Le Chat et le Canari


Vous aimez les gialli, les whodunit, les films poussiéreux de la Hammer, voire même les trois à la fois ? Ça tombe bien, Rimini Editions nous offre une version restaurée du film Le Chat et le canari (Radley Metzger, 1978), encore une curiosité du cinéma bis tombée dans l’oubli… Mauvais timing ?

L'acteur Michael Callan un genou à terre près d'un corps gisant au sol; recouvert d'un drap blanc, dans ce qui semble être un salon en déménagement (les meubles sont aussi recouverts d'un drap blanc) ; scène du film Le chat et le canari.

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Une proie facile

Suite aux adaptations à succès des romans d’Agatha Christie, le producteur Richard Gordon – connu pour ses séries B obscures du type Curse of the voodoo (Lindsay Shonteff, 1965) ou du plus célèbre Inseminoid (Norman J. Warren, 1982) – décide de surfer sur la vague en produisant l’adaptation d’une pièce de théâtre s’inscrivant parfaitement dans le genre, Le Chat et le Canari (John Willard, 1921). Il se tourne alors vers Radley Metzger, un ami de longue date, spécialiste du film érotique et plus particulièrement du “Porno Chic”, à qui il confie la réalisation mais aussi le scénario. C’est la 4ème adaptation cinématographique de la pièce, alors Radley n’hésite pas à modifier plusieurs séquences pour un traitement plus moderne, mais conserve tout de même le synopsis original : Cyrus West, un milliardaire excentrique décédé vingt ans plus tôt, ordonne avant de rendre l’âme que la lecture de son testament soit faite à un moment précis, dans son château, avec six cousins et cousines dont un seul repartira avec l’héritage. Mais parallèlement, un fou s’évade d’un asile proche et hante les lieux, tuant un à un les fameux héritiers.

Olivia Hussey allongée sur le dos dans un lit, en chemise de nuit ; elle dirige un regard interrogateur vers sa gauche, hors-champ ; plan du film Le chat et le canari.

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Radley Metzger a la volonté de toucher un public hermétique au film d’horreur. Ici pas d’effusion de sang, ni de monstres, mais plutôt du mystère à la sauce whodunit. En revanche, budget réduit, tout est à l’économie. Et cela se répercute forcément sur le casting. Exit Sean Connery ou Bette Davis dans la veine des adaptations du genre, ici les rôles sont distribués à des acteurs moins en vogue, mais pas pour autant sans talent. On y retrouve Olivia Hussey, célèbre pour son rôle dans Roméo et Juliette (Franco Zeffirelli, 1968), Honor Blackman, la James Bond girl de Goldfinger (Guy Hamilton, 1964) et même le mythique Wilfrid Hyde-White. Mais Radley Metzger veut s’éloigner des codes des whodunit habituels et cherche à démarquer son film. Il donne alors le ton dès la scène d’ouverture, grandement influencée par le style du maître transalpin Dario Argento. La caméra subjective, les murmures, tout concorde à l’influence du Giallo. Puis c’est la bascule, le film prend des allures gothiques, le tonnerre gronde, les personnages énigmatiques rôdent et l’atmosphère dans la maison relève du fantastique. On ne peut s’empêcher d’y voir des références comme Les Trois visages de la peur (Mario Bava, 1963) ou encore le fantôme de l’opéra pour son tueur énigmatique, terré dans les bas-fonds de la demeure. Et pour couronner le tout, Radley n’hésite pas à rajouter une bonne dose d’humour, donnant naissance à des dialogues et quelques situations assez improbables à la Monty Python. On assiste alors à quelque chose de déroutant, sorte de film aux multiples influences piochées ça et là dans les grands noms du cinéma.

