[Carnet de bord] Grindhouse Paradise • Jours 1 & 2


Tremble ville rose ! Les portes de l’American Cosmograph se métamorphosent pour 4 jours en portail sur un univers parallèle aux couleurs cyberpunk, peuplé de spectateurs avides de découvrir le panorama mondial du cinéma de genre. Pour la cinquième année consécutive, le trio du Grindhouse Paradise nous a ramené le meilleur de ses visionnages et de ses voyages dans le monde fantastique du cinéma de genre.

Affiche du festival Grindhouse Paradise 2024 au dessus de l'entrée du cinéma American Cosmograph à Toulouse.

© Charlotte Viala

Jour 1 : Bloody Birds

Sur un plateau de télévision dans les années 70, une adolescente est assise dans une posture bizarre, comme si elle était possédée ; à côté d'elle, le présentateur et sa maman, attentifs ; scène du film Late night with the devil projeté au festival Grindhouse paradise 2024.

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Petit événement pour les cinéphiles du sud, l’ouverture du festival se fait toujours avec bruit et éclats de voix au milieu d’un public qui trépigne d’impatience. Cette année ne déroge visiblement pas à la règle à la vue de la queue aussi longue qu’un ver des sables. La foule de spectateurs, habitués ou néophytes, se masse devant le cinéma, s’extasiant sur les affiches ornant la façade ou montrant du doigt sur le programme leurs futurs visionnages. La salle, sans surprise, est pleine pour accueillir les responsables de cette frénésie collective, souriant aux applaudissements et aux holàs du public. Après un petit discours de remerciement en bonne et due forme, la machine infernale du festival se lance avec Late night with the devil (Colin et Cameron Cairnes, 2023), found footage télévisuel qui prend place sur le plateau de Night Owls, un talk-show des années 70 dont nous avions déjé parlé lors du PIFFF. Jack Delroy, animateur en fin de course va chercher à renouer avec le succès lors d’une émission spécial halloween ou il espère bien convoquer démons et consort afin de faire flamber l’audimat et des spectateurs qui n’en demandaient pas tant… Bien que n’étant pas coutumiers de ce genre d’émissions en France, la culture américaine nous a bien fait comprendre, notamment par le biais des séries, les codes et la place prépondérante qu’elles occupent dans les foyers américains, faisant de l’animateur vedette pratiquement un membre de la famille. Un animateur joué avec brio par David Dastmalchian que l’on a pu voir surtout dans des seconds rôles, notamment dans The Suicide Squad (James Gunn, 2021) ou plus récemment dans Le Croque-Mitaine (Rob Savage, 2023). On le retrouve enfin sur le devant de la scène, incarnant avec panache un présentateur toujours à la limite du cabotinage, à la fois chaleureux et distant, au sourire discret mais charmeur, au regard caméra toujours poignant et au costume impeccable. Il campe le leader d’une galerie de personnages rigoureusement écrits et personnifiant tous les clichés de la télé, allant du producteur véreux toujours un cigare entre les lèvres au bouc émissaire moustachu sympathique. Ce petit monde rassurant et immédiatement identifiable évolue dans le décor chaleureux d’un plateau télé des années 70, avec ses tons orange et ses jingles vieillots. Une bouffé de nostalgie se diffuse sur le long métrage, rendant immédiatement le tout sympathique et réconfortant, renforçant de surcroit le choc de l’intrusion de l’horreur dans ce milieu carton-pâte. Sous forme de documenteur, nous allons suivre toute l’émission en temps réel, coupures pub incluses – moments hors caméra perdant soudainement leurs couleurs, comme si la pub reflétait la fadeur de la réalité – dévoilant sous un doux filtre vintage ce que la télé a de plus putassier. Une fiction qui fait écho à une autre qui avait fait grand bruit à l’époque de sa diffusion, Ghostwatch (Lesley Manning, 1992), téléfilm tourné sur un vrai/faux plateau télé, ayant terrorisé les spectateurs de l’époque. Croyant réellement aux faits surnaturels exposés sous ses yeux, un adolescent était même allé jusqu’au suicide. Illustrant tout ce que la télé est capable de faire de plus abject pour l’audimat, les regards appuyés vers la caméra invitent le spectateur à la position de voyeur, s’enfonçant de plus en plus vers l’horreur mais incapable de détourner les yeux. Vous ne pensez pas que la caméra mente affirme Jack Delroy, sûr de son effet dramatique. La dernière partie, qui va bifurquer peu à peu vers l’horreur pure pour finir sur un climax cauchemardesque lui donnera tort.

Une femme tend la main devant elle, dans le vide un sourire à la fois heureux et dans l'appréhension, dans le film The cuckoo's curse diffusé au festival Grindhouse Paradise 2024.

