Que l’attente peut être longue quand on est loin de sa maison ! Mais ça y est, me revoici pour quelques jours dans le lieu qui accueille les films les plus tordus et les plus jouissifs du monde entier. Alors certes, cette maison est parfois hantée, quelques membres psychopathes chercheront probablement à vous tuer et il y a 2/3 araignées au plafond mais la chaleur de son feu est si imprévisible qu’elle peut autant vous revigorer que laisser des traces indélébiles sur votre peau… C’est ça Extrême Cinéma. On retrouve les siens mais on n’est jamais à l’abri d’être à la merci des émotions les plus fortes, du rire aux larmes ou du dégoût à la fascination. « Attendez-vous à être dérangés par ce que vous verrez » nous promet le message d’avertissement. Et les promesses dans les familles, c’est sacré.
Jour 1 & 2 • Des femmes sous influence
La Cinémathèque de Toulouse a revêtu ses plus beaux habits rouges pour nous accueillir à son traditionnel ciné concert d’ouverture. Comme chaque année, la salle est pleine, désireuse d’en prendre plein les yeux et les oreilles. Pendant que le musicien Marc Sens branche son matériel, Frédéric Thibaut, l’un de deux jumeaux maléfiques de la programmation (ne cherchez pas, il n’y a aucun “bon” jumeau dans ce duo) ouvre le festival avec un discours en demi-teinte sur l’état actuel du cinéma de genre. Nous tous amateurs de ce cinéma, nous avons pu constater une montée en puissance de ce dernier, parfois avec bonheur, d’autres fois avec dédain mais toujours avec une certaine satisfaction de voir rayonner ce qui était autrefois considéré comme un genre de niche. Mais si côté spectateur c’est le paradis, côté programmateur, on n’est pas loin de l’enfer. Ces ressorties de films de patrimoines aujourd’hui célébrés comme de vénérables classiques font monter les enchères qu’un petit festival comme Extrême Cinéma a du mal à assumer. Ces objets bizarres que l’on pouvait retrouver lors de projections en petit comité se positionnent aujourd’hui sur de gros festivals qui veulent en assurer l’exclusivité. On peut alors légitimement se demander aujourd’hui comment se définit Extrême Cinéma coincé entre la difficulté des ayants droits et son objectif premier de faire découvrir une filmographie singulière… Une remise en question plus que jamais actuelle, avec une programmation 2024 enfantée dans la douleur et presque au-delà du terme. Cela donne malgré tout naissance à une progéniture aussi malpolie que les 24 dernières, comme on peut le voir avec le premier film de la programmation, Dementia (John Parker, 1955) suivant l’errance nocturne d’une jeune femme poursuivie par ses traumas à travers une ville aussi malveillante que ses habitants. Le noir et blanc ponctué de lumières aveuglantes éclaire l’héroïne perpétuellement en fuite d’elle-même, à travers des paysages urbains aussi décrépits que son esprit malade, les yeux roulant de terreur dans ses orbites ou un sourire horrible défigurant son visage. Telle sa mauvaise conscience, un homme la suit, spectateur silencieux du chemin de croix de cette femme qui tente à chaque fois de se dérober aux hommes mais qui finit toujours par être agrippée par l’un d’entre eux. Se laissant entraîner par ces mains terrifiantes, sa seule échappatoire reste le crime. Plongeant le spectateur dans le cauchemar démentiel d’une femme à la fois victime et bourreau, Dementia enferme sa protagoniste dans son propre esprit, l’encerclant dans des décors exigus, verticaux, la soumettant perpétuellement aux regards accusateurs. La musique stridente accompagne avec ardeur la violence des personnages, rendant parfois des séquences presque insoutenables tandis que la douceur des cordes de guitare n’est là que pour diffuser une angoisse sourde. Le silence ne se fera qu’au réveil et avec lui aucun soulagement, comme si le cauchemar ne pouvait jamais prendre fin.
