Une fois n’est pas coutume, on se jette à nouveau dans la sélection du festival Court-Métrange de Rennes, un de nos trop rares évènements uniquement dédiés aux courts-métrages de genre(s). Mais cette fois-ci, c’est pour la nouveauté de cette année : le partenariat du festival avec la plateforme de screaming Shadowz, qui diffuse en ligne la sélection du 26 septembre au 8 octobre. Fais Pas Genre livre son carnet de bord de cette plongée qui s’annonce aussi mouvante que belle.
Jour 1 • Comme un poisson dans l’eau
C’est l’eau qui marraine la 19ème édition du festival Court-métrange de Rennes. Comme un hommage au fleuve de la Vilaine, flux sanguin de la ville à l’intitulé paradoxal puisqu’il donne toute sa beauté aux canaux rennais. Nous n’aurons pas l’occasion d’observer nos reflets dans son cours, après une énième projection bouleversante appelant à l’isolement, nous contentant, non moins troublés et empreints de mysticisme, de nos tasses de thé. Ou pire celui de nos écrans après un visionnage, vous savez, ce moment où vous voyez votre bouille apparaître comme un screamer à l’écran après le noir final… Eh oui car c’est bien la version en ligne du festival, diffusée sur la plateforme Shadowz, que nous vous retranscrirons cette année. L’eau donc. Un beau thème dont on aurait aimé voir plus, tant il est riche, malléable et associable aux cinémas de genres. De la brume brouillante aux immenses océans, l’eau est un élément primaire, mystique, ayant une place singulière et souvent centrale dans toutes les cultures de notre petit monde, et peut-être d’autres. Nous étions donc impatients de voir comment la sélection du Court-Métrange se saisirait d’un tel thème. L’eau au cinéma, ce n’est en effet pas nouveau mais elle n’a jamais été anodine : des Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) à Abyss (James Cameron, 1989) de La Forme de l’Eau (Guillermo Del Toro, 2017) à L’Odyssée de Pi (Ang Lee, 2012) ou encore de L’Étrange créature du Lac Noir (Jack Arnold, 1954) au Chant du Loup (Antonin Baudry, 2019), les références affluent par courants opposés en un malstrom de possibilités. C’est donc l’esprit rêveur que nous apprêtions à aborder ce merveilleux festival qui comme notre cher webzine se consacre à donner voix, mais surtout corps mouvant, à toute cette tranche parallèle du cinéma parallèle. Ce “chelou” qu’on minimise au lieu d’admirer, qu’on réduit à ce qu’il paraît être plutôt qu’à ce qu’il donne avec tant de cœur, d’intelligence et de générosité. Quatre court-métrages ont donc incarné ce chaperonnage aquatique. À l’image de ce thème changeant, ces œuvres étaient de diverses natures, de genres et de structures hétérogènes. Animations fantastiques et prise de vues un peu trop réelles, ces courts à la longueur et la qualité inégale, avaient de quoi nous embarquer dans la belle aventure du festival. Allez, on s’y plonge.
L’incommensurable, mystérieux et inaccessible. Middlewatch de John Stevenson et Aiesha Penwarden, est un splendide court d’animation fait d’angles abruptes, qui capture avec brio et cadence notre rapport à l’immensité, autant dans la fascination que nous pouvons lui porter que dans sa capacité à nous faire relativiser sur notre passé, posant un baume sur notre présent. L’histoire de ce marin isolé, à la fois trop loin de chez lui et trop proche de sa dernière bataille, nous engloutit rapidement par la maîtrise technique et narrative déployée en quelques minutes. Loin de nous noyer, ce petit récit simple mais puissant nous dote des branchies nécessaires pour survivre aux affres des profondeurs de l’existence que le festival nous prépare.
La vengeance irrépressible, insubmersible. Tamuanu de Taratoa Stappard nous ramène en 1929 en Nouvelle-Zélande, terre spoliée dans le sang par les Britanniques. Dans un Downtown Abbey sauce revenge movie maori, encore un peu frais dans sa réalisation, ce court-métrage taille le portrait de colons sacrilèges, aristocrates vieillissants et autocentrés, festoyant sur les restes de la culture locale qu’ils ont détruite et aseptisée pour se rassurer sur leur domination. Malgré son aplat technique global et sa trame assez entendue, Tamuanu nous offre de belles performances, notamment celle de son comédien principal, un serviteur d’origine maori, toujours entre deux eaux. Mais c’est surtout l’utilisation du patrimoine maori au service du genre, comme du devoir de mémoire, qui surprend par son efficacité. On se laisse à rêver d’un courant d’horreur néo-zélandais, emprunt de cet engagement social assumé qui unit les productions actuelles du genre.
