[Carnet de bord] Extrême Cinéma • Jours 3 & 4


On continue de vous narrer nos pérégrinations du côté de l’Extrême Cinéma que nous propose la Cinémathèque de Toulouse avec ce compte-rendu des Jours 3 et 4. 

Christophe Bier en intervention lie micro à la main dans la salle de la Cinémathèque de Toulouse pour le festival Extrême cinéma.

Christophe Bier © Charlotte Viala

Jour 3 • Mitraillette Mocky

tous flics mocky

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Pas de repos pour les Extrêmes ! Me voici fraiche et dispo dimanche à 14h du matin pour assister à la séance Tous flics ! (Jean-Pierre Mocky, 2022), dernière réalisation du cinéaste et deuxième film de la carte blanche de Christophe Bier. Assez peu diffusé lors de sa sortie, on ressent les derniers soubresauts d’un cinéaste engagé qui a tourné rapidement -10 jours- pour terminer le montage à l’hôpital. En ressort un objet irrévérencieux, pas toujours subtil mais qui casse la gueule à toutes les institutions et tous les milieux : face à la recrudescence de la violence, le gouvernement met en place une loi afin de recruter des auxiliaires de police chargés de veiller au maintien de l’ordre. Et que se passe t-il lorsque l’on met des armes dans les mains de citoyens ordinaires ? Des situations extraordinairement loufoques et monstrueuses. Réalisateur toujours prompt à critiquer l’actualité, son assistant pendant de nombreuses années Christophe Bier, nous révèle le secret de son inspiration : quel que soit le lieu où il se trouvait, 16h marquait le moment de son traditionnel verre dans le bistro le plus proche afin d’écouter les conversations des habitués et de coller au mieux à la frustration des gens qu’il recrachait dans ses films. D’où un dernier long métrage qui constitue un patchwork de toutes les préoccupations récentes et dieu sait qu’elles sont nombreuses ! Nous avons pêle-mêle l’insécurité, les violences policières, la justice privée, la pédophilie, les politiciens corrompus, les gilets jaunes, le terrorisme et le chômage… Le réalisateur pousse les curseurs jusque dans l’absurde, toujours à la limite de la grossièreté, avec des personnages caricaturaux au jeu grotesque et pourtant tellement reconnaissables dans notre réalité. Une réalité bien sombre vue à travers les yeux de Mocky qui n’épargne absolument personne, à part ces Gilets Jaunes qu’il repeint en rose, probablement pour ajouter un peu de poésie à ce monde de brutes. Son ton est parfois moralisateur, voire « vieux con » mais le message, à l’image du long-métrage, bien que naïf et inculqué de façon vulgaire, est sincère. La bonté doit faire partie de l’être humain, quitte à se la mettre de force directement dans le cul…

