En finir avec le found-footage de gueule 7


A l’occasion de la sortie de la suite du Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sanchez,1999) sobrement intitulé Blair Witch (Adam Wingard, 2016) il est de bon ton d’enfin dire tout haut ce que l’on pense depuis longtemps sur l’un des cancers du cinéma de genre actuel : le found-footage de gueule.

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Tout fait cinéma

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Depuis le succès incroyable du Projet Blair Witch en 1999, le foundfootage s’est imposé comme l’un des sous-genres les plus prolixes du cinéma d’horreur. Véritable manne financière et effet de mode, la déferlante de films reprenant le même procédé filmique – consistant à présenter les images du film comme étant des enregistrements authentiques filmés par les protagonistes eux-mêmes – n’a jamais vraiment cessé de grandir, s’appuyant sur quelques succès colossaux, qui, au regard du différentiel entre le coût de production et les bénéfices rapportés, s’imposent comme le sous-genre qui, dans le giron de la production Hollywoodienne, demeure assurément le plus rentable. Pourtant si on considère souvent historiquement le fameux Projet Blair Witch (1999) comme étant le spécimen alpha du genre, le found footage trouve ses racines bien plus profond dans l’histoire du cinéma, étant un dérivé d’abord de plusieurs autres genres à commencer par le fameux mockumentary – ou documenteur comme on a coutume de l’appeler en français – dont la caractéristique est de faire croire au spectateur à la réalité d’un fait, d’une histoire, d’un témoignage, alors que tout est absolument faux. On trouve parmi les plus grands représentants du mockumentary des films comme La Bombe (Peter Watkins, 1965) ou le très controversé Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1979) qui a valu à son réalisateur, comme on aime souvent le rappeler, de devoir s’expliquer face à un tribunal pour prouver que les images atroces du film n’étaient pas réelles. Parce que la nature même du found-footage est de faire croire à des bandes vidéos qu’on aurait retrouvées, qui se seraient évaporées dans la nature, transmises de mains en mains jusqu’à arriver sur les écrans, la légende qui les entoure s’approche aussi très fortement de celle des fameux snuff movies. Ces films longtemps considérés comme des légendes urbaines, étaient et sont toujours un peu – aujourd’hui principalement via les tréfonds obscurs et dégueulasses d’internet – une source de fantasmes pour beaucoup de spectateurs. En outre, des films qu’on s’arrachaient ou se prêtaient en cachette, et qui montraient supposément des séquences atroces et réelles : meurtres, tortures, viols et j’en passe. Enfin, on doit davantage le terme de found-footage – qui signifie textuellement enregistrements trouvés – au cinéma expérimental et à l’un de ses courants qui consiste à récupérer des images et les décontextualiser, les recycler pour créer ainsi un nouvel objet filmique.

C’est surement toute cette histoire qui le précède, ce vivier fertile, qui permit au Projet Blair Witch d’éclore et d’exploser à la face du monde, une explosion d’autant plus forte qu’elle s’accompagna de celle de la révolution vidéo à laquelle le film est forcément raccroché. Car si les mockumentary ou snuff movies restaient des vidéos qui empruntaient les codes du cinéma, étaient censés être filmés comme des objets de cinéma, par des techniciens du cinéma, avec Le Projet Blair Witch c’est la vidéo amateur d’alors, qui infiltrait le système, le dupait, lui faisait croire à l’irréel. Lors de sa présentation au Festival de Cannes (?) le film fût diffusé sans générique de début ni de fin, tel quel, brut, si bien qu’une grande majorité des spectateurs – pourtant à même de ne pas se laisser duper par des images – sortirent troublés et effrayés par ce film d’un nouveau genre dont ils ne savaient pas dénouer le vrai du faux. Véritable coup de génie, le film fait toujours office aujourd’hui de référence du genre et donna lieu à des tas et des tas de petits rejetons. En effet, après l’explosion du Projet Blair Witch et son incroyable succès commercial – il a coûté 75.000 dollars pour en rapporter 250.000 – les producteurs ne se sont pas tout de suite jeté sur l’opportunité financière, sûrement conscients que le spectateur verrait le pot aux roses et ne se ferait pas duper deux fois de suite en un si petit laps de temps.

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Il fallut en fait attendre 2007 et la mise en production successive de trois films très importants pour le sous-genre : Redacted de Brian De Palma qui fait passer les images du film – tournées par lui-même – pour des images issues des enregistrements des G.I américains en mission en Irak, [REC] des espagnols Paco Plaza et Jaume Balaguero considéré toujours aujourd’hui comme l’autre grand film du genre et Chronique des morts-vivants de George A. Romero, dans lequel le master of horror utilise le sous-genre pour critiquer la place des images dans la société, alors en pleine mutation, à l’aube de Youtube et de la possibilité nouvelle de documenter facilement chaque seconde de sa vie. Si ces trois films précédemment nommés possèdent tous un certain intérêt relatif au genre mais aussi à leur qualité filmique – bien que le film de Romero est loin d’être très bon – c’est en fait dès 2008 que le sous-genre commencera vraiment à tourner en rond, étant utilisé sur le modèle du bon vieux cinéma d’exploitation, comme une opportunité à saisir pour produire des films à bas coût, qui rapportent gros. A partir de ce moment, l’industrie va s’aventurer à mélanger le found-footage avec d’autres genres – le film de monstres géants avec Cloverfield (Matt Reeves, 2008), le film de fantômes avec l’autre gros succès du genre : Paranormal Activity (Oren Peli, 2009), le film de possession diabolique avec Le Dernier Exorcisme (Daniel Stamm, 2010) ou Devil Inside (William Brent Bell,2012), le fantastique avec le norvégien The Troll Hunter (André Ovredal, 2010), la science fiction pour Apollo 18 (Gonzalo Lopez Gallego, 2011) et même le film de super-héros (Chronicle de Josh Trank, 2012) ou le film de dinosaures (The Dinosaur Project de Sid Bennet , 2012) – une pratique mercantile qui se vautra jusqu’à s’aventurer du côté des suites – les sagas Paranormal Activity et [REC] ayant le droit à presque un épisode tous les ans – et maintenant du remake.

