En attendant la troisième saison de Stranger Things (2019) l’ogre Netflix réitère l’expérience d’une série taillée sur mesure pour le mois d’octobre avec la série d’horreur The Haunting of Hill House (Mike Flanagan, 2018). Une nouvelle adaptation du fameux livre de Shirley Jackson La Maison Hantée (1959).
La Chambre Rouge
Le roman La Maison Hantée de la romancière Shirley Jackson publié en 1959 est sans conteste ce que l’on peut nommer un classique du genre de l’épouvante. Sa sortie à l’époque avait tellement marqué les esprits qu’Hollywood s’était empressé de lui donner une adaptation magistrale, La Maison du Diable (Robert Wise, 1963) aujourd’hui reconnue comme l’une des pierres angulaires du cinéma de genre américain et plus précisément de ce genre à part entière qu’est le film de maison hantée. Près de soixante ans après sa publication et son adaptation cinématographique, Netflix s’associe avec Amblin – définitivement de retour aux affaires – pour produire une série en dix épisodes, avec comme ambition de faire mieux que l’abominable version de Jan de Bont sobrement intitulée Hantise (1999) dont il convient d’oublier l’existence. Pour ce faire, la plateforme a fait appel au réalisateur Mike Flanagan dont elle avait déjà produit le long-métrage Jessie (2017) adapté d’un roman de Stephen King. Par ailleurs, Flanagan, doucement mais sûrement, se fait un petit nom dans le cinéma de genre américain avec des films comme The Mirror (2013), Pas un bruit (2016) Ne t’endors pas (2016), ou le prequel Ouija : Les Origines (2016). Véritable stakhanoviste – regardez les années de production des longs-métrages cités plus haut pour vous en convaincre – le cinéaste, en plus d’être le showrunner de The Haunting of Hill House (2018) a relevé le défi d’en réaliser la totalité des dix épisodes. En lui offrant un total contrôle sur la série, Netflix offre à Flanagan la possibilité d’asseoir un statut « d’auteur » (selon les normes françaises en vigueur) et une réputation d’excellence, là où, le cinéaste était d’abord considéré – à tord ou à raison – comme un flibustier de seconde zone.
Jouissant d’une presse et d’un bouche-à-oreille dithyrambique, The Haunting of Hill House avait tout pour être de ces productions qui mettent tant l’eau à la bouche qu’elles finissent par vous décevoir au goût. Or, au-delà des promesses de frousses fantomatiques, la série surpasse la concurrence par sa faculté assez vertigineuse à se jouer des codes du genre et à les ré-inventer au passage. Le genre du film de fantôme et de maison hantée a tellement été essoré qu’il devient compliqué d’en tirer autre chose qu’une resucée d’effets téléguidés dont ne surgit au final plus aucun étonnement, plus aucun sens. Victime du diktat du jump-scare – comme bon nombre de sous-genres de l’épouvante, on a même parfois l’impression de le dire dans tous nos articles – le film de maison hantée a clairement perdu de son aura mystérieuse et fascinante, même s’il faut bien admettre quelques tentatives honorables telles que le très récent The Little Stranger (Lenny Abrahamson, 2018) qui possède d’ailleurs de nombreux points communs avec la série de Netlix. A ce titre, sûrement, ce qui réunit autant dans le fond que la forme The Haunting of Hill House (2018) et le travail d’Abrahamson, est leur refus conjoint de se vautrer dans les facilités d’effets, l’un et l’autre privilégiant toujours les personnages et l’atmosphère aux effets d’épouvante surfaits. Il faut dire que le format – dix épisodes d’a peu près une heure chacun – permet, certainement davantage qu’au cinéma, de développer la profondeur des personnages – ce n’est par ailleurs pas si anodin que The Little Stranger y parvenait mieux que la concurrence, puisqu’il approche les deux heures – sans être contraint aux raccourcis psychologiques et aux accélérés scénaristiques maladroits.