Après le dernier galop d’un vieux cheval de course, ouvrons les yeux devant des propositions aussi nouvelles que leurs réalisateurs. Extrême Cinéma a offert son écran à des courts métrages autoproduits, sans d’autres critères de sélection que l’œuvre ne doit pas dépasser 10 minutes et que son créateur doit être présent dans la salle pour en parler. Premiers films arrivés, premiers films programmés et on stoppe tout au bout d’1h de projection. À l’issue de chaque court-métrage, le public avait le droit de poser des questions au réalisateur, tout en restant bien sûr dans le respect de l’autre. Une belle occasion de montrer sa création en direct et les propositions n’ont pas manqué, la grille des programmes étant complète au bout d’une journée. C’est donc forcément tout un tas de courts à durée et qualité variables qui sont parvenus jusqu’aux yeux des spectateurs. Certains se sont voulus parodiques, comme Croute que croute (Collectif Sylvie) qui suit les aventures d’un ninja venu percer les secrets du fromage, ou Madame (Bertrand Cazor) qui revisite Faites entrer l’accusé à la sauce fantastique sans oublier El venderora et sa caricature mexicaine sauce Rodriguez du vendeur de roses à la sauvette qu’on a déjà tous forcément gentiment envoyé bouler dans les bars. D’autres ont exploré la psychologie humaine, comme Syndrome (Gaspard Van Veggel) qui suit un dépressif dans son quotidien ou Mon cœur (Charles Axel Bivort) qui illustre littéralement un cœur qui lâche. Parfois l’absurde est venu se glisser dans la programmation avec Croustille (Simon Magimel) et son humain incarnant un chien ou Clementine (Fabien Carlo) qui raconte un retour de courses assez… Ubuesque. D’autres fois, l’image a primé sur l’histoire, comme dans Luz (Lilas Descotte) conte fusionnant avec une réussite surprenante Gaspar Noé et Midsommar (Ari Aster, 2019) ou Hylyle (Matthieu Chinchole) relecture cronenbergienne d’une histoire d’amour entre un homme et une femme. Parmi cette sélection, un seul film d’animation, Melting point (Mathieu Desjardins) qui m’a littéralement scotchée à mon siège. Symbolisant la décadence de l’humanité, des images psychédéliques atroces s’enchainent à une vitesse folle, colorant la rétine du spectateur d’un rouge et noir abyssal. Principalement jeunes et sortant d’écoles d’art ou de cinéma, les réalisateurs se sont prêtés au jeu des questions, parfois intimidés, parfois enthousiastes mais toujours fiers de leur travail.

Charles Bronson surveillle une femme et une jeune fille dans une décapotable, habillé en gangster des années 20, portant une vielle mitraillette dans le film Mitraillette Kelly projeté à l’Extrême cinéma de Toulouse.

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Un festival tel que celui-là ne serait rien sans ses classiques. Je n’ai pas pu résister à l’envie de voir Mitraillette Kelly (Roger Corman, 1958) sur grand écran, ou notre roi du petit budget s’attaque au film de gangsters avec un Charles Bronson éclatant de virilité crasse. Reprenant les codes classiques du genre, avec ses hommes machos et violents accompagnés de femmes fatales manipulatrices, Corman se permet quand même quelques digressions en complexifiant le personnage du fameux Mitraillette Kelly, inspiré d’un malfrat ayant réellement sévi pendant la Grande Dépression. Derrière ce surnom qui semble plutôt valorisant se cache un homme uniquement personnifié par sa mitraillette sans laquelle il ne serait rien. En effet, sous sa couche d’insultes ordurières et derrière son rire tonitruant perce parfois l’homme peureux et superstitieux qui fera capoter un gros hold up. Pour retrouver la lumière et récupérer sa fierté, il finira par organiser un kidnapping censé lui rapporter gros. La figure sexy du gangster n’aura jamais été autant souillée que sous la caméra du réalisateur. George R Kelly passe du mythe à l’homme, écrasé par les nombreuses figures féminines qu’il n’arrive à maitriser qu’à coups de gnons, ne tenant ses hommes en respect que grâce à sa mitraillette et ne parvenant à effrayer les fauves que si ces derniers sont en cage. Charles Bronson campe avec brio ce personnage détestable, rempli par une couardise misérable mais sculpté dans une arrogance agressive.

Jour 4 • Born to be Wild

Peter Fonda sur sa moto, devant une petite maison américaine, sous le regard de Roger Corman qui lui donne des intentions jeu (photo en noir et blanc).

