Hasard du calendrier ou illustration concrète d’un revival au bulldozer de l’imaginaire fantastique des années 80/90 (cf notre article Hollywood doit-il arrêter de regarder dans le rétro ?) l’auteur à succès Stephen King a plus que jamais le vent en poupe entre remakes, nouvelles adaptations et ressorties vidéos, pour le meilleur et pour le pire. Il y a quelques jours, Netflix vient de mettre en ligne un nouveau long-métrage adapté d’une nouvelle du « King », un Dans les Hautes Herbes un peu fané, qui n’a peut être comme seul mérite de nous donner des nouvelles (peu rassurantes) de Vincenzo Natali : critique.
Gazon Maudit
Le succès en salles de la relecture de Ça (Andrés Muschietti, 2017) dont le second volet moins convaincant vient tout juste de sortir Ça, Chapitre 2 (Andrés Muschietti, 2019) a relancé à Hollywood une Stephen King mania. La présence imposante du spectre de cet auteur adulé sur le cinéma américain populaire et fantastique ne date pas d’hier et ne s’est jamais vraiment étiolé avec le temps, malgré des hauts et des bas qualitatifs (Peut-on vraiment adapter Stephen King ?). Son premier livre à succès, Carrie, publié en 1974, fut immédiatement porté à l’écran deux ans plus tard par Brian de Palma avec Carrie au bal du diable (1976), inaugurant un raz-de-marée d’adaptations par des cinéastes confirmés qui marquèrent de leurs empreintes les cinémas de genres – Stanley Kubrick avec Shining (1980), George A. Romero avec Creepshow (1982), John Carpenter avec Christine (1983), David Cronenberg avec Dead Zone (1983), Rob Reiner avec Stand By Me (1986), Frank Darabont avec Les Evadés (1994) j’en passe et des moins bons… – ce qui confirma l’aura du romancier et son impact démentiel sur la pop culture de ces années-là, bénies diront certains. Bien aidé par le revival actuel du fantastique façon eighties, c’est tout naturellement que la marque Stephen King revient hanter Hollywood. Assez logiquement, le gargantua qu’est Netflix a sauté sur l’occasion pour conclure un deal avec l’auteur et ainsi porter plusieurs des ses nouvelles à l’écran, dans le cadre de séries et films estampillées Netflix Originals. Si nous avions déjà eu le droit à deux adaptations assez dispensables avec Jessie (Mike Flanagan, 2017) – ce dernier s’apprête d’ailleurs, après le succès mérité de sa série The Haunting of Hill House (2018) à sortir en fin de mois l’adaptation de Doctor Sleep (2019), la suite de Shining, l’enfant lumière publiée par Stephen King en 2013 dont on ne manquera pas de vous parler – puis un fadasse 1922 (Zak Hilditch, 2017) s’ajoute désormais une troisième livraison, avec Dans les Hautes Herbes (Vincenzo Natali, 2019), adaptation d’une nouvelle co-écrite par King et son fils Joe Hill.
On reconnaît bien l’univers assez codifié de l’auteur dans l’adaptation de cette courte histoire, qui mêle ancrage réaliste et fantastique territorial – toujours le même Maine, présent dans l’ensemble de son œuvre – tout en dérivant brutalement vers l’ésotérisme, ici de manière assez déconcertante, à base de spiritualité païenne (amérindienne ?) et pseudo-démoniaque. On y suit Becky, une jeune femme enceinte de six mois, et son frère Cal, qui, alors qu’ils sont en route pour un centre d’avortement/abandon (ce n’est pas très clair), se perdent dans un immense champ d’herbes hautes, attirés à l’intérieur par les lamentations d’un enfant perdu appelant à l’aide. Peu à peu, ils vont comprendre qu’ils sont désormais eux-mêmes piégés par ce maudit champ qui les retient consciemment emprisonnés. Une fois qu’il a posé les bases scénaristiques de son high-concept movie – assez logique quand on adapte une nouvelle, les nouvelles qui tenant souvent du simple concept elles-mêmes – Dans les Hautes Herbes s’étire à l’excès, se boursoufflant de tous côtés pour répondre aux impératifs de durée du long-métrage. Le récit s’en retrouve corseté, piégé par un canevas de répétition scénaristique en spirale, qui tourne vite au vinaigre et à l’ennui. Passés la surprise et l’efficacité du premier tiers déboussolant de par sa faculté à nous perdre tout autant que les personnages – en jouant notamment assez admirablement de l’étouffement provoqué par le huis clos à ciel ouvert imposé par ce champ infini – le film rate son virage vers un fantastique plus chargé en symboles et en mythologie, s’offrant quelques passages grand-guignolesques qui décocheront plus des sourires gênés que de mimiques d’effrois. En même temps que le scénario se noie d’explicatif et de sentiments mal affirmés – la psychologie des personnages est d’une lourdeur… – la mise en scène de Vincenzo Natali se perd elle aussi dans les effets de transitions maladroits et une avalanche de plans truqués disgracieux qui finissent par jouer complètement contre l’atmosphère du film.
D’autant plus dommage qu’on restait forcément curieux de voir revenir aux affaires le réalisateur du culte Cube (1997) et du très beau Splice (2009), l’un des noms sur lesquels, on pensait pouvoir compter au début des années 2000 pour reprendre le relais des grands maîtres de l’horreur alors en perte de souffle. Malheureusement, depuis son dernier long-métrage un peu passé inaperçu, Haunter (2013) – rien d’injuste là-dedans – Natali s’était vu un peu cantonné à cachetonner en tant que réalisateur de luxe pour des épisodes de séries télévisées qui, pour la plupart, ne font d’ailleurs pas genre : en vrac, Westworld, The Strain, American Gods, Hannibal, Luke Cage, Wayward Pines… C’est donc moins le fait de voir une énième adaptation fade et mal gaulée de Stephen King qui nous décevra ici – c’est pas la première, et sûrement pas la dernière – pas plus le fait de constater que Netflix n’est toujours pas l’Eldorado qualitatif tant attendu et annoncé pour les cinéastes et amateurs de cinéma de genre(s), mais plutôt, simplement, la relative déception de voir un réalisateur sur lequel on continuait de compter, bon an mal an, se prendre méchamment les pieds dans le gazon.