cause, le film sortait quelques mois seulement après la reprise des essais nucléaires demandés par Jacques Chirac au large des Philippines. On se demandait donc bien à quelle sauce allait être cuisinée cette bébête et toute la substance que transporte son mythe dans ce second opus produit aux Etats-Unis.
Dans les choix opérés dans cette nouvelle version, beaucoup de choses sont étonnantes et plus ou moins réussies. La première bonne idée de scénariste est de ne pas donner à l’histoire une échelle nationale. Même si l’intrigue se déroule essentiellement du côté de l’armée américaine et de ses scientifiques exportés à l’étranger, le message sur le nucléaire ne s’applique pas tant à son utilisation militaire – quoi qu’un peu tout de même – mais surtout à son impact sur la nature de manière globale et mondiale. Le film, contrairement à celui de Roland Emmerich, arpente le drame écologique avec une vraie sincérité. L’humanité entière est en péril face à la nature qu’elle essaie de contrôler mais qu’elle ne pourra jamais rendre esclave de ses désirs. Certaines séquences transportent par ailleurs avec elles le spectre de catastrophes naturelles récentes – impossible en effet de ne pas penser au tremblement de terre et tsunami qui dévastèrent Fukushima et sa centrale nucléaire. En ces termes, le film de Gareth Edwards est plus que jamais de son époque : cristallisant l’inquiétude de l’humanité vis à vis d’une nature qui reprend peu à peu ses droits avec virulence, alors même que ces mêmes humains ne cessent de jouer avec le feu en essayant de dompter ce sur quoi ils n’ont pas de pouvoirs. Godzilla est présenté textuellement comme l’élément naturel le plus à même de rétablir l’équilibre, de redonner à la nature un semblant d’apaisement et d’harmonie. Il est comme le dernier souvenir d’un monde révolu.
Toute la première partie du film est admirable, le scénario affronte les sujets polémiques énoncés dans le paragraphe précédent de manière frontale, et la mise en scène de Gareth Edwards durant une bonne heure est d’une efficacité redoutable. Rappelant la culture du mystère autour du monstre de Super 8 (2011), Gareth Edwards – comme J.J. Abrams avant lui – convoque quelques recettes spielbergiennes faisant du début de son Godzilla un savoureux mélange entre Les Dents de la Mer (1975) – le monstre dont on retarde toujours plus l’apparition à l’écran – et Jurassic Park (1993) – pour les séquences d’effroi où l’humain est confronté au titan. L’une des séquences les plus réussie du film, montrant de jeunes enfants prisonniers d’un bus scolaire au milieu d’un pont subissant les assauts des monstres, joue d’ailleurs de manière très évidente et assumée, le mimétisme avec la séquence mythique du T-Rex dans le film de Steven Spielberg.
L’une des réelles bonnes surprises de ce Godzilla, c’est la présence d’autres kaijus, convoqués là pour venir batailler sec avec le King. On les nomme les Mutos, des parasites radioactifs capable d’aspirer toute source électrique à des kilomètres à la ronde, que notre monstre préféré va traquer pendant une bonne heure avant d’enfin décider à aller leur foutre une branlée. Pendant cette première partie du film, on s’étonne même que ces Mutos volent complètement la vedette à Godzilla, dont la présence est reléguée à quelques apparitions subreptices. Cela pourrait ne pas nous frustrer si ces fameux monstres avaient suffisamment la classe pour nous ôter l’envie de découvrir au plus vite le lézard géant. Il n’en est rien, l’une des déceptions majeures c’est que ces Mutos ne sont absolument pas à la hauteur des kaijus de légende que sont, en vrac, Ebirah, Mothra ou Rodan. Trop futuristes pour être réalistes, les Mutos avec leur corps de mante religieuse auraient pu avoir un vrai potentiel de hype si leurs yeux ne les faisaient pas ressembler à des Transformers.
Les bonnes surprises s’évaporent finalement en regrets, la deuxième heure du film détruit tout ce qui avait été créé. L’élégance du non-dit et la malice du jeu des hors-champs laisse place à une mise en scène pompière, musclée et épileptique qui parasite la grande majorité des productions Hollywoodiennes actuelles – le Pacific Rim de Guillermo Del Toro en souffrait d’ailleurs particulièrement – et le sous-texte écologique et politique – presque moraliste – de la première partie du métrage ne résiste pas à l’américanisme ambiant dès lors que l’histoire se recentre sur la trajectoire d’un jeune soldat américain, spécialiste de l’armement explosif, parachuté sur le ring des deux balourds de monstres pour sauver le monde d’une explosion imminente. Le final, sans pincettes, se termine sur une victoire par K.O. du roi des monstres, qui dans un dernier élan de bonté, son devoir accompli, évite de piétiner ce qu’il reste de buildings debout dans les rues de San Francisco pour s’en aller dans la baie, et nager au large. Et puis, le roi des monstres devint un ange gardien.
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