Dernière phase, paix et suite. Là où on s’écoule de Léa Clerc, notre représentante frenchie de cette ouverture. Belle et rafraîchissante bruine de douceur et de poésie dans ce monde d’embruns, le court reprend une convention assez fondamentale mais non moins ardue de l’animation et du genre, celle de la métamorphose. Pas d’horrible murène mutante mangeuse de marins paniqués ici, mais seulement une vieille femme, vivant ses derniers instants avec sa fille qui prend soin d’elle. Un dernier instant capturé avec tellement de délicatesse qu’on en vient à l’envier, à vouloir vivre dans cet univers de lignes mouvantes où l’arrachement devient passage et la vie garde son cours, éternellement.
Déchirante instabilité des ondes qui nous dominent. Simon de Ben Conway et Peter J. Mc Carthy offre une clôture saisissante au thème aquatique, en nous ramenant brutalement sur terre par plusieurs habiles et poignants plan-séquences. L’histoire terrible d’un homme enlevé à sa belle grasse matinée de bord de mer par l’appel de son frère, en dangereuse crise psychotique. Reprenant à l’essentiel les codes posés par des films comme The Guilty de Gustav Moller (2018), le court récit profite à fond du peu dont il dispose : un comédien, un décor, une voix. Le contraste entre ce joli bord de mer irlandais dont le calme nous emprisonne, nous sidère peu à peu, à mesure que la voix fracassée par l’émotion et la mauvaise réception du téléphone en continu se fait de plus en plus vibrante. Mais surtout, surtout, la superbe prestation d’Aaron Monaghan qui nous fait accepter et vivre le concept uniquement par les subtilités de son jeu. Très fort.
Jour 2 • La Croisière s’anime
Nous venions à peine de tremper nos pieds dans cette première marée de courts, histoire de jauger la température, que déjà fonçaient sur nous les vagues suivantes, aux reflets troubles et agités. La séance Animation n’a pas dérogé à la règle, si ce n’est à la tendance des courts-métrages d’animation remarqués des dernières années, tendant à privilégier l’approche thématique à la narration classique. Aujourd’hui, c’est la direction artistique qui règne sur l’animation. On raconte, on exprime une idée, par l’univers, par le character design et par un enchaînement de saynètes symboliques, plus que par le récit d’un personnage et sa suite logique de péripéties (voir les courts de Steve Cutts). Une déconstruction narrative qui permet une liberté extrême, autant dans l’esthétique choisie que dans la structure des œuvres. Finie l’imitation du réel, le mini-film, ou le court-pour-le-long en animation. L’heure est au clip, à la toile animée, à l’objet d’art complet et terminé, où les artistes profitent du format pour se défouler et exposer leur talent débridé. Un pas vers l’abstrait, au moins sur le plan dramaturgique, sûrement représentatif de la perte de sens actuelle. La compétition de cette année ne fait pas défaut à cette tendance…
… Et Amok de Balázs Turai, sûrement le plus fou de tous, la confirme d’emblée. Quand on vous dit fou, c’est complètement malade. Rares sont les expériences visuelles qui vous donnent autant l’impression d’avoir consommé une drogue à votre insu ou d’être projeté au plus profond d’un rêve fiévreux de coma prolongé. Des images dérangeantes, qui dégoulinent et débordent les unes sur les autres, dont l’agitation effrénée et l’agressive fluorescence nous amènent au bord du trip hallucinatoire complet. Au bord seulement, car Amok nous parle par toute cette profusion d’un trauma, ici celui de la violence conjugale. De ses terribles résurgences dans nos vies et de notre incapacité désarmante à nous en débarrasser. Un thème sombre, grave, incarné par une ambiance sonore pesante, grinçante, que l’animation semble vouloir fuir par sa totale excentricité. L’association fond et forme en tour de force.
Plus simple ensuite, le petit bonbon de stop motion Chick Wash de Bethany de Forest. Avec son ouverture rock’n’roll, son tout plein de poussins-plumeaux installés sur un parking en carton-pâte et ses clairs obscurs de lampe de chevet, on se croirait dans un clip grunge des années 90-2000, type Gondry ou Radiohead. C’est pas ça, mais pas loin ! Dans un message simple, drôle et touchant, le court détourne les visuels terribles de l’élevage industriel, continuellement dénoncé sur nos écrans depuis le début du millénaire, pour nous présenter un sympathique lavomatic à poussin. Et si on en prenait soin au lieu d’en faire des nuggets ? C’est dangereusement mignon, tellement doux et c’est techniquement impeccable. La réalisatrice (oui, singulier, elle a tout fait toute seule sauf la musique) ajoute toujours à chaque plan son petit plus visuel. Comme ses poussins, le court ne vole pas beaucoup plus haut que son exercice, mais il séduit instantanément et nous embarque volontiers dans sa petite usine de bonheur.
