La Peur règne sur la ville


Qui se souvient de La Peur règne sur la ville (Giuseppe Rosati, 1976), ce vieux néo-polar italien ? Pas grand monde ? Ça tombe bien, Le Chat qui fume va vous rafraichir la mémoire avec cette nouvelle pépite dégotée de l’autre côté des Alpes, tout droit sortie d’une époque où police et justice s’incarnaient en un seul homme : le commissaire Muri ! 

Maurizio Merli la mine sombre et triste, dans ce qui semble être une cave, aux murs de briques gris, dans le film La peur règle sur la ville.

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Le Justicier à les boules

Gros plan sur Maurizio Merli visant avec son revolver dans le film La peur règne sur la ville.

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Après être revenu récemment sur Échec au gang (Umberto Lenzi, 1978), le pendant humaniste du poliziottesco, il est l’heure de rentrer dans le dur avec un authentique polar droitier comme seules les années 70 ont pu en produire : La Peur règne sur la ville. Avant dernier long-métrage de Giuseppe Rosati d’une filmographie qui ne comptera que six œuvres, celui-ci s’inscrit totalement dans la tradition du néo-polar italien – brutal, sexiste et partisan de la justice pour tous et par soi-même. Nous sommes en pleine période du western spaghetti, autre mouvance made in Italy, et les flics sont alors représentés comme des cowboys venus chasser du malandrin à coup de fusil. Le commissaire Muri, interprété par Maurizio Merli, est de cette trempe-là : sorte de Robert Redford, les valeurs de gauche en moins, il est un flic pas franchement familier avec l’idée de sommation ni avec celle de deuxième chance. Après l’évasion d’une bande de gangsters qui met à mal l’ordre public à Rome, le Ministre de l’Intérieur ordonne que soit réintégré dans les rangs de la police le commissaire Muri. Celui-ci, en froid avec la hiérarchie à cause de ses méthodes expéditives, est traumatisé par la mort de sa femme et de sa fille par un vilain et décide de se retrousser les manches pour que la paix revienne dans les rues romaines.

Le personnage de Muri était déjà apparu dans la réalisation précédente du cinéaste, Tireur d’élite (1975), sous les traits de Leonard Mann. Sans que La Peur règne sur la ville en soit réellement une suite directe – car plein de détails laissent supposer qu’il s’agit de deux récits distincts – le motif du flic à la gâchette facile est réemployé. L’acteur britannique James Mason est également de retour dans le rôle du supérieur, empêcheur de tourner en rond – entendre : qui laisse la justice faire son travail – et s’il était assez courant pour des acteurs français ou anglophones de venir jouer dans des productions italiennes, ici, cela crée un véritable décalage dans les intentions de jeu puisque Mason est doublé. Rosati exploite encore une fois la thématique de la vengeance personnelle, celle de Muri donc, qu’il dissémine au long du film sous la forme de flashbacks. Alors la quête de justice toute personnelle du commissaire Muri apparait comme « justifiée » sous nos yeux ébahis. Car de manière fort peu subtile, le réalisateur fait appel aux plus bas de nos instincts pour exposer SA solution d’endiguer la vermine qui terrorise la ménagère : un bon calibre. Il faut évidemment recontextualiser La Peur règne sur la ville pour éviter de le réduire à ce propos fascisant puisque l’Italie était plongée dans ses années de plomb, soit l’une des périodes les plus violentes que le pays ait traversé.

Car le long-métrage possède des qualités : si l’on excepte un générique interminable à base d’arrêts sur images complètement foiré même pour l’époque ou des ombres ou reflets de l’équipe technique inopportuns, la facture technique de La Peur règne sur la ville est plutôt solide. Qu’il s’agisse de ses scènes d’action ou de séquences plus verbeuses, le film de Giuseppe Rosati sait se montrer haletant à défaut d’être inoubliable. De même son acteur principal, Maurizio Merli, est impeccable dans ce rôle monolithique, croisement parfait entre Chuck Norris et l’inspecteur Harry. Il rappelle également, comme dit plus haut Robert Redford en lui piquant son veston et ses lunettes des Trois jours du Condor (Sydney Pollack, 1975). Comme il n’ouvre que très peu la bouche si ce n’est pour balancer une punchline par-ci par-là, il peut même être permis de le trouver relativement charismatique. Son investissement physique demeure impressionnant puisqu’il enchaine les clés de bras et les courses poursuites en se permettant des roues avant avec moto sans se décoiffer le brushing ni la moustache. Une machine on vous dit. Et parce qu’il a un cœur au moins aussi gros que ce qu’il a dans le caleçon, le commissaire se laisse aller à une petite amourette avec une prostituée – parce qu’une femme, dans ce genre de film, ne saurait avoir autre emploi – histoire de montrer l’étendue de la palette de l’acteur.

Le Chat qui fume, à qui l’on devait déjà la ressortie inédite d’Échec au gang, continue donc de nous faire (re)découvrir le poliziottesco pour notre plus grand plaisir. Dans la lignée de leur travail concerné par ce qu’ils offrent au public, La Peur règne sur la ville bénéficie d’un vrai boulot sur l’image et le son, tous deux parfaitement restaurés. Le piqué est parfait, les couleurs et contrastes magnifiquement retranscrits avec ce qu’il faut de grain pour garder en authenticité. Le coffret cartonné contient également quelques suppléments revenant sur les coulisses de l’œuvre. Nous avons le droit à un entretien avec le chef opérateur Federico Del Zoppo qui revient sur le tournage, sur le mouvement cinématographique dans lequel le film s’inscrit, et livre un touchant hommage à l’acteur Maurizio Merli. C’est vrai que le comédien, s’il amuse ou impressionne dans ce rôle sévèrement burné, permet au spectateur de passer un moment agréable et de faire oublier les douteux messages politiques de La Peur règne sur la ville..


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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