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Avec Blair Witch (Adam Wingard, 2016) suite qui est aussi un remake, le genre atteint son point de non retour, son seuil de tolérance maximum pour les spectateurs. Preuve en est, le public, et ce partout dans le monde, ne répond plus présent. Est-ce si difficile d’expliquer que ce sous-genre finisse par s’évaporer aussi vite qu’il n’a implosé dans les années 2000 ? Récemment amené à parler de ce remake qui n’en est pas un – ou pas tout à fait – au micro du Masque et la Plume, l’éminent Michel Ciment qu’on ne présente plus, exprima peut-être assez précisément le mal qui touchait les productions de ce type aujourd’hui : «Ces films sont dans la recherche d’un hyper réalisme, mais ce qui est étonnant c’est que c’est cet hyper réalisme qui, précisément, nous rappelle tout le temps qu’on est au cinéma. C’est parce qu’on ne peut plus croire que c’est réel qu’on a plus peur. Cela fait cinéma à chaque seconde.» En effet, on ne peut plus croire que c’est réel, parce que l’on connaît tous les ressorts du tour de passe passe, il est épuisé, déjà-vu, et ce depuis, au moins, Le Projet Blair Witch. Les films n’intriguent plus, n’effraient plus parce qu’ils ne parviennent plus à questionner le spectateur sur la véracité ou non des images qu’il voit, perdant ainsi un trouble qui nourrissait pourtant considérablement l’effroi. C’est un peu comme si le concept lui-même avait été annihilé par son succès monstrueux, s’était dévoré lui-même ou tiré une balle dans le pied. Au contraire, par exemple, aujourd’hui encore, le snuff-movie préserve son mystère et fascine toujours autant : conservant sa légende, il a su rester confidentiel, insaisissable et énigmatique. C’est donc précisément le succès commercial du found-footage qui l’a entrainé irrémédiablement à sa fin, en plus, sûrement, du manque d’inventivité des films qui sont rares à avoir su tirer parti-pris de l’évolution des techniques et de notre mode de consommation des images.

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Face à cette réalité, le found-footage ne peut plus rien faire sinon essayer tant bien que mal d’en tirer une force nouvelle. Dans The Visit de M.Night Shyamalan (2015), dernier grand film du genre en date, le personnage principal est une adolescente qui souhaite réaliser un documentaire. Elle sait manier les outils, si bien que la réalisation des images n’est plus seulement une forme – on pourrait en soit, raconter l’histoire de Blair Witch sans avoir recours au found-footage – mais aussi un élément scénaristique indisociable à la dramaturgie du film. Il ne s’agit plus de faire vrai en filmant mal, la mise-en-scène de The Visit a beau être brouillonne et maladroite – comme celle d’un réalisateur en herbe – elle demeure mise-en-scène là où bons nombres des productions du genre se reposent sur l’absurde pari qu’une caméra qui bouge dans tous les sens, qui ne cadre pas bien ses personnages, ne fait pas correctement la mise-au-point, effacerait tout procès de mise-en-scène et nourrirait le trouble quant à la véritable nature des images. Ainsi, s’est-t-on retrouvé de nombreuses fois avec des films d’une grande absurdité qui faisaient filmer des journalistes – prenez par exemple [REC] (2007) – des documentaristes – Le Dernier Exorcisme (2010) – ou bien encore des étudiants en cinéma – Chronique des Morts-Vivants (2007) ou The Troll Hunter (2010) – exactement de la même façon que filmerait des enfants de cinq ans. Comment est-il possible aujourd’hui, à l’heure où tout un chacun a dans sa poche une caméra 4K avec un stabilisateur optique, de faire encore croire que la plus rocambolesque des histoires puisse être véridique, sur le simple pari que des images mal cadrées, qui bougent dans tous les sens, feront vraies ? C’est au contraire – comme le précise Michel Ciment – aujourd’hui en 2016, précisément cette idée qui fait cinéma. L’amateurisme des images n’a plus de définition parce que des longs-métrages se tournent désormais avec des smartphones, que les chaînes d’informations en continu diffusent des images dites amateurs et les montent au beau milieu d’autres images tournées par des professionnels de l’image, sans distinctions. Que le flot continu d’images auxquelles nous sommes abreuvés, nous a davantage éduqué à les faire, à les reproduire, à en manier les codes, plutôt qu’à les déchiffrer, les critiquer et les comprendre. Les frontières sont désormais poreuses, les réseaux sociaux ont aussi brouillé les pistes, le paraître et la maîtrise de l’image privée prédomine. Il faut que les studios en finissent avec le found-footage de gueule, qu’ils comprennent une bonne fois pour toute que, malheureusement pour eux, malheureusement pour nous, plus rien ne fait vrai, tout est mis en scène, tout fait cinéma.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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