Toujours dans cette critique anticapitaliste, en plus bavard cette fois, Amanece La Noche Mas Larga de Lorena Ares Lago. Un lent enchaînement de panels de plus en plus âpres, sales et cruels, semblable à une descente aux Enfers où l’enfoncement par à-coups d’un fin clou rouillé dans nos consciences. On rejoint dans cet univers sombre et daté, comme dessiné au crayon sur une toile éclairée à la bougie, une réunion pré-fin du monde entre des créatures informes, malades, que l’on découvrira être les mythiques cavaliers de l’Apocalypse. Débute alors une compétition du plus affreux, comme celle du Thank You For Smoking de Jason Reitman (2005), jugée cette fois-ci non pas par le public, premier coupable et victime de ces bourreaux, mais par la Mort, la plus empathique des quatre. Cette touche d’une Faucheuse arbitre, vouée à disparaître elle-même, élève la critique assez classique du court vers une troublante boucle existentielle : sans la Mort, qui nous libérera de nous-mêmes ?
Allons au delà du fatalisme, le nihilisme, avec l’incohérent Todo esta perdido de Carla Pereira et Juanfran Jacinto. Basé sur les bandes-dessinées absurdes de l’Espagnol Paco Alcazar, ce court parodie à l’horrible les sitcoms américaines, et en décuple le vide consumériste absolu. Esclaffements et jingles mal calés, stéréotypes de la famille parfaite tordue en pantins déformés, immobilier uniformisé et mobilier plastifié, couleurs criardes et ombres menaçantes, dialogues décousus et incohérents… Le sens des choses s’est perdu il y a bien longtemps et nous ne risquons pas de le retrouver ici. N’offrant aucun échappatoire, ce court résume bien l’impuissance existentielle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, où rien ne semble avoir un quelconque effet sur le cours insensé des choses. Même le cynisme, ultime recours du désespéré, semble se dissoudre dans sa répétition, comme une vieille cassette de rires enregistrés tournant dans le vide.
Beaucoup plus classique, La Pursé de Gabriel Nobrega et Lucas René, est une petite parodie d’horreur de série B en synthèse 3D. Sans être dénué d’idées originales ou de second degré, ce court sur les tristes aventures d’un chat affamé par sa vieille maîtresse et celle du voisin taxidermiste obsédé par cette dernière ont du mal à convaincre. Si le jeu de lumières est assez réussi et pose bien l’ambiance, les personnages muets ont peu de charme au–delà de leur mignonnerie initiale et restent assez caricaturaux et monocordes. Le projet à la plus grosse équipe et au moteur graphique le plus développé est sûrement le plus faible de tous, par manque de profondeur et d’originalité esthétique. Comme quoi.
Et enfin, Demons in the Closet de James Smith, le petit dernier, le benjamin de la famille survolté qu’on adore retrouver aux dîners, parce qu’il fait n’importe quoi et que ses parents n’ont plus l’énergie de calmer (le devraient-ils ?). Projet solo d’une minute vingt seulement, tout en pâte à modeler, qu’on croirait à l’aspect être un projet subtilisé à votre moyenne section la plus proche : des personnages tout moches tout simples, avec les bonnes grosses traces de doigts et le scénario de jeu flash à l’ancienne comme on les aime. Un gars. Il mange. Un monstre sort de son placard. Il le bute puis il entre dans son placard pour y zigouiller tous les monstres avant qu’ils ne mangent son chien. On croirait vraiment à une blague, à une version achevée du projet dépressif de Ben dans Parks and Recreations pour les connaisseurs. Mais tout ces défauts assumés se combinent avec un choix intelligent de cadres et un montage survolté en une petite œuvre aussi exceptionnelle que brutale. Le cousin hyperactif en manque d’attention a trouvé le moyen de se canaliser et nous fait tous profiter de son art-thérapie à la hache.