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Changeons d’époque et d’ambiance avec The Cuckoo’s curse (Mar Targonara, 2023), une histoire de Airbnb ou l’échange ne va pas se limiter qu’aux maisons… Nous faisons la rencontre de Ana et Marc, un jeune couple qui aimerait se ressourcer avant l’arrivée imminente de leur premier enfant. Le choix d’Ana se porte immédiatement sur la maison de Hans et Olga, vieux couple d’allemands bon vivants et rigolards qui leur donnent les clés de leur demeure ultra moderne, au fin fond d’une forêt. Mais des changements soudain de personnalité vont mettre à mal un couple déjà fragilisé par un adultère et la personnalité trop infantile de Marc. C’est un film tout en ruptures, en oppositions qui va encore plus éloigner un couple au bord de la séparation. La maison de Hans et Olga, monstre vertical de froideur technologique s’oppose à l’appartement chaleureux et minimaliste de Ana et Marc. La montre high tech offerte – trop – chaleureusement par Hans à Marc, qui retrace ses moindres faits et gestes dénote avec les coucous au bois sombre et aux mécanismes simplistes. Un oiseau, que l’on retrouve dans la bande son et dans le titre illustre à lui tout seul tout le concept du film : il a en effet la particularité de pondre dans le nid d’autres oiseaux et de déléguer sa parentalité à une autre espèce. Difficile d’en dire plus sans spoiler, car la réalisatrice mène le spectateur dans une intrigue ou l’on a du mal à distinguer les hallucinations du réel, ou les vrais et faux masques cachent quelque chose d’horrible et où la sorcellerie se mélange habilement à des concepts plus futuristes. Installant lentement une ambiance pesante, l’inquiétude latente qui insuffle tout le film va soudainement virer au carnage dans un dernier acte survolté.

Jour 2 : Les quatre cavalières de l’Apocalypse

Réveillons-nous en douceur avec la projection du matin, Monolith (Matt Vesely, 2022) au son de la voix grave de l’actrice Lily Sullivan. Seule à l’écran pendant tout le long-métrage, elle incarne une journaliste isolée dans la maison de ses parents afin de travailler sur un projet de podcast. A la recherche de sensationnalisme, elle va enquêter sur de mystérieuses briques noires qui vont lier tous les personnages qu’elle va interviewer à sa propre histoire. Aussi sombre et droite que ces fameux monolithes, l’image nous enferme dans la solitude de la journaliste, ne parlant qu’à ses proches ou ses intervenants par appareils interposés. Le seul être vivant auquel elle est physiquement confrontée est la tortue de ses parents dont elle n’arrive même pas à s’occuper, soulignant plus que jamais son incapacité à interagir avec les êtres vivants. Plus le récit va avancer, plus son enquête va la retirer du monde, jusqu’à construire sa propre prison en recouvrant les fenêtres de ces notes et de ses photos, qui, plutôt que de l’éclairer sur la situation la plongent peu à peu dans le noir. Cette introspection plus qu’intime la confrontera à ce qu’elle est vraiment et c’est en cherchant la vérité chez les autres qu’elle finira par trouver la sienne propre. Ce rapport plus que malsain à l’information interroge aussi le spectateur, témoin des techniques racoleuses pour créer le buzz, ne sachant plus lui-même à qui se fier. A l’ère des fake news et des théories du complot, le réalisateur, dont c’est le premier effort, s’intéresse à la responsabilité du spectateur face à l’information. Où est la paranoïa ? Où est la vérité ? Ne donnant jamais véritablement toutes les réponses, il ouvre pourtant des portes sur de longs couloirs où la terreur, jamais frontale, se diffuse de façon insidieuse dans l’esprit du spectateur. A-t-il vu quelque chose ou non ? La seule chose concrète, ce monolithe noir, cristallise au contraire tout ce qui est impalpable, symbolisant, comme celui de 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) ce besoin irrationnel de tout comprendre.

Une femme très angoissée est au volant de son véhicule,sous un ciel gris, le combiné de téléphone portable, qu'elle tient à deux mains ; plan du film diffusé au Grindhouse Festival 2024 intitulé Property.

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Si les couleurs froides ont imprimé ma rétine autant à l’extérieur que dans la salle de cinéma en cette fraiche matinée, l’après-midi commence sous les tons brûlants et rougeoyants avec la diffusion de Property (Daniel Bandeira, 2022). Apprenant subitement la vente de la ferme sur laquelle ils travaillent, un petit groupe d’ouvriers révoltés commettent l’irréparable en agressant le propriétaire des lieux, Roberto. Sa femme, Teresa, réussi à s’enfuir pour s’enfermer dans leur voiture blindée. Va alors commencer un jeu sournois du chat et de la souris durant lequel propriétaire et ouvriers vont essayer de sauver leur peau, chacun à leur manière. Véritable brûlot, ce drame social illustre un contexte politique difficile au Brésil, où la propriété terrienne contribue à creuser des inégalités de plus en plus conséquentes entre employés et patronat. Cette injustice grandissante rejaillit dans un long-métrage filmé sans fard, suintant la chaleur lourde et poisseuse des paysages arides, la caméra fixée sur des visages burinés et abimés par le travail rappelant ceux de Bacurau (Kleber Mendonça Filho, Juliano Dornelles, 2019). Chaque trait, chaque cicatrice est le reflet d’un drame personnel, qu’il appartienne aux ouvriers entrainés dans une escalade de la violence malgré eux ou à Teresa, fragilisée par un évènement qui l’a rendue complètement paranoïaque. Lorsqu’il s’agit de traumatismes et de souffrance, la condition sociale n’a plus lieu d’être, évitant le manichéisme que l’on aurait pu craindre avec ce genre de sujet. Chacun paye le prix de la chair des deux côtés, dans une montée de la violence crasse jamais salvatrice : les négociations vont se transformer en coups, l’humanité vire à la bestialité. Dans un dernier acte où tout semble perdu, c’est pourtant dans les yeux d’un animal que l’on verra transparaitre de l’émotion (celui du chien de la famille dessiné par la fille du couple de propriétaires). Ce même chien livré à lui-même au début du long-métrage, éclairant Teresa sur une irresponsabilité qu’elle n’avait probablement pas décelée jusque-là. Etant donné la fin abrupte et pétrifiante du récit, impossible de savoir s’il est trop tard pour la paix et les remords.

