La salle du Max Linder était bien remplie samedi soir dernier au PIFFF pour découvrir Late Night with the Devil (Cameron et Colin Cairnes, 2023), un found footage horrifique présenté sous la forme d’un talk show des années 1970, déjà récompensé cette année par le public au Fantasia Film Festival de Montréal. Et pour cause, le troisième long-métrage des frères Cairnes est un film curieux et unique qui pourrait bien rafler la mise cette année.
Démon en direct
Le talk show de Jack Delroy est en perte de vitesse depuis le décès de sa femme et sa courte retraite médiatique. Mais cette soirée d’Halloween 1977 pourrait bien être l’occasion de gagner quelques parts d’audience, quitte à jouer la carte de la supercherie et du grotesque ! Delroy décide donc d’inviter sur son plateau la jeune Lilly d’Abo, rescapée d’une secte satanique et soit disant possédée par une entité maléfique. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu. C’est quand on est certain d’avoir fait le tour du found footage qu’un nouveau film sort et vous contredit en trouvant un nouvel angle auquel vous n’auriez même pas pensé. C’était déjà le cas lors de l’édition du PIFFF 2021 avec Stéphane (2023), la comédie de malaise de Timothée Hochet et Lucas Pastore qui avait conquis les lecteurs de Mad Movies. Cette année, c’est Late Night with the Devil (Cameron et Colin Cairnes, 2023) qui remet le couvert dans un style de found footage très différent, mais tout aussi efficace.
Le film reprend les codes formels du talk show avec une précision fétichiste. Respect du format et de l’éclairage bien sûr, des costumes et de la gestuelle des comédiens, mais surtout de la réalisation qui colle au plus près des gimmicks télévisuels de l’époque : jingles joués en live, co-host et publicités intempestives. On est littéralement happé dans cette faille temporelle grâce au respect scrupuleux de l’unité de lieu et de temps autant que par la brisure constante du quatrième mur qui maintient notre attention jusqu’à la toute fin. Comme souvent avec le found footage, il y a quelques entorses au dispositif. L’émission ne pouvant pas contenir tout ce que les réalisateurs désirent communiquer, ces derniers usent de quelques subterfuges bien sentis. Les huit premières minutes du film nous présentent le présentateur Jack Delroy dans un style documentaire d’investigation sensationnel qui s’inspire du documentaire choc et longtemps censuré : The Killing of America (Sheldon Renan, 1981). Grave et mystérieuse, la voix de l’acteur Michael Ironside donne le ton, d’autant que le Delroy nous est présenté comme un personnage secret. Les coupures publicitaires quant à elles, sont un prétexte pour nous glisser dans les coulisses de l’émission dans un esprit backstage movie, révélant au passage la vraie personnalité des protagonistes derrière le masque et leur tension grandissante devant les aléas du direct. Autant dire que ces entorses sont plutôt bien mêlées à la structure principale du talk show et c’est seulement à la toute fin du film que le dispositif explosera pour nous emmener vers un ailleurs qu’on ne dévoilera pas dans ces lignes !
Le programme que nous concocte Delroy pour son émission d’Halloween est alléchant et plutôt didactique. Les différents invités qui défilent se prétendent en contact avec le surnaturel et vont proposer des expériences en direct. Soucieux de ne pas berner complètement son audience, Delroy fait également venir sur le plateau le sceptique Karmichael Hunt afin de mettre les invités à l’épreuve de son scepticisme. Lors d’une séquence très réussie d’invocation, Lilly fait surgir Mr. Wiggle (son entité) en direct devant une audience terrifiée. Mais loin de s’arrêter là, le film se poursuit avec une deuxième séquence encore plus passionnante durant laquelle Hunt le sceptique procède à une expérience d’hypnose collective en direct afin de dévoiler la supposée supercherie de Lilly. En filmant le fameux tourbillon noir et blanc en gros plan, les frères Cairnes ne cherchent plus seulement à faire se questionner le spectateur sur la véracité de ce qu’il voit, il nous implique directement dans l’expérience télévisuelle. A tel point que l’on peut se demander si Late Night with the Devil (Cameron et Colin Cairnes, 2023) est un film à voir au cinéma ou bien chez soi devant sa télévision, pourquoi pas le soir d’Halloween, histoire de se mettre totalement dans l’ambiance ! Le film s’inspire ici d’un talk show australien The Don Lane show que les deux réalisateurs ont bien connu dans leur jeunesse. Dans une interview récente pour Variety, ces derniers expliquent que c’est ce mélange d’expérience en direct, le soir à la télévision, et de surnaturel qui leur a donné envie de faire le film : “Dans les années 1970 et 1980, il y avait quelque chose d’un peu dangereux dans les talk shows qui passaient tard le soir. Pour nous qui étions jeunes, ils représentaient une fenêtre vers l’étrange monde des adultes”. Mais l’expérience reste pertinente au cinéma puisque ces émissions étaient également tournées devant un public présent sur le plateau et qui se confond lors de la projection avec celui présent dans la salle.
On terminera en disant un mot de l’acteur principal David Dastmalchian. Son nom vous est sûrement inconnu et pourtant, vous l’avez vu partout, surtout chez Denis Villeneuve (Prisoners, 2013, Blade Runner 2049, 2017, Dune, 2021) et Christopher Nolan (The Dark Knight, 2008, Oppenheimer, 2023). L’abonné des seconds couteaux trouve ici un rôle à sa mesure avec ce personnage finalement très mystérieux de Jack Delroy, présenté d’emblée non pas comme une bête de scène au sourire Colgate, mais comme un homme fragile, cachant un secret honteux et que la fin du film, quelque peu abrupte, peine à mettre en lien avec l’expérience à laquelle nous venons d’assister. Mais peu importe, on a pris beaucoup de plaisir sur le chemin !