Jour 3 • Miroir, mon vilain miroir
Le Double est assez piégeux. Thème et motif déjà surexploité par les dramaturgies du monde entier, il devient difficile d’en dire ou d’en montrer quelque chose de nouveau, ou du moins de pertinent, à ce sujet. Pourquoi un tel succès ? L’universalité d’abord, chacun étant familier avec l’expérience de la comparaison, avec soi si ce n’est avec l’autre. L’accessibilité technique ensuite. Les secrets du double à l’écran ont rapidement été révélé et n’ont pas beaucoup eu besoin d’être développés par la suite : surimpression, doublure, champs/contre-champs truqué… Assez peu coûteux et efficace dans leurs plus simples apparats, ces dispositifs permettent de réemployer plusieurs fois le.la même comédien.ne. Les innombrables petites auto-productions blog ou fiction ont déjà saigné le motif, les créateurs comblant leur brave solitude par une schizophrénie d’accessoires. Mettre une perruque et changer de voix sera toujours moins compliqué que de faire jouer ses frères et soeurs. Mais les plus grosses productions ne s’en privent pas non plus, les tropes du schizophrène, du frère jumeau caché et du clone n’ayant cessé de se dédoubler dans les grosses productions. Sortir des sentiers battus et rebattus du Double sans tomber dans le déjà-vu ou la copie relève donc déjà de l’exploit. La barre est basse, mais sera-t-elle passée ? Pas sûr…
Pas vraiment surprenant mais pas décevant non plus, Carga Animal d’Iván Bustinduy, nous embarque dans la camionnette d’un transporteur d’animaux, qui réalise trop tard que l’une de ses cages contient un trop étrange bestiau. Une fois l’idée établie à l’arrière de cette camionnette, le reste ne roulera pas vraiment au-delà de nos attentes. Le court assez peu ambitieux prend cependant suffisamment le temps d’installer un fantastique absurde, plus contemplatif que comique ou dramatique. Très pensif, le livreur porte ce tout, pas bien lourd certes, sur ses épaules avec un certain talent. À défaut d’une trame prenante, son flegme nous donne accès à ce tranquille univers de routier canin, trop loin du monde et des hommes pour s’en soucier. Reposant.
Retour à l’animation, le Phonorama d’Alex Rey, montrant un homme piégé par un téléprospecteur se révélant être lui-même. Si le scénario ou l’animation n’ont rien de particulier, il est jouissif d’écouter cet excellent exercice de parole rapide en continu, fonçant à 200 à l’heure vers l’absurde, sans s’essoufler. L’interprétation, ou plutôt les interprétations, sont parfaites, drôles et rythmées, le sketch est digne des Monthy Pythons, avec une touche futuriste de Rick et Morty. Une bonne vanne, bien exécutée, on n’en demandera pas plus.
Radical changement d’énergie avec le Nurture de Sasha Argirov, détaillant le quotidien d’un homme prenant soin de sa mère âgée, jusqu’à qu’un double de celle-ci n’apparaisse dans sa chambre. L’esthétique expressionniste très prononcée et très recherchée de ce court en noir et blanc rappelle les films de Jacques Ossang, l’humour (déjà léger) en moins. Il s’y passe peu, le temps y est volontairement étiré, le silence et le vide recherchés partout pour souligner un manque, une absence. C’est un peu glauque, on est pas sûr d’avoir compris ou s’il y avait quelque chose à comprendre. Mais l’étrange (soit le double) en moins, le court reste une représentation aussi troublante que juste des peines qu’apportent l’âge. Un bel à-côté.
À l’inverse un peu trop dans son motif, Red Velvet de Blake Simon tient à nous raconter l’histoire un peu floue d’un homme subissant des crises d’hallucinations alors qu’il attend une escort dans son motel. On sent rapidement que le scénario sert de prétexte au genre et au motif du Double, beaucoup de codes classiques de l’horreur américaine étant repris et mélangés (motel, nucléaire, gore, télé cathodique grésillante, costumes des 60’s…) sans réel objectif. Pas grand chose à retenir de ce petit plaisir de cinéphile si ce n’est une certaine qualité technique, particulièrement dans ses lumières.
Le meilleur pour la fin, We Forgot About the Zombies de Chris McInroy, apporte enfin une dose de folie et d’ambition à un ensemble un peu plat. Et pas n’importe quelle dose : celle de piqûres que deux amis fuyant les zombies s’injectent pour se soigner d’une morsure conséquente. Un postulat de base qui n’est pas sans rappeler celui hilarant des potions d’Izma dans Kuzco, l’empereur mégalo (Mark Drindal, 2000). La parodie et le manque de budget sont très rapidement assumés, permettant au sketch de prendre son envol en un instant. On sent un plaisir de la vanne qui prend le pas sur celui du genre, parfaitement résumé dans le titre. De nouveau, on ne veut pas spécialement en voir ou en savoir plus sur cet univers ou ces personnages, mais le sketch est réussi et donne envie de s’abonner à la chaîne YouTube de ces comédiens.