En cela, si The Haunting of Hill House est assurément une série d’épouvante, elle est tout autant un profond drame familial et psychologique qui s’appuie, avant toute chose, sur le dessin de personnages solides. Plus que jamais, le format sériel impose sa domination sur ce terrain, profitant du fait que son opposé cinématographique est forcé à l’esquisse par sa nécessité industrielle de raboter sa durée. Ce qui pêche ainsi habituellement dans le genre devient ici sa force. S’éloignant du bail de départ du roman de Shirley Jackson dans lequel les personnages n’avaient aucun lien de parenté, Mike Flanagan décide ici de raconter l’histoire d’une famille, les Crain, dont le destin va basculer au contact d’une maison supposément hantée. Dans les années 80, Hugh et son épouse Olivia – on notera que Hugh est incarné par Henry Thomas qui n’est autre que le petit Elliott de E.T L’Extraterrestre (Steven Spielberg, 1982), si vous vous demandiez ce qu’il était devenu – emménagent à Hill House avec leurs cinq enfants. Leur but, retaper en un été cette vieille et grande bâtisse, pour pouvoir la revendre à profit et se construire la maison de leur rêve. Capricieuse, la maison leur en fera voir de toutes les couleurs. Les retards engendrés par la pourriture des murs enferme les Crain dans une spirale infernale, les faisant craindre la banqueroute. Parallèlement, les enfants témoignent un à un de leurs craintes et mauvais pressentiments autour de la bâtisse, étant tous persuadés qu’elle est véritablement hantée par des esprits malfaisants. Très vite, la série nous dévoile que la famille a dû un jour quitter brusquement les lieux, après une nuit cauchemardesque. Ainsi, l’enjeu narratif des dix épisodes sera de converger vers cette fameuse nuit et d’essayer de comprendre ce qui a bien pu se dérouler ce soir-là dans les couloirs biscornus de Hill House. Pour se faire, Flanagan emploie une narration sur deux plans, passant des années 80 à de nos jours, où l’on retrouve les enfants, adultes, tentant de vivre avec les démons et les souvenirs de cette parenthèse horrifique et traumatisante de leur vie. Ainsi, à la manière de Lost, les Disparus (2004-2010) – qui fait office de référence sur le traitement des personnages et a marqué une date charnière dans l’histoire des séries télévisées de ce point de vue là – chacun des épisodes bascule d’une temporalité à une autre, en se focalisant à chaque fois sur le point de vue d’un des personnages.
Ainsi, ce qui étonne dans la trajectoire impeccable de ces dix épisodes d’une maîtrise ébouriffante, c’est la faculté de Mike Flanagan à raconter une histoire familiale d’une profondeur psychologique assez bouleversante tout en cochant toutes les cases pour que sa série soit agréée au panthéon de l’épouvante. Sans parvenir aux sursauts – les jump-scare sont mesurés et de toute évidence pas aussi ostensiblement recherchés – la mise en scène joue d’abord d’une ambiance anxiogène souvent étouffante – en témoignent ses fantômes cachés au coin des plans, tapis dans l’ombre, qu’on repère ou pas, et qui semblent observer les personnages comme les spectateurs – et parfois malsaine qui place le spectateur dans un inconfort psychologique qui est aussi celui des personnages. Aussi simple que virtuose – l’épisode six intitulé Two Storms, filmé quasiment entièrement en plan séquence s’impose d’emblée comme le meilleur épisode de série de l’année – The Haunting of Hill House surprend du début à la fin par son écriture aussi sensible qu’efficace – la série n’est pas avare en révélations chocs et ménage admirablement son suspense – dévoilant sur sa dernière ligne droite, une profondeur vertigineuse confinant à un tragique sublime. Rares sont les propositions du genre à sonder aussi loin l’âme humaine sans contrefaire à leur contrat initial. The Haunting of Hill House, de ce point de vue là, parvient à toucher la sensation vertigineuse de faire pleurer de peur. Non pas de ne plus pouvoir supporter l’horreur de ce que l’on voit, mais parce que s’y décèle, par strates successives, une dimension tragique, qui, si elle est d’une mélancolie bouleversante, nous renvoie d’abord à celle qui est la notre, comme une invitation à regarder le reflet de notre propre âme. Ainsi, si la série touche en plein cœur, c’est qu’elle parvient à faire du destin de chacun des membres de la famille Crain et de la trajectoire de rémission qui est la leur, un message universel. Par cette entreprise, The Haunting of Hill House se mue alors en pansement pour le cœur, l’esprit, l’âme, s’offrant alors comme remède et clé de compréhension, pour que tout un chacun apprenne à chasser ses propres fantômes.
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