Mais le cinéaste ne se cantonne pas à copier ses homologues et en a déjà fait déjà la preuve en tant que réalisateur dans le milieu érotique. Renommé et reconnu dans le genre, il se démarque de ses pairs par sa mise en scène léchée (sans mauvais jeu de mot), le travail approfondi de ses personnages et porte un soin rigoureux à sa photographie. Oui, les films de monsieur sont tout de même ajoutés à la collection permanente du Musée d’art moderne de New York ! Et cela se ressent tout de suite, Le Chat et le canari (Radley Metzger, 1978) est superbement mis en lumière par Alex Thomson – à qui l’on doit à titre exhaustif Excalibur (John Boorman, 1981), ou encore Alien 3 (David Fincher, 1991) – et les décors sont sublimés par l’utilisation de grands angles et d’axes de caméra en totale adéquation avec l’aspect inquiétant du château. La demeure en devient presque un personnage à part entière, avec ce cercueil à l’allure d’un cœur qui bat sous l’influence d’une machine et ses passages secrets reliant tous les recoins du château. Il est d’autant plus intéressant que cette personnification – analogie du défunt Mr West – réponde directement avec le propos du film. En effet, les passages secrets menant dans les chambres renvoient à l’image des parties inexplorées de l’esprit des personnages, permettant au tueur de s’immiscer dans leur intimité et de révéler par la peur leur véritable nature. Par ce biais, le film se hisse au-delà du divertissement ; il dissimule une critique d’un monde pourri jusqu’à la moelle, où chacun triche, manipule son prochain pour arriver à ses fins, prêt à risquer sa vie par avidité. Propos d’ailleurs annoncé dès le départ par cette phrase de Mr West : “ Now first of all, let me tell you that you’re all a bunch of bastards ”, sorte de caractérisation fataliste des protagonistes, n’hésitant pas à s’adonner à la consanguinité pour conserver la richesse familiale. On regrettera cependant un reveal plutôt simpliste, annihilant les promesses d’un scénario excitant. Mais pardonnons-lui ces quelques défauts, tant le film regorge de bonnes idées visuelles. Notamment avec la séquence du cinématographe – absente de la pièce de théâtre originale, où Radley Metzger s’amuse de ses protagonistes interagissant à leur insu avec l’image du défunt Mr West projeté sur grand écran, donnant l’illusion de sa présence parmi les convives à l’aide d’une ingénieuse chorégraphie. On assiste alors à une véritable mise en abîme, un témoignage d’amour au cinéma, imprimant la rétine comme on imprime l’image sur une pellicule à l’épreuve du temps.

Blu-Ray du film Le chat et le canari proposé par Rimini Editions.Oscillant entre les styles, sa réalisation semble patauger sans réel parti pris. On comprend rapidement pourquoi sa sortie en salle a fortement déplu au jeune public, tant certaines scènes font référence aux films d’épouvante d’une époque révolue. Et pour enfoncer le clou et malgré une bonne critique en festival, le film souffre d’une sortie en salle tardive suite à un différend avec son distributeur. Le Chat et le Canari sort enfin en 1981, mais trop tard, l’arrivée d’un nouveau genre fait déjà l’unanimité. Halloween (John Carpenter, 1978), Terreur sur la ligne (Fred Walton, 1979), Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980), Prom Night (Paul Lynch, 1980) et des dizaines d’autres films s’inscrivent dans cette nouvelle mouvance du Slasher et le public en devient friand. Comme coupé dans son envol, le canari sort de sa cage et les chats affamés n’en font qu’une bouchée. Heureusement, le film cartonne en Italie, certainement grâce à son titre s’instaurant dans les jalons du Giallo italien. Le scénario pourrait pourtant s’inscrire dans la veine des slasher – tuant tour à tour ses personnages comme le veut la tradition, mais Radley Metzger semble être tiraillé entre l’exercice d’un style nouveau et ses références dont il peine à se détacher. On pourrait qualifier Le Chat et le canari (Radley Metzger, 1978) de film hybride et transitoire, dont on se réjouit d’y voir sous notre œil aguerri et avec le recul nécessaire, une œuvre singulière pleine de nostalgie. Avec ce coffret combo DVD / Blu-Ray, Rimini Editions nous offre une belle mastérisation HD. On notera le nettoyage soigné de la pellicule 35mm, conservant la finesse du grain original sur la quasi-totalité du métrage. Seul regret, l’absence de bonus, hormis la présence d’un livret regorgeant d’anecdotes de son producteur, tant sur la conception du film que sur sa réalisation. Une petite perle des années 70 à (re)découvrir qu’on ne saurait que trop vous conseiller.


A propos de Jean Stefanelli

Élevé dans une maison où l'on déguste des têtes de veaux sauce gribiche au doux son des bols tibétains, Jean a réussi à trouver son équilibre en matant 10 fois par semaine l'intégrale des contes de la crypte. Ses cheveux d'immigré italien se dressèrent sur sa tête le jour où il découvrit l'Enfer des Zombies de Fulci et c'est pourquoi aucune nouvelle histoire ne lui vient sans qu'il n'écoute Fabio Frizzi. Féru d'écriture et d'univers onirico-horrifiques, il réalise des films et emmerde son chef-op pour qu'il lui fasse une séquence à la De Palma dans Pulsions, mais bon, n'est pas Brian qui veut... Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riEIs

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