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Quittons un Corman pour en retrouver un autre. Après le monde impitoyable en noir et blanc des gangsters qui dessoudent leurs ennemis à coups de flingues, arpentons les paysages rougeoyants et sauvages des États-Unis sur le cuir brûlant des motos des Hell’s Angels dans Les Anges sauvages (Roger Corman, 1966). Deux univers différents mais avec le même désir de déconstruction d’un personnage arrogant et masculin en diable, celui de Blues, joué par un Peter Fonda au magnétisme rebelle. Avant Easy Rider (Denis Hopper, 1969) qui lança la mode des films de bikers, Corman avait pressenti la fin d’une époque marquée par les idéaux hippies qui prônaient la paix et l’amour. Ni paix, ni amour dans ce long-métrage mais seulement une si grande pulsion de vie qu’elle en fait oublier que la mort existe, même pour les gens jeunes et beaux. C’est une leçon que va apprendre le chef de cette meute de motards, Blues, suite au décès brutal de Loser, parti récupérer sa monture d’acier avant de se faire tuer par des policiers. Prenant soudainement conscience qu’il n’est pas le roi du monde mais seulement le petit chef d’une bande de voyous aux surnoms puérils, il va remettre en question cet esprit de bande pour finir seul face à la douloureuse réalité de la mort. Débutant sur de longs travelling cadrant une jeunesse dévergondée tout juste sortie de l’enfance sans pour autant être adulte, Les Anges Sauvages va peu à peu abandonner les superbes paysages désertiques pour se resserrer dans la noirceur claustrophobe de la ville. L’ombre sinistre de la guerre du Vietnam plane insidieusement pendant tout le film, étouffant une jeunesse désœuvrée qui prône une liberté sans borne pour dissimuler sa peur raisonnée du futur. Si le discours de Blues à l’enterrement de son ami est resté dans les mémoires, la fête qui s’ensuit à côté du cadavre est à la limite du supportable, mêlant alcool, drogue, bagarres et viol dans un dernier cri de rage désespéré. Et le récit de finir sur un nihilisme des plus sombres.

Un vendeur de literie enrobé est entre deux clients, vus de dos ; seul le vendeur est vraiment éclairé par une lumière blafarde tandis que le reste du magasin semble quasiment éteint ; plan issu du film La mesita del comedor projeté au festival Extrême cinéma de Toulouse.

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Ce n’est pas avec le prochain film que nous allons retrouver espoir en l’humanité. C’est l’heure de la carte blanche assurée par nos jeunes rebelles – mais sans les motos – du festival Grindhouse Paradise, frère de genre d’Extrême Cinéma qui préfère dénicher des nouveautés plutôt que de dépoussiérer de vielles péloches. Avant d’inaugurer leur prochain festival qui se tiendra du 25 au 28 avril 2024 à Toulouse, ils passent faire un petit coucou à la famille avec un cadeau bien particulier entre les mains : une table basse. La mesita del comedor (Caye Casas, 2023) se situe entre le drame domestique et la comédie noire où un jeune couple pourvu récemment d’un troisième membre tant attendu va se déchirer suite à l’achat d’une table basse. Déterrant de vieilles rancunes et exposant au grand jour un quotidien difficile, cet objet d’un commun à toute épreuve va cristallier la colère et la lâcheté du père de famille, Jésus, qui a du mal à communiquer avec sa femme, Maria. Noms qui ne sont évidemment pas choisis au hasard dans une Espagne toujours fervemment catholique, mais qui servent avant tout à déterminer les rôles des personnages. Jésus le martyr et Maria la mère devront faire face à leur nouveau statut de parents dans une douleur et une violence inouïe. Difficile d’en dévoiler plus sans spoiler l’intrigue de ce film d’un inconfort permanent et absolu, où l’on passe du rire à l’effroi avant de sourire nerveusement à l’écoute de dialogues remarquablement bien écrits. L’action se déroulant pratiquement en huis clos, l’appartement du couple va autant étouffer le spectateur que Jésus, toujours à la limite de la folie monstrueuse tout en étant douloureusement humain. Une chose est sure, jamais une table basse ne vous aura provoqué autant d’émotions différentes.


A propos de Charlotte Viala

Vraisemblablement fille cachée de la famille Sawyer, son appétence se tourne plutôt vers le slasher, les comédies musicales et les films d’animation que sur les touristes égarés, même si elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter. Entre deux romans de Stephen King, elle sort parfois rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer à la vie culturelle Toulousaine. A ses risques et périls… Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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