Le trauma sera aussi l’un des nombreux thèmes de Ilsa, la tigresse du goulag (Jean Lafleur, 1977) premier film de la carte blanche de Christophe Bier, journaliste, comédien et écrivain grand habitué du festival. Dans son dernier livre Obsession Bis, qui regroupe quelques-unes des chroniques de l’émission “Mauvais Genre” diffusée sur France Culture, nous pouvons retrouver un paragraphe consacré à la plantureuse Dyanne Thorne, actrice inoubliable dans le rôle de l’implacable beauté froide Ilsa. Après avoir fait ses preuves dans le camp de concentration d’Ilsa, la louve des SS (Don Edmonds, 1975) puis dans le harem d’llsa, gardienne du harem, (Don Edmonds, 1976) il ne lui manquait plus que le goulag pour compléter son CV de tortionnaire. Voulant rendre hommage à l’actrice décédée en 2020, Christophe Bier nous retrace sa vie surprenante, d’abord icône de bobines érotiques avant de sceller des unions à Las Vegas après des études en théologie. C’est sous des rires empreints d’un étonnement naïf qu’Ilsa, tigresse du goulag commence jusqu’à se transformer en franche rigolade contaminant toute une salle qui va se prendre au jeu à la fois pervers et érotique d’une Ilsa ne manquant pas d’imagination. Le spectateur va assister à son jeu de massacre cruel le jour et à ses ébats sexy et grotesques la nuit, métamorphosant la sadique blonde en “corps si chaud, comme notre mère Russie” selon les dires de son amant du soir, l’haleine pleine de relents de vodka. Le réalisateur ne doit rater aucune occasion de déshabiller son actrice, dévoilant l’opulente poitrine qui l’aura rendue célèbre. Mais connaissant les limites d’un trop plein de sexe et de violence, le long-métrage bifurque à mi-parcours vers le film d’espionnage, avec Ilsa ayant fui la Russie pour se réfugier à Montréal. Toujours adepte de méthodes extrêmes pour asservir les gens, quelques passages oniriques surprenants mais bienvenus entraîneront pour quelques minutes le spectateur dans un univers relevant presque de la science-fiction. Heureusement, des émotions bien triviales continueront de le saisir lorsqu’il devinera les courbes de l’actrice sous une couche de savon regardant langoureusement les hommes autour d’elle pour choisir ceux avec lesquels elle passera la nuit. Mélange foutraque d’érotisme, de violence, d’espionnage et de SF, Ilsa tigresse du goulag est parfois difficile à suivre mais une chose est sûre, vous ne vous ennuierez jamais devant le tour du monde d’Ilsa en 80 coups de cravache.
Après la fraîcheur glaciale de la Russie, fuyons vers la moiteur étouffante de l’Inde avec Purana Mandir (Tulsi Ramsay, Shyam Ramsay, 1984), étonnante proposition de film d’horreur pompant éhontément le genre gothique tout en gardant ses racines indiennes. Mélangeant esthétique hammerienne et histoire mélo d’amour contrarié, nous suivons les – trop – nombreuses mésaventures de Suman et Sanjay, couple séparé par une malédiction ancestrale et par un papa qui ne veut pas marier son unique fille à un garçon sans le sou. Entre chansons tristes, chorégraphies endiablées, kicks dans la tête et chasse au démon, difficile de résumer un film que je ne suis moi-même pas certaine d’avoir entièrement compris, ou plutôt même, les nombreux films que j’ai cru voir en un seul. Cheap souvent, un peu vulgaire par moment, avec des scènes pas toujours très cohérentes qui s’enchaînent quand même entraînant quelques moments gênants mais aussi des instants de pure poésie… On sent à la fois de la sincérité derrière ces masques pas toujours bien conçus mais aussi de l’esbroufe, Purana Mandir promettant pendant ses 144 minutes le retour tant attendu de Saamri, le monstre qui a maudit sur des générations les filles de la famille Harimaasningh et que le couple phare va tenter de briser. Offrant seulement par-ci par-là quelques apparitions réussies de son visage mi-pourri, mi-vampire afin de foutre la frousse à l’héroïne, il ne surgit réellement qu’à la fin du récit pour être aisément vaincu par le trident sacré de Shiva. Car malgré les nombreuses références aux codes de l’horreur occidentale, tel que des tableaux effrayants, de la brume traversée par un clair de lune ou des serviteurs bizarres, n’oublions pas que nous sommes dans une production indienne et qu’en Inde, on ne combat pas des vampires avec des croix, forcément. Cela donne lieu à des situations parfois cocasses qui laisseront le public occidental que nous sommes circonspects, mais a-t-on vraiment besoin de tout comprendre pour apprécier une œuvre ? Voilà une maxime que l’on pourrait mettre en chanson pour faire un super film bollywoodien !