Après cette conclusion glaçante, j’espérais peut-être un sujet plus léger pour continuer la journée. Peine perdue avec Birth/Rebirth (Laura Moss, 2023) qui revisite le mythe de Frankenstein par le biais de la maternité, avec deux personnages féminins radicalement différents. L’une, Celie, tente de conjuguer son travail de sage-femme avec l’éduction de sa fille, Lila, qu’elle élève seule mais avec tout l’amour possible. L’autre, Rose, est tellement vampirisée par ses recherches sur la régénération des tissus qu’elle a abandonné toute vie sociale. Le destin des jeunes femmes va se sceller après la mort de Lila dans une cohabitation atypique, chacune jouant à sa façon son rôle de mère. Au-delà du mythe de Frankenstein mille fois revu, la réalisatrice nous invite surtout à suivre deux destins de femmes qui, même si elles ne voient pas la parentalité de la même façon, vont tenter de vivre ensemble dans une simili vie de couple dans laquelle elles apprennent l’une de l’autre. L’alchimie entre les deux actrices soutient solidement tout un film où il n’est pas réellement question de vie ou de mort mais plutôt de la joie mêlée de sacrifices qui accompagne la maternité. Celie, femme au cœur tendre et à l’empathie manifeste, n’hésitera pas à commettre l’irréparable pour la vie de sa fille, allant jusqu’à renier sa propre humanité. Rose, personnage à la rationalité effrayante, martyrisera jusqu’à l’extrême son propre corps pour maintenir Lila en vie, offrant quelques plans de body horror  bien conçus. Au fond, cette souffrance physique et morale pourrait bien représenter les deux facettes d’une seule et même mère et refléter toute la difficulté de la parentalité.

Le visage d'une jeune femme dépasse d'une longue porte en bois, comme si elle était quelque chose avec discrétion ; scène du film Raging Grace.

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Terminons cette seconde journée en compagnie du réalisateur du dernier film de la soirée, Raging Grace (Paris Zarcilla, 2023) dont le titre illustre à lui seul toutes les aspirations personnelles du cinéaste. Joy, une immigrée philippine, travaille comme femme de ménage chez des familles anglaises afin d’économiser suffisamment pour obtenir un VISA sur le marché noir pour elle et sa fille Grace. Lorsqu’une riche héritière lui propose de veiller sur les derniers jours de son oncle malade dans un manoir isolé en échange d’une belle somme d’argent, Joy ne voit pas que l’occasion est trop belle pour être vraie… Enfant issu du multiculturalisme, Paris Zarcilla infuse des sonorités philippines à travers des musiques traditionnelles ponctuées de percussions, bande son étonnante pour des intérieurs gothiques dignes des films de la Hammer. Pourtant, ce mélange fonctionne dans la forme pour être au service du fond et créer un décalage toujours vertigineux entre Joy et le reste du monde. Cet entre-deux, ce fil qui relie ces deux mondes radicalement différents est incarné par sa fille Grace, enfant invisible au propre comme au figuré qui cherche à trouver sa place dans ce monde, entre tradition et modernité, entre rébellion et soumission. Ce n’est pas pour rien qu’elle compose le titre du film, le cinéaste ayant cristallisé toutes ses frustrations à travers ce personnage. Une frustration renforcée pendant la période du COVID, où les agressions envers les étrangers ont redoublé… Raging Grace a été pour lui un bon moyen d’exprimer sa colère et de mettre en avant le personnage de Joy, double fictionnelle de sa mère, aide-soignante qui avait pour devoir de sauver les gens pendant la pandémie. Une obligation que va aussi tenir Joy envers le vieil oncle qu’elle va s’acharner à soigner, à ses risques et périls… Par le biais des codes horrifiques et du thriller, ce long-métrage nous invite à réfléchir sur les relations complexes qui peuvent lier l’hôte de la maison et la personne qui s’occupe de lui, la frontière entre l’affection sincère et la possession étant parfois très fine. A la fois personnel et politique, ce premier film aura permis à Paris Zarcilla de déverser sereinement une colère que le public du festival n’est pas prêt d’oublier.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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